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Violation massive des droits de l’homme au Centre pénitentiaire de Ducos : l’OIP-SF saisit la justice

Depuis des années, l'inhumanité des conditions de détention au sein du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, est dénoncée de toutes parts. Surpopulation, locaux insalubres et infestés de rats et d'insectes, cellules de 9m² pouvant accueillir jusqu'à cinq personnes, insuffisance de l'offre d'activités et de travail, violences exacerbées... Les personnes détenues y sont soumises à des conditions de vie « plus qu'insupportables » ainsi que le dénonçaient 136 d'entre elles dans une pétition adressée à l'administration en 2012. Face à l'attentisme des pouvoirs publics, la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) a donc décidé de saisir le Tribunal administratif de Fort-de-France pour faire cesser les atteintes particulièrement graves portées à la dignité des personnes incarcérées dans cet établissement.

En 2004, le sénateur Rodolphe Désiré tirait la sonnette d’alarme à propos du centre pénitentiaire de Ducos, dénonçant « une situation de crise [qui] contraint l’administration à des solutions inacceptables, avec des détenus couchés à même le sol ou sur un matelas situé à un mètre des toilettes ». Le Parlementaire soulignait alors que « la promiscuité, l’exiguïté des espaces socio-éducatifs et sportifs et une offre insuffisante de soins médicaux – avec une attente d’un mois environ pour obtenir un rendez-vous – provoquent violences et agressions à répétition ». Dix ans plus tard, rien n’a changé. La situation n’a même cessé de se détériorer sous l’effet d’une surpopulation autant chronique que massive. Au mois de juillet 2014, le taux d’occupation du quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos s’élevait à 215 %.

Remis à la ministre de la Justice le 8 juillet 2014, le rapport du groupe de travail sur les problématiques pénitentiaires en Outre-mer pointe à nouveau le surencombrement de l’établissement, la multiplication des matelas posés à même le sol, le développement des violences à l’encontre des personnels ou entre personnes détenues, l’insuffisance criante de l’offre de travail ou de formation à destination des détenus, l’absentéisme du personnel de surveillance ou encore le manque de personnel médical. Quelques semaines plus tôt, le 20 mai 2014, l’alerte avait été lancée par le député Jean-Philippe Nilor qui interpellait la garde des Sceaux à propos de « la surpopulation carcérale, l’insécurité et l’insalubrité dans l’enceinte de la prison de Ducos ». Soulignant que cet établissement figure parmi « les plus surpeuplés de France », le parlementaire expliquait que « 130 matelas répartis dans plusieurs cellules de 9 m² jonchent le sol et il n’est pas rare de compter jusqu’à 4 détenus par cellule. La population écrouée se plaint régulièrement de la vétusté des installations et de vivre dans un environnement infesté de cafards, rats et autres nuisibles. »

Les conditions de détention au centre pénitentiaire de Ducos sont d’une telle gravité qu’elles ont été jugées contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants, par la Cour administrative d’appel de Bordeaux en 2013. Par ailleurs, la dignité des personnes détenues n’est pas seule en cause. Outre le climat de violences exacerbées qui le caractérise, l’établissement présente d’importants « risques d’éclosion d’incendie et d’électrisation » du fait d’installations électriques non conformes comme l’a relevé en 2013 la sous-commission départementale de sécurité contre les risques incendie pour émettre un avis négatif à la poursuite de l’exploitation des bâtiments. Ainsi, c’est également le droit à la vie des personnes détenues qui est méconnu par les autorités publiques au centre pénitentiaire de Ducos.

Depuis des années, autorités administratives indépendantes, organisations professionnelles, élus, services d’inspection, commissions ad hoc, magistrats ou encore médias se rejoignent pour dénoncer les conditions de vie intolérables imposées aux personnes incarcérées dans cet établissement. Suite à une visite effectuée en 2009, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté évoquait déjà une « promiscuité inacceptable et [des] conditions de vie unanimement dénoncées ». L’année suivante, le ministre de la Justice lui-même reconnaissait que « la situation préoccupante de surpopulation carcérale (…) ne permet plus de garantir des conditions d’accueil dignes de la population pénale. » En 2012, le député Maurice Antiste interpellait encore la ministre de la Justice sur la « situation explosive du centre pénitentiaire de Ducos » tandis que l’année suivante, le secrétaire général de l’Union Fédérale Autonome Pénitentiaire (UFAP), première organisation syndicale de l’administration pénitentiaire, évoquait une « population pénale qui pourrait porter plainte tous les jours contre l’administration ». Et l’actuelle ministre de la Justice de souligner elle-aussi, en marge de la remise du rapport du groupe de travail sur les problématiques pénitentiaires en Outre-mer que les difficultés pointées dans ce rapport étaient « déjà identifiées » pour avoir « déjà donné lieu à des rapports ».

Dans ces conditions, l’attentisme et l’inertie des pouvoirs publics à apporter des solutions à la hauteur de la gravité du problème ne manquent pas de surprendre.

Si un projet d’extension de l’établissement a été initié en 2011 et devrait bientôt porter la capacité du centre pénitentiaire de Ducos à près de 730 places, ce plan a été entrepris au détriment de l’entretien et de la réhabilitation des locaux existants, pourtant dans un état d’insalubrité inquiétante. Surtout il s’avérera insuffisant à résorber le problème de la surpopulation. Dès 2011, les sénateurs Christian Cointat et Bernard Frimat estimaient « qu’aucun projet d’extension sur le site de Ducos ne saurait résoudre à lui seul le problème de la surpopulation carcérale ». Dans un rapport de 2013, Isabelle Gorce, actuelle Directrice de l’administration pénitentiaire considérait que « seule une politique pénale raisonnée et une redynamisation de la politique d’application des peines sont de nature à décompresser la situation ». Conclusion à laquelle sont également parvenus les auteurs du rapport sur les problématiques pénitentiaires en Outre-Mer qui soulignent que seul un plan d’action « très concret, global et cohérent » semblerait susceptible de pouvoir apporter des solutions durables à la situation du centre pénitentiaire de Ducos.

Dans cette perspective, la ministre de la Justice a certes adopté, le 2 janvier 2014, une circulaire de politique pénale territoriale pour la Martinique invitant les autorités judiciaires de Fort-de-France à « dynamiser les aménagements de peine ». Ces orientations générales ne semble cependant pas avoir été dotées des moyens humains et financiers suffisants pour qu’elles donnent des résultats : le rapport sur les problématiques pénitentiaires en Outre-mer soulignait en juillet 2014 que la surpopulation au sein de cet établissement était « en train de se développer à nouveau ».

L’OIP-SF se trouve donc contraint aujourd’hui de saisir le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Fort-de-France et demande la mise en œuvre d’un plan d’urgence relatif tant à l’état matériel du centre pénitentiaire de Ducos qu’à la politique d’aménagement de peine en Martinique assorti des moyens humains et financiers nécessaires à sa réalisation effective.

  •  Lire notre dossier de presse sur la situation indigne du centre pénitentiaire de Ducos.
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