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TGI de Vienne (Isère): inaction du parquet après plusieurs plaintes de détenus relatives à des mauvais traitements par des personnels pénitentiaires

Saisi de plusieurs allégations crédibles de brimades ou de violences visant des personnels du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, le parquet du TGI de Vienne ne semble pas déterminé à faire toute la lumière sur les agissements incriminés. Bien qu'il fasse valoir que, « en général, quand un détenu est blessé, la tendance est plutôt à soumettre le dossier à un magistrat instructeur », plusieurs cas sérieux n'ont pas, à ce jour, donné lieu à une enquête approfondie et impartiale, comme le veulent les standards internationaux. Le 8 juin, l'OIP a adressé un courrier au sénateur de l'Isère Louis Mermaz pour l'alerter de l'ensemble de ces faits et solliciter une saisine de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).

D’après les informations recueillies par l’OIP, un seul dossier de mauvais traitements présumés a fait l’objet d’une saisine d’un juge d’instruction. Il concerne les violences dont aurait été victime M.M., le 3 février 2010, au sein du quartier maison d’arrêt de l’établissement. Ce jour là, une altercation verbale avait éclaté entre un personnel pénitentiaire et M.M., en raison du retard pris par ce dernier pour se rendre en activité. Dans le rapport d’enquête joint à la procédure disciplinaire, dont l’OIP a eu connaissance, M.M. soutient que l’agent lui a assené « un coup de tête dans le nez », précisant que lui même n’avait « pas touché l’agent ». Un certificat médical établi le jour même par les services de l’hôpital où M.M. a été conduit en urgence avait fixé l’interruption temporaire de travail (ITT) à 10 jours. L’information judiciaire avait été ouverte par le parquet du TGI de Vienne. D’autres affaires n’ont pas connu ce traitement, en dépit d’éléments rendant  vraisemblable la survenance de violences.

Ainsi, le 28 mai 2010, M.E. a été présenté au tribunal correctionnel de Vienne le visage tuméfié. Il comparaissait avec un autre détenu pour avoir exercé des violences physiques à l’encontre de plusieurs personnels du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier le 26 mai. D’après plusieurs personnes présentes lors du procès, M.E. a expliqué à l’audience avoir subi des violences de la part de personnels pénitentiaires deux jours plus tôt. Il s’était déjà plaint de ces brutalités lors de son audition par les gendarmes dans le cadre des poursuites dirigées à son encontre, comme en atteste le procès verbal dressé à cette occasion. Contacté par l’OIP le 2 juin, le magistrat ayant représenté le parquet lors de l’audience a confirmé les blessures de M.E. et en particulier « la lèvre enflée », mais indique ne pas avoir décidé l’ouverture d’une enquête, attribuant ces marques à « la maîtrise du détenu au moment des faits », en dépit des allégations de l’intéressé. Tout en faisant valoir que celui-ci n’a pas déposé de plainte, le magistrat a admis que M.E. et le prévenu qui comparaissait à ses côtés lui ont expressément demandé, lors d’un entretien avant l’audience, de ne pas retourner à la prison de Saint-Quentin- Fallavier par peur de représailles.

Le 17 mars dernier, l’avocat d’un autre détenu, R.F., a sollicité le procureur afin de connaître les suites données à une plainte déposée pour des violences que l’intéressé aurait subies le 2 décembre 2009, lors de son arrivée à Saint-Quentin-Fallavier. Ce jour-là, alors qu’il subissait une fouille, il avait fait l’objet d’une intervention physique de personnels qui lui avait causé une ITT de 5 jours. Le certificat médical constatait des contusions et des hématomes à divers endroits du corps et notamment sur le visage, ainsi qu’une plaie à la main droite « ayant nécessité 4 points de suture ». Dans son compte-rendu professionnel, l’« officier chargé de la sécurité », présent lors des faits, s’était contenté de constater la blessure à la main, indiquant qu’une intervention avait été rendue nécessaire par le fait que « le détenu s’avançait alors brusquement en direction du surveillant », sans apporter d’explication sur l’origine des blessures.

De même, le 2 juin dernier, l’avocat de M.B. a demandé au parquet communication d’une décision de classement sans suite d’une plainte déposée par son client le 20 avril 2009. Ce dernier se plaignait de violences qu’il aurait subies le 16 avril 2009 et qui lui avaient causé 2 jours d’ITT. Le certificat médical constatait en particulier une « tuméfaction au niveau de la pommette gauche », une « ecchymose frontale droite » et « au niveau du sourcil droit ». Dans le compte-rendu concernant cet incident, adressé le 20 avril 2009 à sa hiérarchie, le directeur de l’établissement se bornait à indiquer que lors d’une fouille corporelle intégrale à laquelle M.B. ne voulait pas se soumettre, son comportement avait nécessité « l’usage de la force » par deux personnels, qui l’avaient maintenu « à l’aide de deux clés de bras ». Là encore, aucune explication n’était fournie quant aux conditions dans lesquelles étaient survenues les blessures constatées.

Contactée par l’OIP le 7 juin 2010, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon s’est refusée à tout commentaire, expliquant qu’elle ne s’exprimait pas sur des cas individuels.

Des témoignages portant sur d’autres cas de brimades et mauvais traitements présumés ont été portés à la connaissance de l’OIP. Le 8 juin 2010, l’Observatoire a adressé un courrier au Sénateur Louis Mermaz pour l’alerter de l’ensemble de ces faits en vue d’une saisine par ses soins de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).

L’OIP rappelle :

– que, « lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation [de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants] » (Cour européenne de droits de l’homme, Tekin c/Turquie, 9 juin 1998) et qu’il appartient aux autorités « de fournir une explication plausible sur les origines des blessures en question et de produire des preuves établissant des faits qui font peser des doutes sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales » (Cour européenne, Cangöz c/Turquie, 4 octobre 2005) ;

– que, « même lorsqu’une plainte proprement dite n’est pas formulée, il y a lieu d’ouvrir une enquête s’il existe des indications suffisamment précises donnant à penser qu’on se trouve en présence de cas de torture ou de mauvais traitement » et que « pour qu’une enquête menée au sujet de torture ou de mauvais traitements commis par des agents de l’Etat puisse passer pour effective, (…) il doit y avoir un élément suffisant de contrôle public de l’enquête ou de ses résultats pour garantir que les responsables aient à rendre des comptes, tant en pratique qu’en théorie » (CEDH, 3 juin 2004, Bati c/Turquie, §§ 135-137) ;

– que le Comité contre la torture de l’ONU s’est dit, le 14 mai dernier, « particulièrement préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains ». Il a demandé au autorités françaises de prendre « les mesures nécessaires pour veiller à ce que chaque allégation de mauvais traitements imputable à des agents de l’ordre fasse promptement l’objet d’une enquête transparente et indépendante, et que les auteurs soient sanctionnés de manière appropriée » .