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Les « longues peines » ou la désocialisation organisée

Quel sens donner à une peine qui est tellement longue qu’elle empêche de se projeter dans un avenir autre que la prison ? Comment réintégrer une société dont on a été si longtemps coupé ? Si elles sont peu nombreuses, les personnes condamnées à des peines de dix, vingt, trente ans d’emprisonnement, voire plus, sont confrontées à des problématiques spécifiques – et confrontent l’institution à ses paradoxes.

À un moment, il faut choisir. Soit la condamnation a pour objet de s’adresser au condamné, et alors elle est un moyen d’amendement. Soit elle s’adresse à la population dans son ensemble, et en ce cas elle est un moyen de dissuasion. Mais nous vivons dans l’hypocrisie qui consiste à nier que l’aspect strictement répressif reste largement dominant. De fait, la réinsertion ne s’adresse qu’à une poignée de détenus. Si la peine est courte, vous vous concentrez sur la sortie sans vraiment chercher à prendre le temps d’analyser les raisons qui vous ont conduit derrière les murs. Trop longue ? Vous finirez par perdre le fil au point que vous ne saurez même plus pourquoi vous y être entré. Pour les longues peines, elle finit même par avoir si peu de sens qu’elle en devient contreproductive.

Je préfère généralement la fréquentation des autres prisonniers incarcérés depuis plus de dix ans à toute autre, y compris celle de ma famille, qui m’est devenue totalement étrangère.

Imaginez que vous preniez une peine de vingt ans. Que va-t-il se passer ? Plusieurs années en maison d’arrêt sans que l’on ne s’occupe de vous. Puis une orientation bidon vers un établissement pour peine en fonction de critères qui ne sont pas les vôtres. Par exemple, vous rapprocher d’un parent avec lequel vous êtes en froid depuis des années et qui ne viendra jamais vous rendre visite. Si vous souhaitez faire une formation dans un domaine précis, on vous enverra ailleurs parce que vous ne correspondez pas au profil de l’établissement : votre reliquat de peine est trop important, ou trop faible, vous n’avez pas été condamné pour le bon motif… Bref, une fois quelque part, on ne vous proposera que des formations courtes et souvent non diplômantes, sans aucun lien entre elles. Vous enchaînerez ainsi un stage de cuisine de trois mois avec celui de peinture. Et si vous êtes chanceux, vous pourrez même bénéficier de quelques remises de peine ou bien devenir auxiliaire et passer le reste de votre temps à nettoyer des douches et passer la serpillière. Sûr qu’avec ça vous serez armé pour la vie. Mais poursuivons. Vous êtes une longue peine, donc pas question pour vous de bénéficier de permission de sortir avant la fin de votre période de sûreté. Ensuite ? Eh bien, ma foi, retour en centre d’évaluation pour plusieurs semaines avant qu’on examine votre demande de libération conditionnelle. Qui sera refusée jusqu’à ce qu’il ne vous reste plus qu’un an ou deux. La conditionnelle ? D’un côté, vous êtes libéré un ou deux ans plus tôt. De l’autre, vous devez répondre à toutes les convocations d’un conseiller d’insertion et de probation, voir un psychologue, signaler tout changement de domicile, demander l’autorisation pour partir en vacances, ne pas boire d’alcool, etc. Avec le risque de retourner en prison au moindre manquement à vos obligations. Toujours tenté ? C’est pourquoi mieux vaut sortir en fin de peine. C’est pourquoi le temps des peines se rallonge. C’est pourquoi aussi il ne sert à rien de faire des efforts de réinsertion puisque de toute évidence, lorsque vous serez sur le point d’être libéré, vous serez déjà en âge de prendre votre retraite.

Par Y. R.


« Une longue peine, c’est violent quand tu sors »

« On parle beaucoup des petites peines, même le gouvernement y consacre beaucoup de temps mais en six ans de détention, je n’ai JAMAIS entendu parler des longues peines, de leur réinsertion. Qu’est-ce qui est fait pour eux après cinq, six, huit, dix, douze, quinze, vingt ans et plus enfermés derrière les barreaux ? Omerta. Néant. Il y a un détenu qui est sorti après dix-huit ans de détention et il m’a écrit en me disant : « C’est violent quand tu rentres, mais c’est violent quand tu sors. » Il s’est beaucoup battu pour être aidé, accompagné avant de sortir et il me dit que depuis qu’il est sorti, il est livré à lui-même et que de reprendre la liberté est plus dur qu’une peine de prison. » – A. M.