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« Cette impression de crier dans le désert »

M. D. a passé quatre ans en maison d’arrêt, puis six en centre de détention. Libéré depuis peu, il raconte comment le sentiment de crier dans le désert fait passer des paliers dans l’échelle de la rage et de la violence. Devant la justice comme au sein de la détention, toute demande relève d’un rapport de forces usant, ne recevant pas de réponse, et toute parole peut se retourner contre soi.

Avez-vous l’impression d’avoir conservé un droit d’expression tout au long de votre parcours judiciaire et carcéral ?

Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir conservé un droit d’expression, à aucune des étapes judiciaires et carcérales. J’ai l’expérience de deux gardes à vue (GAV). La première, j’étais coupable, j’ai reconnu les faits. La seconde, pendant ma détention, résultait d’une accusation mensongère. Cette garde à vue a duré 36 heures, dont cinq heures d’interrogatoire avec une confrontation. Il était flagrant que j’étais d’emblée considéré comme coupable en début de GAV. Durant la nuit, un policier est venu par trois fois frapper dans ma porte : on peut obtenir des aveux en épuisant les gens. Nous sommes traités comme des animaux que l’on veut amener à un endroit bien précis : on leur fait parcourir un circuit, sans choix. On m’amenait par des questions à répondre selon leurs attentes. On a beau être innocent, on se sent fragilisé. A partir du moment où la confrontation a fait apparaître les mensonges de l’accusateur, j’ai été traité très différemment.

Lors de la procédure d’instruction, même si j’étais coupable et que j’acceptais de « payer », le procès-verbal dicté par la juge à la greffière comportait des phrases qui n’étaient pas les miennes, mais les siennes ! Vous êtes face à quelqu’un investi d’une certaine puissance et on vous fait bien comprendre que ce n’est pas le moment de contester. Du coup, j’ai laissé courir pas mal d’éléments : à un moment, vous êtes usé, vous laissez tomber.

En détention, par quels moyens communiquiez-vous avec l’administration ?

On voit très peu les surveillants, ils restent dans le poste d’information central (PIC). Avec eux, la communication directe était de règle; avec l’échelon du dessus, il fallait écrire. De nombreux courriers restent sans réponse: les surveillants relèvent le courrier, l’emmènent au PIC. Puis les lettres sont ouvertes par le chef de détention, qui ne les fait pas toujours suivre à la direction. Quand j’ai découvert le stratagème, j’ai écrit au directeur par la voie postale, en payant des recommandés avec accusé de réception. De cette façon, j’obtenais en général des réponses. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre.

Comment vos demandes étaient-elles traitées ?

La communication directe tombe toujours à l’eau. Quand je suis arrivé à Salon-de-Provence, je me suis retrouvé dans une cellule où il n’y avait pas de chaise. A chaque changement d’équipe – matin et après-midi –, je signalais mon problème. Au bout de quinze jours, trente demandes donc, je n’avais toujours aucune réponse. Un jour, j’ai vu une cellule se libérer, j’ai pris la chaise qui s’y trouvait. Souffrant d’une hernie discale, j’ai écrit au chef pour avoir un deuxième matelas. Après huit jours, je n’avais pas de réponse. J’en suis donc venu à menacer, j’ai dit au surveillant que j’allais prendre une chaise et taper sur tout ce qui bouge. J’ai alors pu rencontrer le chef, qui m’a avoué avoir retrouvé mon courrier sous une pile.

Aviez-vous des possibilités de dialogue avec d’autres détenus, avec certains personnels ou intervenants ?

La discussion est possible avec les autres détenus, mais il faut se méfier de ce qui va être rapporté à d’autres et à l’administration. Quand vous n’êtes pas en secteur fermé, il est possible d’aller chez un copain, ou qu’il vienne chez vous. on peut aussi se rencontrer lorsqu’il y a des activités, à l’atelier… Le service des soins psychiatriques constitue également un véritable exutoire. La psychologue connaissait tous mes problèmes avec la pénitentiaire, mais elle n’avait aucun pouvoir pour les résoudre…

Quelles conséquences engendre, selon vous, le manque de possibilités d’être entendu en détention ?

On peut parler, mais c’est le retour qui manque. Ne pas être entendu provoque une incompréhension, une colère sourde. On peut se renfermer, devenir taciturne. Cela monte dans la tête et se transforme en haine, en rejet du système. C’est comme une mèche brûlant lentement qui va faire exploser le baril de poudre. Cela se traduit en insultes, en coups de poing envers d’autres détenus. Certains mettent le feu, se coupent, voire finissent par se suicider. Tout cela arrive souvent faute d’être entendu. La non-communication avec les surveillants, l’accès difficile aux chefs, la persistance des problèmes finissent vraiment par taper sur le système. On devient de plus en plus virulent à force de se heurter à un mur. Certains sont de plus en plus nerveux et violents, ils explosent. Moi, la violence physique n’est pas dans mon tempérament, j’ai eu recours à l’écrit. Ce rapport de forces permanent est usant. Je suis libéré depuis deux mois, mais la façon dont j’ai été traité comme un moins que rien me ronge encore.

Quelles ont été, pour vous et vos proches, les conséquences des contrôles sur les correspondances, les conversations téléphoniques, les parloirs ?

Beaucoup de frustration. La famille doit faire attention à ce qu’elle écrit et dit. Dans le courrier, je retenais ma main. On ne peut pas écrire des choses intimes à sa femme, car on sait que l’on sera lu. Au téléphone, je retenais ma langue. L’an dernier, j’ai été sanctionné de sept jours de confinement après avoir envoyé une lettre à mes parents. La motivation de la sanction mentionnait des « propos diffamatoires » visant le directeur. A l’extérieur, si je me plains de mon patron dans un courrier à ma mère, je ne serai pas sanctionné. En prison, tous nos propos peuvent se retourner contre nous. Un détenu devrait pouvoir parler de la pénitentiaire dans une correspondance privée, pouvoir écrire librement, sans l’épée de Damoclès de la sanction. On ne peut pas dire des choses intimes à sa femme, car on sait que l’on sera lu. Bien sûr, si vous diffamez et que vous envoyez de fausses informations à la presse, c’est autre chose, mais cela relève du droit commun.

Quelles évolutions jugez-vous possibles et souhaitables à propos des communications avec l’extérieur ?

Je m’interroge sur l’utilité du contrôle des écrits et des conversations téléphoniques. On peut toujours arriver à faire sortir une lettre sans passer par la voie imposée par l’administration afin qu’elle ne soit pas lue. de même, les téléphones portables sont omniprésents malgré leur interdiction. Ceux de mes connaissances qui en avaient s’en servaient juste pour communiquer avec leurs proches : la cabine téléphonique coûte très cher, les horaires sont limités. Les portables permettent une liberté de parole: on peut critiquer librement les personnes avec lesquelles on a des problèmes, on peut dire des choses intimes à sa petite amie.

Pourquoi est-ce si important, pour vous, de témoigner aujourd’hui de votre expérience carcérale ? Votre voix est-elle entendue ?

Je ne parle pas de ma condamnation, je l’ai assumée. Je critique tout ce qui s’ajoute à la privation de liberté. J’ai mené des combats à propos des courriers, de la fouille intégrale, dans l’espoir de provoquer de l’amélioration, pour avancer. Si nous continuons à ne rien dire, rien ne changera jamais. Néanmoins, j’ai beau aller devant les tribunaux et sans cesse me battre, je n’ai toujours pas l’impression d’être entendu. Je demande des choses normales, j’apporte des explications, et ça ne bouge pas ! reste cette impression de crier dans le désert.

Propos recueillis par Barbara Liaras