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Djamel, vingt-deux ans de révolte entre transferts et quartiers disciplinaires

Incarcéré en 2000 à 18 ans pour une peine de 2 ans, Djamel K. n’est jamais ressorti de prison. Destructions de cellules, outrages et menaces à surveillants, moins souvent violences : en 22 ans, il a récolté près d'une trentaine de condamnations pénales pour des faits commis en prison, et effectué l'essentiel de sa peine au quartier disciplinaire. Sa fin de peine est actuellement prévue en 2027.

Parmi les signes particuliers notés sur la fiche pénale de Djamel, on peut lire : « cicatrice à l’abdomen » – conséquence d’un coup de couteau assené par un proche lorsqu’il était plus jeune. Tout au long de son enfance, Djamel fait les frais d’un père alcoolique et violent. « Il le mettait dehors, refusait qu’il rentre. Donc il était tout le temps dans la rue, c’est là qu’il a commencé les bêtises, explique sa sœur. Il a été placé en foyer, il fuguait. Et à ses 18 ans, il a été incarcéré. »

Le 13 décembre 2000, Djamel est placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Besançon, pour des faits de vols. Quelques mois plus tard, alors qu’il est encore prévenu, le parquet met à exécution trois peines antérieurement prononcées : cinq mois et quinze jours de prison ferme, pour des faits de vols et outrage à personne dépositaire de l’autorité publique. En juillet 2001, la condamnation pour les faits ayant valu son placement en détention provisoire tombe : vol en récidive, deux ans. Sa fin de peine est alors prévue en août 2003.

Dix transferts en un an

En août 2001, il vit son premier transfert, vers le centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. Commencent alors des années chaotiques. Entre 2001 et 2002, il est transféré neuf fois et voit sa peine rallongée à plusieurs reprises : huit mois pour des violences à l’encontre de surveillants, six mois pour un feu de cellule. L’année 2003 semble l’ancrer définitivement dans un cercle vicieux : il connaîtra dix transferts en douze mois, et récoltera quatre ans et un mois de prison supplémentaires. Le bout du tunnel s’éloigne ; sa fin de peine est dorénavant en septembre 2008. « Il était révolté par le cumul de ses premières peines. Et il n’a jamais su jouer le rôle qu’on attendait de lui en prison », expose son frère. « Il est têtu, il veut toujours avoir le dernier mot. On lui a dit que c’est la justice qui aurait le dernier mot », souffle sa sœur.

Insultes, outrages, destructions de cellule, violences sur les surveillants : chaque année ou presque continue d’apporter son lot d’incidents, de nouvelles condamnations pénales et de transferts. Aucun établissement ne souhaite le garder bien longtemps, et pour Djamel et ses proches, un tour de France des établissements pénitentiaires commence : de 2003 à 2013, il sera transféré plus de quatre-vingt fois et restera rarement plus de trois mois dans un même établissement. Sa fin de peine quant à elle recule progressivement : fin 2009, elle est en 2013.

2010 est une annus horribilis : 76 mois de prison ferme sont prononcés par différents tribunaux pour huit affaires, soit plus de six ans au total. Aucun fait de violence condamné cette année-là, mais des destructions et feux de cellule, outrages, menaces et dénonciations mensongères. En 2012, des violences sur surveillants assorties d’outrages et rébellion repoussent encore sa fin de peine à l’horizon 2025.

« Rien ne changera et je resterai au mitard »

C’est à cette époque que le rythme des transferts ralentit. Trois établissements fréquentés en 2013, deux en 2014. En 2015, il reste un an à la prison de Condé-sur-Sarthe. Puis quinze mois à Vendin-le-Vieil. Un an et demi à Valence, un peu plus de deux ans à Moulins-Yzeure. Des années entièrement effectuées au quartier disciplinaire, qu’il bloque systématiquement depuis longtemps déjà. « Je refuse d’intégrer la détention normale depuis plusieurs années car j’estime avoir largement payé ma dette. Je n’ai tué personne, je ne cherche rien d’autre que ma sortie de prison. Dans ces conditions, jamais de la vie l’administration n’obtiendra quelque chose de positif de moi, rien ne changera et je resterai au mitard », écrit-il ainsi à l’OIP en 2014.

Absence de télé, accès au téléphone et aux cantines restreint : à ce quotidien austère du quartier disciplinaire s’ajoute la gestion ultrasécuritaire, par l’administration pénitentiaire, de ce détenu considéré comme dangereux. Ses déplacements se font menotté, encadré par de nombreux surveillants équipés de casques et boucliers. « Au parloir, on attendait quinze minutes de plus que les autres familles, et on le voyait arriver, amené par quinze surveillants », se rappelle son frère. Une escorte qui, selon Djamel, l’accompagne également lorsqu’il veut téléphoner. À l’époque, sa famille tente diverses démarches pour l’aider à sortir de prison, contacte des associations, écrit au Comité de prévention de la torture, aux gardes des Sceaux qui se succèdent, en vain : ses demandes de confusion de peine sont rejetées.

En guerre avec l’administration pénitentiaire, rien ne peut le persuader de quitter le quartier disciplinaire, pas même les transferts en Auvergne-Rhône-Alpes, qu’il réclame pourtant depuis qu’il a été envoyé hors de la région en 2013. Si l’administration pénitentiaire a refusé en 2015 sa demande de rapprochement familial, elle y accède en 2017 et acte de son transfert à Valence.

Cette stratégie du « pas en avant » ne porte cependant pas ses fruits : « J’ai directement refusé les formalités d’écrou et je suis allé de moi-même au QD », écrit-il à l’OIP peu après son arrivée, expliquant alors vouloir être transféré à Moulins-Yzeure. De son côté, l’administration pénitentiaire explique ne jamais avoir réussi à instaurer un dialogue. « Nous avions des audiences quasi-hebdomadaires pour essayer de le faire sortir du QD, se souvient un membre de l’équipe de direction de l’époque. Nous avons essayé de trouver des leviers, d’identifier des revendications précises, mais tout a échoué. Le personnel médical pouvait avoir accès à lui selon les périodes, mais c’était compliqué et il n’adhérait pas aux soins. »

« Il ne pensait pas à la sortie, il était défaitiste »

À cette époque, le dialogue semble irréversiblement rompu – avec toutes les autorités. Quelques mois auparavant, sa demande de confusion de peine a été rejetée. « Attendu que l’intéressé ne justifie d’aucune démarche de réinsertion, qu’il a par ailleurs été condamné à de nombreuses reprises, notamment pour des faits similaires ; qu’il est à ce jour libérable en 2025, il convient de rejeter la requête », motive le magistrat. Toujours en 2017, alors qu’il est jugé en comparution immédiate pour destruction de cellule, insultes et crachats sur les surveillants, il écrit à l’OIP : « J’ai refusé d’être entendu en garde-à-vue. Je ne me suis pas expliqué, et pareil au tribunal. J’ai refusé l’avocat, j’ai refusé de prononcer un mot, j’ai insulté le procureur. » Bilan :
dix-huit mois de prison supplémentaires.

Il coupe également les ponts avec les organismes et associations qui le suivent. En visite à Valence, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté lui propose un entretien, qu’il décline. « J’ai refusé de les rencontrer et de leur parler car j’ai coupé tout contact avec ces gens-là comme avec le Défenseur des droits. Ils ne servent à rien, cela fait des mois que je les alerte sur ma situation à Valence et ils ne font rien. Ils ne sont pas dignes de parole », s’emporte-t-il dans un courrier à l’OIP. C’est également à cette époque que sa famille saisit la Ligue des droits de l’Homme. Le responsable local s’empare du dossier et obtient l’autorisation de lui rendre visite. « Il était particulier, il jetait ses excréments sur la porte et les gardiens, se souvient-il. On m’a proposé de m’équiper d’une combinaison spéciale pour aller le voir, mais j’ai refusé ! On ne traite pas les gens comme des animaux… Quand je l’ai rencontré, il lisait des magazines sur la mécanique, les voitures. Il écoutait la radio du matin au soir. Il semblait “ouvert” au monde, même s’il lui arrivait de répéter plusieurs fois la même chose et de répondre approximativement. Mais quel être humain pourrait résister aussi longtemps entre quatre murs ? » Le second entretien se passe moins bien. « C’était une boule de nerfs. La peine actuelle, par rapport à la peine initiale, on voyait que ça le rongeait. Il ne pensait pas à la sortie, il avait baissé les bras. Il était bloqué sur l’idée d’aller à Moulins. Les conseillères d’insertion et de probation elles aussi avaient abandonné. » Le bénévole cesse alors de lui rendre visite.

« Autant rétablir la peine de mort »

Un an et demi plus tard, Djamel obtient à nouveau gain de cause : il est transféré à Moulins-Yzeure. Mais à peine trois jours après son arrivée, il refuse de réintégrer sa cellule, et passera les deux ans de son incarcération là-bas au quartier disciplinaire. Interrogé sur les raisons de ce nouveau blocage, il explique rétrospectivement : « Les raisons de ce blocage, les vraies, c’est le cas depuis plusieurs années, c’est que je me bats pour ma liberté, ni plus, ni moins. Quel être humain accepterait de subir la détention arbitraire que je subis depuis plusieurs années ? C’est tout simplement impossible, actuellement j’ai une fin de peine prévue en 2027 alors que je suis en détention depuis décembre 2000. Autant rétablir la peine de mort. Je n’ai rien fait qui puisse justifier toutes ces années de prison déjà faites, donc je mène mon combat à ma façon pour réclamer ma libération. »

« Quand il est rentré, c’était un adolescent, et aujourd’hui, c’est un homme de presque quarante ans. Que peut-on construire durant tout ce temps au quartier disciplinaire ? Je ne sais pas comment il a fait pour tenir », souffle sa sœur. Avec les années, les liens avec sa famille se sont étiolés. « Aujourd’hui, il est dans sa bulle, il ne veut parler à personne, il est complétement braqué. On fait six heures de route pour le voir, et il refuse de venir. Il n’en peut plus, il nous en veut. On a tout tenté, tout essayé, mais il nous en veut et d’une certaine manière je le comprends », explique sa petite sœur. « À certains moments, nous étions moins disponibles, il a peut-être eu l’impression qu’on le laissait tomber », regrette son frère. Sa famille espère néanmoins voir le bout du tunnel se rapprocher. « Là, ils ont arrêté de lui rajouter des années, ils ont peut-être compris que ça ne servait à rien », avance prudemment sa sœur. Sa dernière condamnation remonte à 2019 pour des dégradations et outrages, et il n’a été convoqué que quatre fois en commission de discipline cette année, contre jusqu’à vingt-et-une fois les années précédentes. « Ces dernières années, je crois qu’il est plus calme, mais aussi plus renfermé, complète son frère. Il était en combat contre la prison, mais c’était un combat perdu d’avance… »

Par Charline Becker

 

Cet article a été publié dans le N°116 de la revue Dedans Dehors : Peines nosocomiales, quand l’enfermement n’en finit plus