Dans une décision du 14 mars, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe exprime sa « profonde préoccupation » quant à l’aggravation de la surpopulation carcérale en France, et appelle Paris à changer de logiciel. « [F]ace à l’urgence de la situation carcérale », il invite notamment les autorités françaises à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ».
Et pour cause : le nombre de personnes détenues atteint aujourd’hui 77 000, du jamais-vu. Les taux d’occupation des prisons continuent de grimper de manière exponentielle : la moyenne frôle 150% dans les maisons d’arrêt, et une quinzaine d’établissements dépassent 200% – avec un triste record de 314%, détenu par le quartier centre de détention de Majicavo. Malgré l’ajout de lits superposés, le nombre de personnes détenues contraintes de dormir sur un matelas à même le sol a dépassé 3 000 au 1er février.
Si le Comité prend note avec intérêt des différents dispositifs mis en place pour tenter de remédier au problème et « encourage les autorités à poursuivre leurs efforts », il les « invit[e] instamment […] à reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation, en s’attaquant à ses causes profondes et en évaluant, de manière détaillée, l’impact des dernières réformes ». Et ce, en prenant en considération les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et les observations des acteurs de terrain. Depuis de nombreuses années, ces derniers ne cessent en effet d’alerter les pouvoirs publics et de proposer des solutions. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe rejoint ainsi une longue liste d’acteurs institutionnels, syndicaux et associatifs qui réclament des réformes de fond et l’adoption urgente d’un mécanisme de régulation carcérale contraignant[1]. Et qui s’inquiètent, comme lui, de la « croissance constante de la population carcérale ».
Quant au nouveau recours judiciaire « 803-8 », créé en 2021 pour permettre aux personnes détenues de contester leurs conditions de détention, les délégués rappellent la nécessité d’un « outil statistique complet. En décembre 2022, déjà, ils invitaient les autorités à « fournir un maximum d’exemples concrets de son utilisation, en précisant les délais en pratique de la procédure et les résultats obtenus ». Ils notent enfin les difficultés d’exécution des décisions de référé « pour assurer la complémentarité des recours judiciaire et administratif ». Dans sa communication au Comité en amont de l’examen[2], l’Observatoire international des prisons (OIP) attirait ainsi son attention « sur les carences du mécanisme d’aide juridictionnelle récemment étendu au recours de l’article 803-8 du code de procédure pénale, sur le manquement du gouvernement à faire connaître ce recours, tant aux personnes détenues qu’aux personnels pénitentiaires, et sur sa réserve à mettre en œuvre un outil de suivi adapté ».
Quatre ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire JMB c. France, pour les traitements inhumains ou dégradants auxquels les personnes détenues sont soumises, le Comité des ministres examinait pour la troisième fois l’exécution de cet arrêt. Prochain rendez-vous est donné en 2025. Gageons que, d’ici là, les autorités françaises prendront enfin la mesure de l’urgence.
Contact presse : Sophie Larouzée-Deschamps · 07 60 49 19 96 · sophie.larouzeedeschamps@oip.org
[1] Communiqué de presse inter-associatif, « Surpopulation carcérale : seul contre tous, le gouvernement s’oppose à une solution d’urgence ».
[2] Communication adressée par l’OIP au Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 30 janvier 2024 dans le cadre du suivi de l’exécution de l’arrêt JMB c. France.