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La violence à l’état brut : ce qui nous parvient

Nous faisons le choix de reproduire ici les témoignages anonymisés de personnes détenues ou de leurs proches afin de donner à voir le type d’alertes que nous recevons régulièrement et qui ont motivé l’écriture de ce numéro de Dedans Dehors (Violences des surveillants : brisons le silence) et du rapport (Omerta, opacité, impunité : enquête sur les violences des agents pénitentiaires sur les personnes détenues) qu’il accompagne. Ils ont été sélectionnés pour leur représentativité des situations de violence que cette enquête de grande ampleur a permis d’établir. Ils sont néanmoins à lire avec prudence : en tant que telles, ces allégations sont difficilement vérifiables. Les raisons, largement développées et documentées au fil des pages de ce numéro – et, plus encore, dans notre rapport – sont multiples.
Tout d’abord, la question des témoins, nécessaires pour recouper une information. Par définition illégitimes, ces violences sont généralement commises à l’abri des regards. Et même dans le cas où elles se seraient déroulées devant témoins, encore faut-il que ces derniers soient identifiables. Et qu’ils acceptent de parler. Mais entre les risques de représailles auxquels ils s’exposeraient et l’esprit de corps par lequel les surveillants sont liés, peu sont prêts à le faire.
Par ailleurs, nous ne prenons l’initiative d’alerter les autorités judiciaires ou de confronter l’administration pénitentiaire aux récits des personnes qui nous saisissent qu’avec l’accord de ces dernières. Or, nos courriers restent souvent sans réponse, sans qu’il ne nous soit possible d’en connaître la raison. Il se peut qu’ils n’aient pas trouvé leur destinataire, que le courrier ait été bloqué*, ou que les personnes détenues n’aient pas souhaité y donner suite, notamment devant les risques que cela pourrait représenter pour eux.
Nous pensons malgré tout que par leur masse (190 allégations de ce type reçues entre avril 2017 et avril 2019), leur récurrence et les points de convergence que l’on peut y déceler, ils attestent de la réalité d’un phénomène.

« Ce jour, j’ai été menacé et intimidé par deux détenus afin que je m’introduise un téléphone portable dans l’anus et je l’ai fait par peur de représailles. Lors de la remontée des promenades, j’ai été pris par un brigadier-chef ainsi que deux surveillants pour une fouille à corps. Lors de la fouille, je me suis déshabillé intégralement puis on m’a demandé de faire deux flexions, chose que j’ai faite et qui s’est révélée négative, les surveillants n’ont rien trouvé. C’est à ce moment-là qu’ils m’ont violenté, porté des coups, abusé de leur pouvoir en m’étranglant [Ndlr : probablement avec une clé de bras] pendant que le deuxième surveillant, au moment où j’étais plaqué au sol, [m’a] écarté les jambes et a introduit [ses] doigts dans mon anus. (…) J’ai subi des attouchements sexuels et un viol. Une enquête interne a été lancée, j’ai été entendu par le lieutenant-chef qui a vu que je ne mentais pas. (…) Je veux déposer plainte contre les deux surveillants ainsi que le gradé qui était devant la porte et a tout entendu, il aurait pu intervenir pour stopper les violences : c’est de la complicité et abus de pouvoir. Depuis ce jour, je demande à voir un docteur (…). [Cinq jours plus tard] j’ai été vu par le docteur à qui j’ai demandé un certificat médical : il me l’a refusé en me disant que ce n’était pas à lui de faire cela. (…) Depuis ce jour je me sens humilié, je passe mon temps à pleurer et songe à mettre fin à mes jours, je suis arrivé à un point où j’ai perdu la raison et j’ai des idées noires. »

« Ce que je craignais le plus vient d’arriver. Les gardiens sont venus me tabasser, habillés en tenue d’intervention avec casques et boucliers. Je faisais la sieste, ils sont entrés à cinq ou six dans ma cellule pour me jeter à terre, m’écrasant la tête au sol, le dos, les jambes avec leurs chaussures pour me menot­ter dans le dos en me tordant bras, poignets, pieds et jambes, en me mettant des coups de poing dans les mains, les bras et la tête. J’ai des traces de griffures aux deux poignets à cause des menottes, la peau de mon avant-bras droit est arrachée à trois endroits, j’ai du sang autour de la bouche et des bleus aux lèvres. Mon arcade droite est gonflée avec un bleu. Sur le front et le visage, j’ai des tâches rouges de coups ; ils m’ont traîné pieds nus jusqu’à la douche, plié en deux, pour me plaquer contre le mur et me mettre à poil et sont partis fouiller (saccager) ma cellule, en me laissant comme ça pendant 45 à 60 minutes environ. Ils ont arraché l’aimant du frigo, cassé mes stylos et mes deux paires de lunettes, tout jeté par terre, fouillé dans tous mes papiers.
Ils sont revenus me chercher à la douche en m’écrasant la tête et le corps contre les barreaux de la fenêtre pour me remenotter dans le dos et me retraîner jusqu’à la cellule plié en deux. J’ai cru qu’ils allaient me faire un transfert forcé.
Je n’ai pas pu voir leurs têtes, certains avaient des cagoules et me disaient : ‘‘Tourne-toi, ne me regarde pas !’’ J’ai pu reconnaître monsieur F. avec sa chemise bleu ciel, c’est tout ! Je tremblais, j’étais tétanisé, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je leur disais d’arrêter de me frapper, que j’avais mal.
En refermant la porte de la cellule, ils ont dit : ‘‘Fouille de cellule règlementaire !’’ Mon polo noir manches longues est déchiré au poignet droit, j’ai le poignet droit gonflé, j’ai mal aux deux poignets, aux bras, dans le dos, à la tête, aux lèvres, au front, à l’œil, dans les mains, les jambes !
C’est honteux et scandaleux, ce qu’ils viennent de faire, c’est gratuit ! Ensuite, voyant mes bleus, à 16h, ils m’ont refusé l’accès à l’infirmerie, alors que tous les vendredis après-midis, j’ai un rendez-vous per­manent avec les infirmiers ! Et quand j’ai demandé pourquoi cette fouille violente, on m’a répondu : ‘‘C’est parce que tu ouvres trop ta gueule, tu te plains trop aux autorités dehors’’. »

« Au retour de mon parloir, je passe en salle de fouille et l’on trouve sur moi des feuilles à rouler (…). Les surveillants me les saisissent en m’avertissant du futur CRI [compte-rendu d’incident]. Au moment de me rhabiller, un surveillant me dit ‘‘dépêche-toi !’’, je lui réponds que je prendrai mon temps. (…) Ils m’ont sauté dessus. Sur les quatre surveillants présents, trois m’immobilisaient pendant que le quatrième me rouait de coups de poing à l’arrière de la tête. Après s’être défoulés sur moi pendant plus d’une minute (…), ils m’ont ramené manu militari en salle d’attente. J’y suis resté plus d’une demi-heure. Un chef m’a ouvert la porte, je lui ai expliqué la situation, il m’a dit de remonter en cellule. À mon sens tout ceci est dû au fait que j’ai dénoncé un de leurs collègues qui a été violent envers les détenus et qui m’a un jour frappé sans raison. »

« Alors que j’étais en salle d’attente, le surveillant était de mauvaise humeur, il m’a interpellé parce que je rigolais, il a commencé à crier, je lui ai dit ‘‘j’ai rien fait’’ et il s’est mis à m’insulter, ce qui ne m’a pas plu. Je me suis énervé – sans lui porter de coup ni l’insulter. Le chef [de détention] a entendu qu’il y avait du bruit dans le couloir, il m’a attrapé par la gorge, le surveillant lui m’a attrapé par les cheveux et m’a asséné un coup de poing au visage. Je suis tombé par terre. Au sol, le surveillant me mettait des coups de rangers pendant que le chef me mettait les menottes. À aucun moment je ne leur ai porté de coup. (…) Maintenant, dès que je vois [ce surveillant], je n’ose pas le regarder, j’ai un sentiment de honte, de me voir avec sa chaussure sur mon visage. »

« Monsieur N., détenu de mon étage, voulait se rendre chez le coiffeur de la prison (…). Il eut une très brève altercation verbale avec le major (…). Ni une ni deux, le major empoigna N. par le col et demanda à la surveillante de refermer la grille (tout en invectivant le détenu et le secouant) (…). Le major jeta le détenu dans une salle d’attente à la porte vitrée et s’engouffra dedans avec un surveillant du greffe. Celui-ci mit son corps face à nous devant cette vitre pour que nous ne voyions pas les coups portés au détenu enfermé et esseulé face à la colère du major. Cette situation a été un vrai traumatisme pour ce détenu et pour nous-mêmes. (…) Lorsque je m’exprimai à la surveillante sur l’illégalité de ces agissements, sa réponse fut brève : ‘‘Je n’ai rien à dire sur les méthodes de travail instaurées par mes nouveaux supérieurs.’’ »

« J’ai été placé au QD [quartier disciplinaire] suite à une intervention avec la gorge en sang et l’épaule déboîtée alors que je n’ai opposé aucune résistance et [que cette intervention] n’avait pas lieu d’être (ils m’ont reproché d’avoir voulu agresser un surveillant, j’ai été condamné à vingt jours de QD sans que les faits [soient prouvés], malgré les caméras). Suite à cet incident, j’ai demandé au médecin (…) d’exa­miner mon épaule car j’avais très mal (je ne pouvais plus bouger le bras et j’avais des hématomes tout le long du cou) (…) je n’ai pas pu le faire constater suite au refus du médecin de me faire une expertise. »

« Je me lance aujourd’hui afin de vous dénoncer la violence qu’a subi mon époux incarcéré de la part des surveillants pénitentiaires. Lors de notre dernier parloir, tout s’est très bien déroulé jusqu’à ce que notre visite soit interrompue par deux agents pour des faits mensongers de ‘‘relation sexuelle devant notre fils’’ – ces fausses accusations sont entre les mains de notre avocat. À la suite de cette interrup­tion de visite, mon époux sort de notre box tandis que quatre surveillants viennent me cacher la visibi­lité en mettant leurs mains sur la vitre afin que je ne puisse pas assister à ce qui se passe dans le couloir menant à la salle d’attente des détenus. Pendant ce temps mon époux est étranglé [Ndlr : probablement avec une clé de bras] par derrière de plus en plus fort jusqu’à ce qu’il dise au surveillant qu’il va faire un malaise. L’agent décide alors de le faire tomber au sol et il est alors roué de coups par tous les sur­veillants présents, c’est-à-dire entre dix et quinze agents. Mon mari est alors amené au quartier disci­plinaire où il verra un médecin pour les coups et blessures qu’il a subis : il devrait recevoir dans les jours à venir le certificat médical. Depuis, mon mari a la crainte que tout ceci se reproduise, mais je ne lâcherai rien pour faire valoir nos droits. »

* Nous recevons fréquemment des allégations de détenus en ce sens. Les courriers de l’OIP, à la différence de ceux des organes de contrôle, des avocats ou du procureur, ne bénéficient pas du sceau de la confidentialité. Ils peuvent donc légalement être ouverts et lus par l’administration pénitentiaire.