Il ne se passe désormais pas un jour sans qu'éclate un incident violent au centre de détention d'Alençon Condé-sur-Sarthe. Et pour cause, tous les éléments sont réunis pour faire de cet établissement une poudrière. L'architecture oppressante d'abord : ici, le béton et les caméras de vidéosurveillance ont remplacé l'humain, les fenêtres sont les plus petites possibles, réduisant d'autant l'ouverture vers l'extérieur, tout est cloisonné pour limiter les contacts entre détenus et avec les surveillants, les salles et les cours de promenade sont exigües pour éviter les rassemblements, les portes des cellules sont continuellement fermées et les déplacements étroitement surveillés et limités.
L’isolement géographique, ensuite, qui limite les liens avec l’extérieur : les proches des détenus sont souvent contraints d’effectuer plusieurs centaines de kilomètres pour une visite au parloir. Les intervenants extérieurs sont d’autant moins nombreux que la prison est loin de tout centre urbain. À la diminution des visites s’ajoute le manque cruel d’activités, de travail, de prise en charge médicale. Ici, pas de professeur et un psychiatre à quart-temps pour une soixantaine de détenus sous tension.
Car cet établissement ultra sécurisé a été conçu pour accueillir des détenus condamnés à de longues peines, considérés comme dangereux, et dont les perspectives de sortie sont si lointaines qu’ils n’ont plus rien à perdre. Le 30 décembre, deux détenus du centre prenaient en otage un jeune surveillant pour obtenir leur transfert. Jugés en comparution immédiate, ils ont tous deux été condamnés à huit ans de détention supplémentaires, repoussant ainsi leurs dates de libération à 2032 et 2039. Le prix à payer pour leur transfert est lourd. Mais quelle différence quand la perspective d’une vie en dehors de la prison ne s’ancre plus dans aucune réalité autre que virtuelle. Ces dernières années ont vu un durcissement croissant de la législation pour les personnes condamnées en matière criminelle : accumulation d’obstacles pour prétendre à une libération conditionnelle, mesures de sûreté, voire de rétention après la fin de peine… Cyrille Canetti, psychiatre retenu en otage en avril 2010 par un de ses patients, confiait ainsi à l’OIP : « Indépendamment de toute considération humaniste ou éthique, si l’on veut se protéger, on se trompe se méthode. L’absence de tout espoir et de perspective de sortie pousse un individu au pire de lui-même ».
À Condé-sur-Sarthe, ces détenus se retrouvent encadrés par un personnel pénitentiaire constitué pour moitié de jeunes stagiaires inexpérimentés. Si l’administration voulait créer une situation explosive, elle ne pouvait pas mieux s’y prendre!
La situation de Condé-sur-Sarthe est extrême, mais les mutineries, prises d’otages et agressions se sont multipliées ces derniers mois dans l’ensemble des établissements pénitentiaires français. Fin août, l’administration pénitentiaire relevait une augmentation de 40 % des mouvements collectifs par rapport à l’année précédente. Dans des prisons déshumanisées, qui n’offrent pas d’espace de parole ni de négociation, où le droit d’expression n’est pas reconnu aux personnes détenues, les revendications prennent les formes les plus violentes…