L’OIP publie ce mercredi 6 juillet un rapport sur l’accès aux soins spécialisés en prison. L’état de santé des personnes détenues, souvent dégradé au moment de leur incarcération, est encore fragilisé par des conditions de détention éprouvantes. Mais si leurs besoins en matière sanitaire sont énormes, ils sont difficilement satisfaits. Ce rapport dresse un état des lieux, identifie les freins et propose une série de recommandations pour que le principe d’égalité des soins entre personnes détenues et population générale, inscrit dans la loi depuis 1994, soit enfin une réalité.
« Je reste 24h/24 dans ma cellule, diminué par des douleurs dorsales sans avoir accès au kiné » ; « Je suis privé de lecture faute de lunettes adaptées » ; « Je n’ai pas pu emmener mon appareil dentaire lors de mon incarcération. Or je n’ai plus de molaires. Alors comme je ne peux pas mâcher, on me prescrit des médicaments contre la mauvaise digestion et les brûlures d’estomac. »
Un signalement sur cinq reçu à l’OIP concerne la santé des personnes détenues. L’accès aux soins spécialisés en particulier (ophtalmo, kiné, dentiste, dermato, etc.) s’avère souvent compliqué, parfois même impossible. En cause, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous à l’unité sanitaire, l’annulation fréquente des extractions médicales programmées au centre hospitalier de rattachement, les conditions d’extraction particulièrement dissuasives, souvent indignes et non respectueuses du secret médical : « J’ai fait ma coloscopie attaché au lit, avec l’escorte présente dans la pièce », témoigne ainsi un détenu.
Cette carence de soins spécialisés constitue un phénomène connu mais reste peu documentée. Dans son rapport, l’OIP en dresse un état des lieux et en détaille les conséquences pour les personnes concernées, y compris en termes de pertes de chance : « Le cancer dont souffre mon ami est curable lorsqu’il est pris à temps, or en prison il a été diagnostiqué beaucoup trop tardivement. Nous avons fait confiance à la justice, puis aux médecins, sans jamais intervenir, et aujourd’hui, mon compagnon va mourir », relate sa femme.
Le rapport revient également sur les facteurs à l’origine de ces dysfonctionnements. Une offre de soins réduite d’abord : les besoins en personnel, en plus d’être sous-évalués, sont insuffisamment pourvus, faute d’attractivité des postes mais aussi de volontarisme des autorités de santé, dont les priorités vont parfois ailleurs. S’y ajoutent des conditions matérielles difficiles pour les soignants comme pour leurs patients : locaux inadaptés et mal équipés, contraintes logistiques liées à l’univers carcéral, logiques sécuritaires qui mettent à mal la prise en charge et le suivi médical, faible recours aux permissions de sortir permettant de se soigner à l’extérieur dans de bonnes conditions…
Difficiles pour l’ensemble de la population carcérale, de telles circonstances deviennent insoutenables pour les personnes détenues atteintes de pathologies chroniques, de longues maladies, de handicap ou les personnes âgées dépendantes, de plus en plus nombreuses en prison. Pour elles, le suivi requis est à bien des égards incompatible avec les restrictions imposées par la détention. Une situation encore aggravée par la surpopulation carcérale : un détenu en situation de handicap qui dispose d’un certificat médical pour bénéficier d’un couchage adapté à sa pathologie indique ainsi devoir partager sa cellule PMR [personne à mobilité réduite] avec un autre détenu faute de place et être contraint de dormir sur un matelas à même le sol. Et s’il existe des dispositifs pour permettre la remise en liberté des personnes dont l’état de santé n’est pas compatible avec la détention, ils sont en pratique très peu utilisés et réservés aux personnes en fin de vie dont le pronostic vital est engagé à très court terme.
À l’issue de ce rapport, l’OIP dresse une liste de recommandations qui s’inspirent en partie des initiatives et bonnes pratiques identifiées au cours de son enquête et visent à améliorer la prise en charge sanitaire en détention, garantir la possibilité d’accéder à des soins dans des conditions respectueuses des droits et de la dignité à l’extérieur de la prison lorsqu’ils ne sont pas possibles entre les murs, et permettre une libération des personnes dont l’état de santé est incompatible avec la détention. Leur mise en œuvre n’est pas une option, mais une obligation que l’on doit à celles et ceux que la loi autorise à priver de liberté, pas de soins.