La section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) informe des faits suivants :
Le parquet de la Rochelle (Charente-Maritime) a clôturé le 20 octobre 2008 l'enquête concernant le suicide d'un détenu de la maison centrale de Saint Martin-de-Ré survenu le 25 juillet 2008. Pourtant, les circonstances du décès font apparaître une série de défaillances de la part des services pénitentiaires et sanitaires.
Le 21 juillet, Lahcen Elkhadi, âgé de 28 ans et détenu à la maison centrale de St-Martin-de-Ré subit une intervention chirurgicale sous anesthésie générale à l’Unité hospitalière sécurisée inter-régionale (UHSI) de Bordeaux (Gironde). Après son opération, M. Elkhadi se montre très agité et agressif, au point de brandir une lame de rasoir en direction d’un médecin. Alors que son hospitalisation était initialement programmée pour durer une semaine, il est transféré à maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan et placé préventivement au quartier disciplinaire le 23 juillet à 17h30. La fiche de liaison établie par l’UHSI à l’issue du séjour de M. Elkhadi fait pourtant état d’un « patient qui a très mal vécu son hospitalisation -très anxieux voire agressif ».
Lors de sa comparution, le 25 juillet au matin, devant la commission de discipline, il déclare qu’ « il avait la lame de rasoir pour se suicider, qu’il est à bout, qu’il ne supporte plus ses conditions de détention […]. Que lorsqu’il a agressé le médecin, il n’était pas dans son état normal, à cause des médicaments qui lui avaient été administrés et qui avaient des effets secondaires ». Il est sanctionné de 20 jours de quartier disciplinaire, dont 10 avec sursis. Interrogé par l’OIP, le service médical de la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan indique que le médecin qui visite le quartier disciplinaire deux fois par semaine n’a pas contre-indiqué le maintien de M. Elkhadi en cellule de punition.
Le jour même, M. Elkhadi est transféré vers la maison centrale de St-Martin-de-Ré. À son arrivée, il est conduit au quartier disciplinaire pour continuer de purger la sanction infligée. Selon le témoignage d’un surveillant, il se plaint d’intenses douleurs, se montre très agité et demande à voir un médecin. En l’absence du médecin de l’établissement, le personnel pénitentiaire contacte les services d’urgence, qui refusent de se déplacer et renvoie vers un médecin de ville. Ils tentent également de joindre à son domicile le médecin-chef de l’établissement, sans succès. À 18h15, selon les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête judiciaire, la direction a pris la décision de suspendre la sanction. À 18h45, lorsque la cellule de M. Elkhadi est ouverte afin de le sortir du quartier disciplinaire, celui-ci est retrouvé décédé par pendaison.
Contacté par téléphone, le substitut du Procureur de La Rochelle estime qu’il n’y a à son sens « rien qui justifie de retenir une responsabilité pénale dans ce dossier ».
L’OIP rappelle :
– l’article D.251-4 du code de procédure pénale selon lequel « la sanction [disciplinaire doit être] suspendue si le médecin constate que son exécution est de nature à compromettre la santé du détenu » ;
– le rapport du Professeur Terra sur la prévention du suicide des personnes détenues, publié en décembre 2003, déplorant le fait que « le placement de personnes détenues au quartier disciplinaire ne [fasse] pas l’objet d’une réflexion suffisante sur l’existence ou non d’une crise suicidaire sous-jacente », et rappelant que « les détenus dont la crise suicidaire prend le masque de l’agressivité ne peuvent pas être mis au quartier disciplinaire sans risquer d’accélérer la progression de leur détresse » ;
– la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’« A la lumière de l’obligation positive de l’Etat de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger tout individu dont la vie est menacée, on peut s’attendre à ce que les autorités, qui sont en présence d’un détenu dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires, prennent les mesures particulièrement adaptées en vue de s’assurer de la compatibilité de cet état avec son maintien en détention» et estimé que « le placement en cellule disciplinaire isole le détenu, en le privant de visites et de toute activité, ce qui est de nature à aggraver le risque de suicide lorsqu’il existe » (CEDH, Renolde c/France, 16 octobre 2008). La Cour considère que l’obligation de protéger le droit à la vie « implique et exige de mener une forme d’enquête efficace lorsqu’il y a eu mort d’homme sous la responsabilité d’agents de l’Etat » (CEDH, Tanribilir c/Turquie, 16 novembre 2000). Cette enquête « doit notamment être complète, impartiale et approfondie » (CEDH, Taïs c/France, 1er juin 2006).