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Le droit pour abattre des murs

V.R. a 40 ans. Incarcéré dès l’âge de 18 ans, il a passé au total plus de treize années en prison. Derrière les murs, il a découvert l’usage qu’il pouvait faire du droit. Sorti en avril 2017, il a repris des études et entend poursuivre son combat pour le respect des droits des détenus.

« Ma première incarcération a duré dix mois, j’avais 18 ans. Six mois après ma sortie, j’étais à nouveau condamné pour les mêmes faits, infraction à la législation sur les stupéfiants. J’ai pris trente mois et j’en ai fait vingt-huit. Libéré, je reste six mois dehors et là, une peine criminelle pour braquage. Quatre ans de détention provisoire, condamnation, je m’évade, je suis repris au bout de six mois. J’ai été condamné à onze ans, j’en ai fait sept et demi. À ma sortie en 2008, que je considère comme la fin du mauvais cycle, je suis resté sept ans dehors, jusqu’en février 2015. Un retour en prison pour ce que j’appelle le solde, un ensemble de petites peines éparses prises pendant la détention, quatre ans au total. J’ai fait vingt-six mois et j’ai été libéré en avril 2017. »

La solidarité entre détenus

« À ma première incarcération, je m’étais cru préparé psychologiquement, mais les premiers moments à Douai ont été durs. Une désagréable sensation de froid et d’isolement. Puis j’ai eu la chance de me retrouver en cellule avec un détenu africain, donc de ma culture, plus âgé, qui m’a apaisé et m’a expliqué comment ça fonctionnait. À l’époque, en 2000–2002, c’était encore un fonctionnement à l’ancienne, très hiérarchisé, une organisation de gangsters : les tauliers, c’était les gros braqueurs. Venaient ensuite les gros dealers, puis les gros escrocs et ainsi de suite, jusqu’au bas de la hiérarchie, les “mœurs”. Il m’a expliqué le fonctionnement de la promenade, les chefs, ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, j’ai vraiment été accueilli. Il m’avait préparé un petit colis avec les choses de première nécessité comme du café.

En prison, les tensions sont permanentes et la violence survient très vite, de certains personnels comme de certains détenus. Le moindre problème peut devenir une montagne : je me souviens d’une bagarre qui a dégénéré pour un robinet qui faisait trop de bruit. Mais on dit que c’est dans la galère que les rameurs se serrent les coudes. Et c’est ce que je préfère retenir de la détention, cette solidarité naturelle que j’ai vue. L’atmosphère ultra tendue crée des fraternités. L’erreur du système carcéral est de considérer que la prison est un lieu de correction. Mais la souffrance qu’elle génère crée des liens très forts entre détenus. Mon équipe de braquage, mes frères d’armes, je les ai rencontrés en détention. Aujourd’hui, j’ai un grand cercle d’amis, d’anciens codétenus. On est liés, et prêts à beaucoup de choses les uns pour les autres. L’autre facteur important, c’est la famille. Retrouver ses proches à sa sortie de prison, ou pas, c’est là que se joue une partie de la récidive. Si on sort et qu’on a un toit sur la tête, qu’on est bien avec ses proches, on est moins enclin à récidiver, ou en tout cas moins rapidement. Je connais pas mal de mecs qui, une fois sortis, ont rapidement claqué leur pécule libérable et sont repartis sur le terrain. »

Sortir de l’engrenage

« Ce qui est déterminant quand tu arrives en prison, c’est avec qui tu vas te retrouver. Ma deuxième incarcération s’est passée à Loos, une maison d’arrêt regroupant au même endroit toute la délinquance lilloise. L’école du crime. Mettre un dealer avec un toxicomane ou un petit voleur avec un braqueur, ça n’arrange rien. Délinquants, criminels… Pour beaucoup, on entre en prison avec une idéologie qu’il faut changer. Comme pour les djihadistes. On est tous radicalisées de différentes façons, on est en marge de la société. On a souvent des parcours similaires, manque de présence paternelle, ou des gros problèmes avec nos parents.

Pour nous remettre dans la société, il faut nous parler. Il faut favoriser l’émulation. Développer les activités, l’école, la formation, permettrait de nous ouvrir de nouvelles perspectives. Beaucoup de dealers, par exemple, sont attirés par le business. Ils pourraient être intéressés par des études de commerce ou par la finance. La plupart des mecs pensent : “On ne nous donne rien, alors on prend.” Il faut leur montrer qu’ils peuvent aussi prendre sans casser, sans brûler, sans dealer. Il faut ré-ouvrir l’esprit. En France, on a le droit de dire ce qu’on veut, mais tout dépend de la manière de le dire. Quand on est jeune, on n’a pas l’expérience nécessaire, on est souvent dans l’échange violent. J’ai été souvent impliqué dans des émeutes quand j’étais jeune, mais à partir du moment où j’ai compris la puissance des mots, ça a changé beaucoup de choses. En prison, on ne nous apprend pas ça et c’est un tort. »

« Trop de détenus ne croient pas en la justice »

« Au départ, on ne connaît rien au droit, on fait juste confiance à son avocat. Un jour, à Loos, j’ai discuté avec cinq gars en promenade. Ils étaient lituaniens et leur situation judiciaire et administrative posait problème, ils n’auraient pas dû être en détention. J’ai potassé un peu, et j’ai fait pour eux des courriers pour le procureur. Peu après, ils étaient libérés. Ce jour-là, ça a fait tilt dans ma tête, je me suis dit que le droit, c’était une question de bon sens. J’ai commencé à m’y intéresser sérieusement. Un jour, un proche m’a envoyé un article de journal intitulé “De la cellule au barreau”, l’histoire d’un détenu multirécidiviste, braqueur, qui avait repris des études de droit en prison et était devenu avocat. Ça m’a motivé. Comme je savais écrire, j’ai continué à faire des courriers pour des codétenus et je me suis rendu compte qu’il pouvait y avoir des résultats. Quand j’ai été libéré, j’avais en tête de reprendre mes études. J’ai travaillé un peu, puis je suis allé à la fac pour une licence de droit. J’aimerais rendre hommage à mon oncle : s’il ne m’avait pas encouragé à faire la démarche d’inscription, je n’en serais pas là. C’est tout bête, mais j’avais peur de le faire : on devient “administratophobe” à cause de la détention.

Une fois assis à la fac, j’ai commencé à écouter et j’y ai pris goût. Le premier cours, c’était du droit constitutionnel. J’ai appris les bases de l’architecture du droit et j’ai kiffé ! Au départ, je m’intéressais plutôt au droit pénal, mais finalement je trouve ça limité. Je découvre le droit administratif. Le droit des affaires, c’est pour l’alimentaire, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Ce qui m’intéresse est politique, je veux me battre pour des choses justes, les conditions de détention par exemple.

Expliquer aux détenus qu’ils ont le droit de faire des recours, de saisir le juge administratif quand il y a un conflit, une atteinte aux droits, ça devrait figurer dans le livret remis aux arrivants.

Une cour de promenade de la maison d’arrêt de Fresnes © Bernard Bisson/Divergence

Quand j’ai été réincarcéré en 2015 et transféré à Fresnes, j’ai tout de suite été choqué. Pour la promenade, on était trente dans des cours de vingt mètres carrés. Ces cours, ce sont d’anciens boxes à chevaux, sans point d’eau, sans banc pour les détenus plus âgés. Je me suis donné comme combat de faire abattre ces murs. Ça a commencé comme ça, une lettre à la ministre dans laquelle je lui demandais de mettre aux normes les cours de promenade. Je savais pertinemment qu’elle allait dire non ou ne pas me répondre, et donc que derrière il y aurait un recours. La procédure est en cours. Expliquer aux détenus qu’ils ont le droit de faire des recours, de saisir le juge administratif quand il y a un conflit, une atteinte aux droits, ça devrait figurer dans le livret remis aux arrivants. Trop de détenus se figent en mode violent parce qu’ils ne croient pas en la justice. Ils ne croient pas qu’on puisse sanctionner un surveillant pour une faute ou qu’un détenu puisse avoir gain de cause pour le respect de ses droits. »

Recueilli par François Bès

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