Mélissa* a été victime d’une agression sexuelle en 2017, quelques mois avant le mouvement MeToo. Elle relate son parcours judiciaire, du dépôt de plainte à l’audience de condamnation. À travers son récit, c’est aussi son cheminement qu’elle livre. Entre colère, déception et questionnements.
« Il y a cinq ans, j’ai porté plainte contre un homme qui m’avait agressée. Cette personne a été condamnée et envoyée en prison.
Je l’avais rencontré lors d’une soirée, en juin 2017. Il m’avait vue danser, m’avait expliqué qu’il était manager et proposé de participer à un casting de danse pour faire de la figuration dans un clip. Il m’a rappelée le lendemain et m’a donné rendez-vous le week-end suivant dans un studio d’enregistrement pour passer les essais. J’avais un mauvais pressentiment, mais tout le monde autour de moi m’assurait que c’était comme ça que ça se passait, que c’était une bonne opportunité. On s’est donné rendez-vous au métro, il m’a amenée jusqu’au studio de danse. Il s’est avéré que toute cette histoire de casting était fausse. Voilà.
J’ai porté plainte le lendemain. J’étais très sensibilisée à ces sujets, donc je n’ai pas du tout hésité. Je ne voulais pas que ça arrive à d’autres filles. Mais j’avais beaucoup de culpabilité parce que je me disais que c’était ma faute, que c’était moi qui étais allée là-bas.
Je suis allée au commissariat de Pantin, parce que je travaillais à côté. J’y suis d’abord allée à midi, pendant ma pause, mais il y avait trop de monde et j’avais peu de temps, alors j’y suis retournée le soir. Ma plainte a été prise par un jeune homme, qui n’a pas fait les choses correctement. Il m’a confirmé que ce que j’avais vécu était bien une agression sexuelle – je n’étais pas sûre. Puis il a pris rapidement les faits, sans rentrer dans les détails. Il était déjà 20h30, une de ses collègues a frappé, “Tu veux manger où ?”. Le policier ne m’a pas non plus expliqué la marche à suivre en tant que plaignante. Ma meilleure amie, qui m’a accueillie le soir-même et qui est greffière, m’a expliqué qu’il fallait que j’aille faire des examens à l’institut médico-légal. Une fois là-bas, on m’a dit que le commissariat aurait dû m’y envoyer avec un papier, que je n’avais pas. Même mon état psychologique ne pouvait pas être constaté sans ce papier.
Au bout de quinze jours, je n’avais toujours pas de nouvelles. J’appelle le commissariat où on m’explique que, comme ça s’est passé à Montrouge, tout a été transféré là-bas. Puis il ne se passe plus rien. En octobre 2017, #MeToo arrive et là, je me dis qu’il faut faire quelque chose. Je me rends au commissariat de Montrouge où on m’explique que ma plainte a été classée parce qu’il n’y avait pas assez d’éléments. Je fais un scandale à l’accueil, comment est-ce possible ?! Quelqu’un m’appelle un peu plus tard, m’explique qu’ils ont retrouvé ma plainte et fait le rapprochement avec une autre, mais qu’il manque des informations pour en être sûr. On me demande donc de redéposer plainte.
Quand je reviens, je suis accueillie par une policière qui est vraiment très bien. Elle me pose toutes les questions qu’on aurait dû me poser la première fois, me demande plein de détails. Elle m’explique que ce genre d’agresseur suit souvent le même scénario, que c’est grâce à ces éléments qu’on peut faire des liens entre les affaires et retrouver la personne. On me montre les photos de plusieurs hommes ; je le reconnais. On me dit qu’il vient d’être arrêté pour une histoire similaire. On fait venir un psychologue pour attester de mon état psychologique. Ma plainte est bien enregistrée, l’affaire suit son cours.
Je me constitue partie civile, mais je ne prends pas d’avocat, parce que je ne voulais pas demander d’argent, donc je ne voyais pas l’intérêt. En janvier 2019, on nous a tous convoqués – lui, une autre plaignante et moi – pour nous annoncer que l’instruction était close et que le procès aurait lieu en février. Ça aurait dû être jugé en cour d’assises car l’autre femme l’accusait de viol, mais ça a été requalifié et c’est passé au tribunal correctionnel. Il était donc là, lui aussi. Il était en détention provisoire tout ce temps. J’appréhendais de le voir, et là on me dit que je vais devoir à nouveau le voir dans un mois…
Le procès a eu lieu le 5 février, l’après-midi. Ça a été assez rapide. Ils m’ont interrogée. Il fallait reparler de toute cette histoire. Les magistrats posaient des questions, disons, un peu orientées. Par exemple le juge me dit : « Vous avez dit “ça ne m’amuse plus” ». Mais non, j’ai dit « ça ne m’amuse pas ». Comme s’il voulait me faire dire que c’était une drague qui avait mal tourné. Mais moi je ne venais pas pour être draguée, je venais pour passer une audition ! On m’a aussi demandé s’il me plaisait… Moi j’avais peur justement, parce qu’il ressemble physiquement à mon conjoint, qui était à l’audience aussi. Je craignais qu’ils fassent le lien, qu’ils pensent que j’y étais allée parce qu’il me plaisait, alors que je n’avais rien derrière la tête !
Il a donc été condamné. On était trois plaignantes – la troisième n’était pas présente – et c’était déjà la troisième fois qu’il était condamné pour des faits similaires. Il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Il est jeune, il doit avoir mon âge… L’injonction de soins requise par le procureur n’a pas été retenue – moi c’est tout ce que je voulais, qu’il soit soigné et que ça ne se reproduise plus. Pour moi, c’était passé ; c’est la vie, c’est comme ça, je ne demandais pas de réparation. À l’issue du procès, j’étais surtout déçue, je me suis dit qu’il allait peut-être recommencer, d’autant qu’il n’avait pas une once de remord ; c’est comme s’il ne comprenait pas ce qu’il avait fait. Donc ça ne m’a pas apporté grand-chose, même si j’étais soulagée que ce que j’avais subi soit reconnu.
Il y a quelques semaines, le commissariat m’a appelée – c’était la première fois qu’on me rappelait à ce sujet – parce qu’il avait demandé une permission de sortie. Ils voulaient savoir où j’habitais maintenant, s’il avait mes coordonnées, ce que ça me faisait de savoir qu’il sortait, etc. Sur le coup, je n’étais pas bien, ça m’a replongée dans tout ça. Le fait qu’il sorte, en fait, ça m’est égal. J’aurais préféré qu’on ne me prévienne pas, je n’avais pas envie de reparler de tout ça.
J’ai dû me rendre au commissariat, et à l’accueil, j’ai vu des affiches à destination des victimes avec des coordonnées de psychologues, des informations sur des groupes de parole. On ne m’avait rien donné de tout ça en 2017. Il faut dire que je n’ai pas cherché non plus : moi, à cette période-là, je ne voulais surtout pas être considérée comme victime, donc je n’étais pas du tout dans cette démarche de parler avec des gens qui ont subi la même chose. J’avais vraiment envie d’oublier et de passer à autre chose. Aujourd’hui, je me rends compte que cette histoire a eu énormément d’impacts sur ma vie ; par exemple, je ne sors quasiment plus danser, alors que c’est ma passion depuis toute petite.
Pendant l’enquête, l’une de mes amies avait été convoquée pour être interrogée sur la personne que j’étais avant les événements, et celle que j’étais devenue après. La commissaire lui avait dit à cette occasion que le type était maltraité en prison, qu’il avait été violé, etc. Quand elle m’a raconté ça, j’étais mal. Ce n’est pas ce que je souhaitais. Les conditions dans lesquelles il pouvait vivre ont commencé à m’interpeller. Quand j’ai porté plainte, c’était pour que ça ne recommence pas, mais tout ça, je ne voyais pas ce que ça apportait, je m’inquiétais de l’effet que ça aurait sur lui. Ça m’a questionnée sur le but de l’incarcération : sanctionner la personne parce que ce qu’elle a fait n’est pas normal, d’accord, mais si c’est pour qu’elle ressorte encore pire, je ne vois pas l’intérêt. Est-ce qu’on ne peut pas mettre d’autres choses en place pour reconstruire les deux ? Comment faire pour que lui ne recommence pas et que les victimes se réparent ? »
À la suite de ce témoignage, Mélissa a réalisé que son agression n’avait pas fini de retentir sur sa vie. Elle a entrepris une psychothérapie avec la méthode EMDR, spécialisée dans les psycho-traumatismes, dont elle dit ressentir déjà les bienfaits.
Propos recueillis par Laure Anelli
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ?
*Le prénom a été changé