Dénoncée par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), la pratique consistant à contrôler certains détenus en les réveillant plusieurs fois dans la nuit perdure dans les prisons françaises.
« Se reposer pendant la nuit devient impossible. Nous sommes fatiguées la journée et nos corps ne tiennent plus ce rythme », alertent des femmes détenues au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Trois ans après la visite du CPT, des contrôles avec réveil nocturne continuent d’être pratiqués : l’œilleton de la porte de la cellule est ouvert avec le bruit que cela engendre, la lumière est allumée, parfois jusqu’à ce que le détenu bouge…
Certains détenus se plaignent de contrôles toutes les deux heures entre 19h et 6h, avec allumage systématique de la lumière. Ils ont proposé en vain à l’administration de « laisser l’œilleton ouvert pendant la nuit pour éviter les bruits, tout en acceptant de dormir avec une petite lumière allumée », pour mettre fin à ces réveils « insoutenables ».
Un détenu de la maison centrale de St-Maur s’est plaint pour sa part à la direction de l’établissement de réveils nocturnes aléatoires depuis plus d’un an (deux fois par nuit, puis une fois par semaine autour de 3 heures du matin). Il lui a été répondu que cette mesure était liée « au contrôle nécessaire exercé envers les personnes inscrites au répertoire des DPS » (courrier du 13 janvier 2014). Un statut DPS qu’il aurait déjà depuis 18 ans et qui a été renouvelé en octobre 2013.
Le répertoire des « détenus particulièrement signalés » existe depuis 1967. Peuvent y être inscrites les personnes incarcérées pour des infractions particulières, ou « susceptibles de grandes violences », ou encore ayant participé ou réalisé une tentative d’évasion… Elles sont soumises à des mesures de surveillance accrue, qui selon la directrice de St-Maur, « s’appliquent de jour et en service de nuit », en vertu « d’instructions ministérielles ». Elle ne précise pas quel texte autorise explicitement les réveils nocturnes.
Dans sa réponse au CPT le 19 avril 2012, le gouvernement s’appuie sur deux notes de la direction de l’administration pénitentiaire, dont celle du 31 juillet 2009, qui prévoit qu’à l’égard des détenus « repérés comme présentant des risques d’évasion », peuvent être prévus des « contrôles œilleton » de nuit toutes les trois heures. Le gouvernement en déduit que « par construction, les personnes inscrites au répertoire DPS sont considérées présenter un risque d’évasion ou de dangerosité particulier et font l’objet, à ce titre, d’une surveillance spécifique dont les modalités sont arrêtées en commission pluridisciplinaire unique ». Il limite cependant l’intervention à un « contrôle visuel de la cellule réalisé au moyen de l’œilleton dans le but de s’assurer de la présence de la personne détenue et de la visibilité du barreaudage. En cas de doute, et dans ce cas seulement, les agents sont autorisés à allumer la veilleuse de la cellule (…) et sans qu’il soit demandé à la personne détenue d’effectuer un quelconque mouvement ».
Déjà très contestable en elle-même, cette mesure s’avère pratiquée de façon plus large : dans son rapport du 19 avril 2012, suite à une visite fin 2010, le CPT signalait que « la quasi-totalité des DPS avec lesquels la délégation s’est entretenue se sont plaints d’être réveillés toutes les heures par les surveillants qui allumaient la lumière dans les cellules lors des rondes de nuit ». Etant donné les « conséquences néfastes pour la santé des détenus » d’une telle mesure, le CPT recommandait de « revoir les modalités de la surveillance nocturne des détenus particulièrement signalés, dans tous les établissements pénitentiaires en France ».
Alors qu’une circulaire sur la surveillance des DPS serait en cours d’élaboration au ministère de la Justice, l’OIP demande que soit formellement proscrit tout réveil nocturne, la privation de sommeil pouvant s’apparenter à un traitement cruel, inhumain et dégradant.
L’Observatoire a aussi décidé de saisir le juge administratif en « référé-suspension » afin de faire cesser au plus vite de telles atteintes.
L’OIP rappelle que :
Les Règles pénitentiaires européennes, dont le respect est l’un des objectifs affichés de l’administration pénitentiaire française, indiquent que « le bon ordre dans la prison doit être maintenu en prenant en compte les impératifs de sécurité, de sûreté et de discipline, tout en assurant aux détenus des conditions de vie qui respectent la dignité humaine » (règle 49).