Atteint d'une psychose schizophrénique, M.E. a été incarcéré le 20 janvier 2012 à la maison d'arrêt de Sequedin, plus de dix mois après sa condamnation à quatre mois de prison ferme. Les faits d'outrage et de menaces à l'encontre des forces de l'ordre remontent au mois de novembre 2010 et ont été commis sous l'empire d'une décompensation psychotique. Alors que, depuis un an, son état s'était très nettement amélioré, ses proches et les soignants qui l'accompagnent craignent que cette incarcération ne viennent engendrer une nouvelle décompensation.
Âgé de 34 ans, M.E. souffre d’une psychose schizophrénique depuis 2004. Après une période d’errance marquée par une rupture de soins, il est depuis la fin de l’année 2010 bien suivi médicalement. Il a retrouvé un équilibre et la bonne observance de son traitement lui permet de mener une vie normale, au sein de sa famille et d’un cercle d’amis. Ainsi stabilisé, il a repris des activités, du sport et se projetait dans la reprise d’un travail.
Le 20 janvier 2012, il a néanmoins été arrêté par le commissariat de Lens et mis sous écrou à la maison d’arrêt de Sequedin, en exécution d’un mandat d’arrêt assortissant une peine de 4 mois d’emprisonnement prononcée par le Tribunal correctionnel de Lille le 30 mars 2011, pour « outrage », « rébellion » et « menace de crime ou de délit à l’encontre d’un agent dépositaire de l’autorité publique ».
Les faits remontent au 4 novembre 2010 à une période où il n’était pas pris en charge médicalement. Il aurait dit « ta gueule » à trois policiers, refusé le menottage et ajouté « je vais vous buter au fusil ». M.E. n’a plus aucun souvenir de cet épisode. De fait, quelques jours plus tard, le 21 novembre, il a été hospitalisé sous contrainte en raison d’« un syndrome délirant avec idée de référence, adhésion totale au délire et participation anxieuse importante avec risque de passage à l’acte auto-agressif ».Dans le certificat médical accompagnant l’hospitalisation, il est noté que « du fait de [cette] symptomatologie », M.E. n’était pas « en mesure de prendre conscience de ses troubles ».
M.E. a été jugé en son absence et sans avocat. Aucune expertise psychiatrique n’a été réalisée avant le jugement, ce qui a surpris le service psychiatrique qui le suit depuis cette hospitalisation. « Logiquement, le juge aurait dû ordonner une expertise psychiatrique », a-t-il déclaré le 2 février à l’OIP. Avant de poursuivre : « M.E. devrait bénéficier d’un non-lieu ».
M.E. a été incarcéré en vertu d’un mandat d’arrêt prononcé par la juridiction de jugement, qui permet à la force publique d’arrêter une personne et de la conduire en maison d’arrêt en attendant l’audience en appel. Elle ne peut être ordonnée, lorsque la peine prononcée est inférieure à un an, que si la personne se trouve en état de récidive légale et par une décision « spéciale et motivée ». M.E était bien en état de récidive légale puisqu’il avait déjà commis des faits similaires quatre ans et demi auparavant. Cependant, la décision est loin d’être spécialement motivée. Le tribunal s’est contenté d’une motivation stéréotypée faisant allusion à « la gravité des faits » et au « trouble causé à l’ordre public ».
A la suite de l’arrestation de M.E, ses proches ont transmis en urgence au tribunal des certificats médicaux attestant de la fragilité de son état mental. Contacté le 2 février 2012 par l’OIP, le service de l’exécution des peines du parquet de Lille n’a pu confirmer la transmission de ces documents au parquet. Il a toutefois précisé qu’il y a peu de chances que ces derniers aient été pris en compte dans la mesure où « la politique générale du parquet de Lille veut que tout mandat d’arrêt soit exécuté ».Alors qu’il s’agit d’une peine de moins d’un an en récidive, elle aurait également pu faire l’objet d’un aménagement de peine, comme le prévoit la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
L’équipe de soins qui assurait le suivi de M.E. se dit aujourd’hui très inquiète de son placement en détention, précisant que « l’incarcération peut entraîner la décompensation d’une psychose ». L’entourage de M.E., qui estime que son « agressivité verbale envers toute personne même représentative de l’autorité publique résulte de sa pathologie », redoute que la détention n’ait des effets néfastes et ne réduise à néant la stabilisation de M.E. à laquelle il était si patiemment parvenu.
L’OIP rappelle :
– L’article 122-1 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes »
– L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Rivière c/ France du 11 juillet 2006 selon lequel le maintien en détention d’une personne souffrant de graves troubles psychiatriques constitue un traitement inhumain et dégradant.
– L’article 66 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui prévoit que « lorsque la juridiction de jugement prononce une peine égale ou inférieure à deux ans d’emprisonnement, ou, pour une personne en état de récidive légale, une peine égale ou inférieure à un an, elle peut décider que cette peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la semi-liberté (…), du placement à l’extérieur [ou] du placement sous surveillance électronique. »
Lille, 7 février 2012