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À l’accueil famille, en attendant l’heure du parloir

Madame A. est bénévole à « l’accueil famille » d’une maison d’arrêt d’Île-de-France. Elle y reçoit les proches des détenus qui viennent leur rendre visite au parloir. Elle raconte l’importance de cet espace, véritable sas entre le dedans et le dehors.

Un copain de mes enfants a été incarcéré, et j’ai correspondu avec lui. Quand il est sorti, il m’a dit que cet échange entre extérieur et intérieur avait été très important pour lui. Alors j’ai fait des recherches sur les associations qui interviennent en prison, et une personne m’a parlé de l’accueil des familles. Je m’y suis présentée et finalement j’y ai trouvé mon compte : la preuve en est, je suis toujours là au bout de sept ans !

« On explique les démarches à suivre »

« J’ai de la chance, je suis du bon côté des murs » : voilà la première pensée que j’ai eue lorsque je me suis retrouvée devant la maison d’arrêt. Les familles, surtout les nouvelles, semblaient perdues. Il y avait beaucoup d’enfants, et très peu de choses pour les occuper. Rapidement, j’ai proposé d’apporter des jeux et installé un coin lecture. C’est important que le lieu d’accueil soit agréable pour eux, ils doivent attendre beaucoup et c’est un moment chargé, les enfants sont angoissés, les parents aussi.

Au départ, je n’osais pas aborder les visiteurs. Alors je proposais du café, je donnais à boire, des petits gâteaux. Avec un peu d’expérience on apprend à détecter s’ils ont envie, besoin de parler, ou pas. Un lien bienveillant se crée, on renseigne, on aide. Un certain nombre de visiteurs ne savent pas lire, alors on les aide à remplir les fiches pour le linge qu’ils apportent à leur proche. On leur explique les démarches à suivre pour les permis de visite. Parfois, on parle un peu de toutes ces questions qui reviennent : « Il n’y a pas de soins », « on mange mal », « il fait froid »…

Entre directives strictes et arbitraire

Il ne faut pas être en retard au parloir. Quelques minutes de retard, et c’est annulé. Et il n’y a en général aucun moyen de parlementer avec les surveillants, ni pour les familles, ni pour nous. Alors que les gens viennent parfois de très loin, que le voyage a un coût et que la plupart des familles ont peu de revenus. Pourtant, un jour, un jeune homme catastrophé est arrivé en retard, il n’avait pas trouvé la prison. Je lui ai dit d’essayer. Ça a marché, l’agent lui a trouvé une place pour un autre tour de parloir. Il a eu de la chance, j’ai vu des gens venir de très loin et se faire refouler.

Depuis qu’il y a une nouvelle borne électronique, il y a moins de dysfonctionnements pour la prise de rendez-vous. Mais la machine ne délivre toujours pas de récépissé. On le signale régulièrement aux surveillants, mais ça n’a rien changé. Nous espérons qu’un jour il sera enfin possible de prendre les rendez-vous par Internet. La réservation du premier parloir doit se faire par téléphone ou sur place. Par téléphone, c’est quasiment impossible, on n’a personne au bout du fil : il y a quelques temps, une dame m’a expliqué avoir appelé plus de 200 fois, sans succès !

Le dépôt de linge, heureusement, peut se faire même si on n’a pas encore obtenu son permis de visite. Mais l’administration pénitentiaire donne des directives très strictes : les sacs de linge propre que les familles apportent doivent être grands mais pas trop, et de couleur claire pour pouvoir écrire le nom et le numéro d’écrou dessus. Nous leur conseillons de mettre les vêtements dans des sacs en plastique simples, et nous les dépannons s’ils n’en ont pas. Les feuilles décrivant le contenu des sacs et le nombre de vêtements doivent être parfaitement remplies, sinon les sacs sont refusés.

Ici, lorsque l’on vient avec un bébé, on peut amener un biberon. Mais pas de gâteaux. Au moment des fêtes, les visiteurs peuvent déposer un colis de Noël pour leur proche. L’administration nous a donné une liste de ce qui est autorisé ou interdit. Le papier d’aluminium étant interdit, il faut déballer les chocolats. Les vache-qui-rit également doivent être déballées et ensuite mises en vrac dans un sac en plastique. Ils n’ont pas droit aux fromages durs. Le foie gras est autorisé, mais les détenus n’ont pas de frigo en cellule, et en attendant la distribution c’est entreposé dans le bureau des surveillants où à cette période il y a le chauffage. Les familles peuvent apporter des plats cuisinés, qui sont ensuite fouillés par le surveillant avec des gants, pour vérifier que rien ne soit caché dedans. Tous ces interdits absurdes, je crois que ça finit par pousser les gens à la déviance.

Des locaux dégradés

Quand j’ai débuté à l’accueil familles, la peinture était cloquée, c’était assez sale. Ils ont repeint depuis. Il reste toujours une urgence au niveau des casiers dans lesquels les visiteurs déposent leurs affaires : ce sont des casiers qu’on a récupérés d’une autre prison, qui sont dans un état épouvantable. Il y a souvent des tensions du fait qu’ils sont en nombre insuffisant, et qu’ils ne sont jamais nettoyés. On peut y trouver à boire et à manger, des miettes, des déchets. On essaie de les nettoyer de temps en temps, même si ce n’est pas notre rôle. Une commande de nouveaux casiers aurait été faite mais nous attendons toujours la livraison. Et il faudrait changer le mobilier, cet alignement de chaises pas confortables. On a tenté de faire un petit coin salon, mais tout est dans un état ignoble.

À l’intérieur, au parloir, les familles nous disent que c’est très sale. Des boxes avec trois tabourets en métal – il n’y a plus les murets de séparation qui ont été enlevés récemment. Les peintures avaient été refaites, mais ça reste blafard. En voyant ces boxes, j’ai mieux compris pourquoi les enfants en reviennent tellement énervés. Ils ont créé des parloirs famille en cassant la cloison entre deux boxes : c’est un peu plus large, mais il y a rien, pas de coloriage, pas un jeu, rien. Alors nous donnons aux enfants quelques feuilles de papier et trois ou quatre feutres, qu’ils nous ramènent en sortant, pour qu’ils aient au moins quelque chose pour le parloir. Un enfant, c’est une éponge, vous vous rendez compte de la vision qu’il a de tout ça après ?

À part ça, les familles parlent peu des conditions de détention. Ce qui ressort en premier, c’est la surpopulation. Ici dans beaucoup de cellules c’est deux lits superposés et un matelas par terre. Il n’y a pas de paravent pour les toilettes. Et puis l’hygiène, et les rats à l’intérieur. Les familles ne peuvent rien apporter à part le linge, il faut cantiner. Avec la surpopulation et la promiscuité, les familles s’inquiètent.

Les relations avec la pénitentiaire

À l’accueil familles, on est finalement assez isolés. On rencontre très peu les autres acteurs de la prison. On dirait que ceux de l’intérieur ne savent pas qu’on existe, chacun fait son boulot dans son coin. La direction ne vient pas nous voir. Les CPIP [conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation] pourraient nous dire, par exemple, quand les familles ont besoin d’aide, notamment financière, pour venir au parloir. Un budget de l’association y est alloué, on peut payer un billet de temps en temps, aider pour l’essence, bref, dépanner. Mais on n’a eu qu’une seule fois une demande. Avant, quand on les sollicitait, on avait l’impression de déranger, mais ça devrait changer, nous ne désespérons pas d’y arriver.

Le point de vue des surveillants est très différent. J’ai eu l’occasion de visiter la prison en même temps que des nouveaux stagiaires surveillants. Certains étaient déjà dans le jugement par rapport aux types de détenus, aux faits commis, alors qu’ils n’avaient pas encore commencé à travailler. On se demande comment ils vont être au bout d’un mois… De temps en temps à l’accueil familles, il y a des frictions entre visiteurs et surveillants, parfois même des insultes. Quand les langues se délient, certaines familles nous disent : « On en a marre, on nous traite comme du bétail. » La semaine dernière, après un refus de parloir, un homme m’a dit : « Ton copain est un connard ! » après s’être accroché avec un surveillant. Je lui ai expliqué que j’étais bénévole, que je ne travaillais pas avec cette personne et que je n’étais pour rien dans le refus qu’il venait d’essuyer. On est dans un contexte tendu ici, je comprends que les gens s’énervent.

Recueilli par François Bès et Mathieu Francès

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