Free cookie consent management tool by TermsFeed

De surveillante de prison à femme de détenu

Lorsqu’elle a rencontré Christian, incarcéré pour une peine de vingt ans, Céline était surveillante. Après un an de relation clandestine, elle a raccroché l’uniforme pour vivre son histoire et découvert une autre réalité : celle de conjointe de détenu.

On s’est rencontrés en 2010. J’étais surveillante, il était détenu. Il y avait entre nous quelque chose qui ressemblait de plus en plus à de l’amour.

Tant qu’on était dans la même prison, il n’y a pas eu de relation, on a été carré. On communiquait par courriers : c’était plus discret que de passer un quart d’heure à discuter. Mais même par correspondance, il fallait ruser : il adressait ses courriers à une connaissance, qui me les faisait suivre. Au final, je dois avoir trois ou quatre grands cartons de lettres ! Il a très vite demandé à être transféré. Je ne suis pas allée le voir le temps que je finisse ma formation pour changer de métier. On n’a vraiment pu commencer notre relation de couple qu’un an après. »

Premiers parloirs : l’amour à la sauvette

« C’est en 2011 qu’a véritablement commencé notre vie de couple. Au début, ça a été compliqué : les premières fois que j’entrais en prison, j’avais peur de croiser un ancien collègue. Même entre nous, il y avait beaucoup de conflits pour des bêtises. Je restais campée sur ce que j’avais appris à l’AP [administration pénitentiaire] et Christian, sur son expérience de détenu. Deux mondes. Il a fallu que j’apprenne à basculer, ou notre relation n’aurait pas tenu. J’ai dit “vie de couple”, mais on n’a même pas pu bénéficier d’un moment intime après notre cérémonie de mariage : dans le centre de détention où il était, il n’y avait pas d’UVF [unité de vie familiale1] et les parloirs étaient des boxes ouverts. Dans ceux situés au fond du couloir, il n’y avait aucun vis-à-vis. Ça se battait entre couples, il fallait courir ! Notre relation se limitait essentiellement à de la discussion, à part quelques rares fois où on s’est permis de le faire discrètement. Moi qui n’étais pas féminine, j’ai découvert l’utilité de porter des robes ! »

© Grégoire Korganow / CGLPL

Côté surveillants, choisir de ne pas voir

« Pour l’avoir vécu, je sais que ce n’est pas simple non plus pour les surveillants. Pour ma part, je ne me suis jamais permis de regarder dans les boxes. C’est intime. Je passais sans voir. Il faut le vouloir pour vraiment voir. J’ai connu des collègues qui me disaient : “Celui-là, tu ne lui laisses rien faire” ou alors “Celui-là, il m’a saoulé en service de nuit, je vais le surveiller de près au parloir”… C’est vraiment de l’arbitraire. De notre côté avec Christian, on n’a jamais eu de souci avec les surveillants, on savait rester discrets. Au moindre bruit de clés, on s’arrêtait. En prison, il faut apprendre à se contenter de ce qu’on a et saisir le moindre moment. Je suis tombée enceinte. »

« J’ai ouvert les yeux sur plein de choses »

« En 2012, il a été transféré dans une maison centrale de l’est de la France, alors que je vivais au pays basque. Pour le voir, je devais faire plus de mille kilomètres en un week-end. La fatigue, le stress. Je n’y allais plus qu’une fois tous les deux mois. Avec l’éloignement familial, j’ai ouvert les yeux sur plein de choses dont je n’avais pas conscience quand j’étais surveillante. Je voyais les transferts, mais pas les conséquences sur la famille. Je suis passée de l’autre côté. J’ai pris une bonne claque. Je me suis demandé comment on pouvait faire ça à une famille. Au moins, dans cette centrale, il y avait des salons familiaux. On a enfin pu se connaître de manière intime.

Heureusement, au bout de neuf mois, il a été transféré dans une centrale en région parisienne, et j’ai trouvé un travail à Montreuil. On pouvait se voir tous les week-ends. Il y avait des UVF et des parloirs, des boxes fermés, mais avec plus d’intimité qu’en maison d’arrêt, car moins de passage des surveillants. C’est dans cette centrale que j’ai eu la première remarque sur mon petit garçon. Une bénévole de l’accueil famille m’a dit : “C’est un bébé parloir, ça !”. Je lui ai répondu : “C’est un bébé parloir, mais c’est surtout un bébé de l’amour !”. Elle s’est excusée. »

Premières UVF : apprendre à lâcher prise

« Les deux premières UVF, je les ai très mal vécues. Je rentrais avec une montre, et je ne pensais qu’au moment où ça allait se terminer. Je me disais : “Mon Dieu ! Dans trois heures c’est fini !”. Je ne profitais pas du tout de l’instant. La deuxième UVF s’est terminée en conflit. Ensuite, je me suis dit “Laisse ta montre !”. Et puis j’ai commencé à me lâcher un peu. On a pu se découvrir autrement. Partager un repas, jouer avec les enfants, dormir ensemble, regarder la  télé… Des choses simples qu’on n’avait encore jamais faites. Je sais maintenant qu’il est maniaque sur le ménage, par exemple ! Il y a des chambres séparées. Les enfants2 ont la leur, et nous la nôtre, ce qui permet d’avoir une intimité.

Question sexualité, le manque n’a pas eu de conséquences sur ma vie quotidienne. Mais mon mari, lui, le ressent. Le reste du temps, en détention, je sais qu’il regarde des films X, on en discute. J’ai aussi commencé à aller le voir seule, deux ou trois fois par mois. Après six ans de relation, j’ai toujours autant de désir pour lui mais il reste une appréhension à chaque fois qu’on se retrouve pour les UVF : comme les relations ne sont pas fréquentes, il y a toujours un enjeu, la crainte que ça ne se passe pas bien. Finalement, on se redécouvre à chaque fois. Il voudrait que je vienne seule plus souvent mais je ne trouve pas toujours quelqu’un pour garder les enfants. »

Retour aux parloirs : « Se contenter de petits bisous »

« Au CD [centre de détention] où il est maintenant, il n’y a pas d’UVF. Ce sont des boxes dont certains ferment, d’autres pas. Je n’ai pas encore osé avoir de relation sexuelle, il faut se contenter de simples caresses ou de petits bisous. Et il y a des caméras dans chaque coin de la salle. Je croyais que c’était interdit, j’ai été surprise. Je ne sais pas si elles fonctionnent. Les surveillants ne passent pas mais s’ils regardent par la caméra, ils n’ont pas besoin de passer. Au début, ils ne voulaient pas laisser entrer le petit au parloir. Ils estimaient qu’il “était trop petit”. J’estimais que c’était à moi de décider. J’ai fait du forcing, j’ai dû batailler. J’évite de parler de mon passé de surveillante, mais parfois ça sert de montrer qu’on sait, qu’on connait l’envers du décor. La salle est minuscule, avec des cloisons assez basses. Quand on est debout, on voit tout ce qui se passe. Là encore, le regard et les commentaires des autres sont pesants. Quand on a l’habitude de venir avec ses enfants et qu’exceptionnellement on se présente seule, les gens font des sous-entendus : “Tiens, tu es toute seule aujourd’hui ?” On comprend très bien ce que ça veut dire…

Mon mari en est à sa onzième année de détention, il est permissionnable. En prison, il a passé des diplômes, fait des formations, il travaille, il paie les parties civiles. Il a obtenu une permission l’été dernier. Mais depuis qu’il a été transféré, on lui refuse de nouvelles permissions. Je demande au service pénitentiaire d’insertion et de probation pourquoi ça bloque, car les expertises psy sont bonnes, ils ne savent pas me dire. »

Recueilli par François Bès

(1) Les unités de vie familiales sont des appartements meublés de type F2 ou F3, situés dans l’enceinte pénitentiaire mais à l’extérieur de l’espace de détention. Les personnes détenues peuvent y recevoir un ou plusieurs proches pendant une durée comprise entre 6 et 72 heures. Les visites ont lieu hors de la présence du personnel de surveillance, qui ne peut ni voir, ni entendre, ce qui se passe à l’intérieur de l’UVF.

(2) Céline a également un fils né d’une précédente union.

Soutenez la diffusion du guide du prisonnier