Alors qu’en ce 1er mai sont célébrées partout dans le monde les avancées des droits des travailleurs, rappelons qu’il est un espace où ils en sont encore totalement privés : la prison. Les détenus qui travaillent sont sous-payés, peu protégés, entièrement soumis aux aléas de l’offre de travail et au bon vouloir de l’administration pénitentiaire. Si elle propose un certain nombre d’avancées, la réforme du statut du travail en détention prévue par le gouvernement échoue malheureusement à renverser ce paradigme.
En prison, il y a des détenus qui travaillent, mais il n’y a pas de droit du travail. Les prisons sont des laboratoires de flexibilité : travailleurs sans contrat, les détenus sont appelés au travail en fonction des besoins. Ils peuvent aussi bien ne pas bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire que ne travailler que quelques heures par mois. Ils n’ont droit à aucune indemnité en cas d’arrêt maladie, d’accident du travail ou de chômage technique. Les prisons sont aussi un vivier de main d’œuvre à bas coût : le taux de rémunération varie de 20 à 45 % du SMIC, soit 2,05 € à 4,61 € de l’heure. Lorsqu’ils travaillent pour des concessionnaires privés, les détenus sont souvent rémunérés à la pièce – pratique pourtant illégale depuis 2010 – et se voient confier des tâches répétitives et non-qualifiantes, qui n’ont parfois plus cours à l’extérieur. Ils ne peuvent cependant contester leurs conditions de travail : toute forme d’expression collective ou de représentation syndicale est interdite et peut entraîner une sanction disciplinaire.
On ne compte plus les rapports venus dénoncer cette situation de non-droit et les appels lancés pour qu’il soit mis un terme à cette situation digne du XIXe siècle. En mars 2018, Emmanuel Macron reconnaissait qu’ « on ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle » si « on nie [leur] dignité et [leurs] droits »[1] et promettait de réformer le statut du travail en prison. Aujourd’hui, le gouvernement et le législateur s’emparent enfin de la question dans le cadre du projet de loi dit « pour la confiance dans l’institution judiciaire » déposé à l’Assemblée nationale le 14 avril dernier et dont l’examen débutera le 5 mai prochain.
Flexibilité maximale et gestion de l’ordre
S’il arrive trois ans après les annonces présidentielles, ce texte est pourtant présenté et adopté dans la précipitation : sans consultation avec la société civile, laissant peu de place au débat parlementaire dans la mesure où il est examiné dans le cadre d’une procédure accélérée, contraignant le législateur à renvoyer à la possibilité pour le gouvernement de légiférer par ordonnance pour des dispositions qui relèvent pourtant des droits fondamentaux.
Surtout, le projet passe à côté de l’ambition de faire du travail en prison un véritable outil de réinsertion et d’émancipation, déconnecté de la peine. Certes, il présente des avancées indéniables, notamment dans la contractualisation de la relation de travail et l’ouverture de droits sociaux attachés au contrat. Dans le même temps cependant, il entérine la flexibilité du travail en prison en prévoyant d’ajuster la durée du travail aux besoins des donneurs d’ordre, sans offrir les garanties et protections qui devraient venir compenser cette précarisation. En témoigne la possibilité de suspendre le contrat en cas de baisse temporaire de l’activité sans indemnisation ou l’absence de prévisibilité sur la durée du travail. Enfin, à rebours des préconisations de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour laquelle il faut séparer la situation des détenus dans le cadre de la relation de travail de leur situation en prison, le projet de loi fait du travail un outil de gestion de l’ordre en détention : l’influence du champ disciplinaire et sécuritaire dans la relation de travail est encore renforcée. À l’inverse, aucune évolution n’est prévue en termes de dialogue social, de droit d’expression collective ou de droit syndical.
Au total, le texte reste, dans sa philosophie, très éloigné de l’intention posée par le gouvernement de rapprocher le travail en détention du droit commun. Il appartient désormais au législateur, dans le temps court qui lui est accordé, de l’améliorer.
Contact presse : Pauline De Smet · 07 60 49 19 96
[1] Discours à l’École nationale d’administration pénitentiaire, Agen, 6 mars 2018.