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« Mon mari est emprisonné à mille kilomètres de chez nous »

Monsieur S., en prison depuis cinq ans, a été transféré huit fois. Il est désormais incarcéré à plus de mille kilomètres du domicile conjugal. Les trajets, leur coût, la fatigue, l’incertitude… Sa femme témoigne de ce que cet éloignement signifie au quotidien, pour elle et pour leurs enfants.

« Mon mari est incarcéré depuis avril 2017. Moi, j’habite depuis toujours à Strasbourg, avec nos enfants de 8 et 6 ans. Pendant deux ans et demi, il a été emprisonné dans des prisons de la région : Sarreguemines, Épinal, Metz, Nancy. Ensuite il y a eu Villenauxe-la-Grande, à plus de 400 kilomètres de chez nous, pendant une semaine. Puis Fresnes, pendant six mois ; Condé-sur-Sarthe pendant un an et demi ; Nantes, pendant trois mois. Et depuis maintenant un mois, il est à Lannemezan, à 40 km de la frontière espagnole. Lannemezan, c’est à mille kilomètres de chez nous, c’est la prison géographiquement la plus éloignée de Strasbourg.

Tant qu’il était dans la région Grand-Est, j’allais le voir une à deux fois par semaine avec les enfants. J’en avais pour à peu près 200€ par mois avec l’essence et les péages, mais ça restait raisonnable. Lorsqu’il était à Fresnes, j’ai commencé à prendre le TGV. J’y allais une fois par semaine. Parce que je savais au fond de moi qu’il n’allait pas rester là-bas et qu’ils allaient le transférer plus loin. C’était déjà un coût bien plus important qu’avant. J’avais une carte de réduction et je m’en sortais à moins de 100€ pour chaque trajet. D’abord j’y suis allée seule parce que je ne voulais pas que les enfants le voient là-bas, il était en gestion menottée. Et puis franchement, les parloirs sont dans un état… C’est en sous-sol, minuscule, vétuste, sale. C’est assez lamentable franchement. Juste avant l’annonce du confinement, j’ai malgré tout emmené mes enfants au dernier parloir de Fresnes parce que j’ai senti qu’ils allaient tout couper.

Après il y a eu les deux mois de confinement donc il n’y a plus eu de parloirs. C’est à ce moment-là qu’il a perdu son frère, décédé dans un accident de scooter. J’ai dû le lui apprendre par téléphone. J’ai prévenu la prison que j’allais lui annoncer cette nouvelle. Je leur ai demandé de faire attention, comme il était seul à l’isolement. Je me souviens qu’ils ont été très attentifs, qu’ils sont allés le voir plusieurs fois.  À la fin du confinement, les parloirs ont repris mais avec du plexiglas. Mais laissez-moi rire, à Fresnes, c’est tellement minuscule que nos genoux se touchaient ! C’était terrible parce que c’était la première fois que je revenais le voir après le confinement et après lui avoir appris la mort de son frère, mais on n’a pas pu se serrer dans les bras – ses enfants non plus d’ailleurs.

Ensuite, malgré plusieurs courriers pour obtenir un rapprochement, il a été transféré à Condé-sur-Sarthe. C’était pendant le deuxième confinement. Les UVF [unités de vie familiale] étaient fermées, donc c’était que des parloirs super surveillés avec deux longues tables plus un bout de plexiglas entre nous. C’était compliqué. On a fait avec. J’y suis allée tous les deux mois malgré tout. Même pour un parloir sans contact.

« C’est toujours un stress de réunir l’argent pour les voyages »

Pour l’instant on n’est pas encore allé à Lannemezan. Mais ça ne va pas être possible d’y aller toutes les semaines. Depuis Condé, on ne le voit que tous les deux mois. C’est toujours un stress de pouvoir réunir l’argent. J’ai la chance de ne pas être toute seule ; d’être entourée par ma famille et la sienne. Et heureusement parce que sinon, ce ne serait pas possible. Il y a quelques voyages, par exemple à Condé, que j’ai payé toute seule, et à chaque fois, je ne payais pas mon loyer. En quelques mois, je suis arrivée à 1400€ de dettes à mon bailleur social.     Avec le téléphone, on arrive heureusement à maintenir un lien avec lui. Maintenant c’est bien fait : dans toutes les prisons où il est allé, à part à Fresnes, il avait une cabine dans sa cellule. Il m’appelle et parle aux enfants tous les jours. Heureusement qu’il y a la cabine parce que sinon je pense qu’il aurait littéralement pété les plombs. Mais ça a un coût : il en a à peu près pour 50€ par mois de téléphone. Donc on fait attention, il n’appelle jamais sur mon téléphone portable, il n’appelle qu’à la maison. Le temps de parole est limité.

Mais pour moi c’est primordial que mes enfants voient leur père. Quand il est parti en prison, mon fils avait un an et ma fille trois ans. Mon fils n’a aucun souvenir de la vie avec son père à la maison. Je ne leur ferais par faire toute cette route pour un simple parloir. Les UVF en revanche, c’est autre chose. À Condé-sur-Sarthe, on avait à chaque fois 48h, ça nous faisait un petit semblant de vie familiale “normale”, si je puis dire. À Lannemezan, on nous a accordé une UVF de 24h en mars. J’ai déjà pris les billets d’avion parce qu’en train, c’est onze heures de trajet. Je fais Strasbourg/Toulouse en avion et après entre Toulouse et Lannemezan il y a encore 1h30 de train. On part la veille parce qu’il faut qu’on soit à 9h du matin à l’entrée de l’UVF. Il faut payer l’hôtel, le train et sûrement le taxi. C’est entièrement à mes frais. Pour ce voyage, on est à minimum 500€.

Pour moi ces transferts sont injustes.     Je passais des soirées à écrire des courriers à l’administration pénitentiaire. Puis des journées à téléphoner à des associations, à l’OIP, à la Contrôleuse générale. J’ai écrit au président de la République, au ministère de la Justice. Ils vous répondent toujours. Chacun se renvoie la balle. Le président de la République vous répond qu’il transmet au ministère de la Justice. Le ministère vous répond qu’il transmet à la direction interrégionale. Tous accusent son comportement : son comportement en détention, les faits à l’origine de sa condamnation et ses antécédents judiciaires. En fait, à chacun de mes courriers, ils ont répondu par un transfert. Donc maintenant, je n’ai même plus envie d’écrire. On se dit “à quoi bon ?” Ça ne sert à rien.

« J’ai perdu mon emploi parce que ça n’allait plus »

Lorsqu’il était à Fresnes, mon mari a commencé à dérailler psychologiquement. Ça n’allait pas, et je suis la seule personne qui l’appelle. Je l’écoutais tous les jours, je prenais sur moi. Mais ça nous a fait beaucoup de mal. La plupart du temps, je pense que j’ai réussi à protéger mes enfants et à leur faire voir le bon côté des choses. Mais pas à cette période. Mes enfants m’entendaient parler, m’entendaient pleurer. Je suis de nature stressée, anxieuse. Tous ces transferts n’ont rien arrangé. J’ai perdu mon emploi parce que ça n’allait plus : en fait, je n’étais plus dans mon travail. On était sur un projet professionnel qui aurait pu être très bien pour moi, mais ma responsable m’a dit que ce n’était plus possible, qu’on ne pouvait plus continuer comme ça. Et je l’ai compris. Maintenant je fais des ménages à droite à gauche. En fait, je ne peux pas m’engager. Je ne veux plus et je ne prends pas le risque de m’engager dans un emploi à temps plein ou une formation. Les UVF se déroulent en pleine semaine, du mardi au jeudi, et parfois, on ne vous donne les dates que dix jours avant. Je ne sais pas quel employeur accepterait que tous les deux mois je sois absente et que je prévienne dix jours avant.

Depuis le dernier transfert à Lannemezan, j’ai essayé de solliciter d’autres personnes qui seraient concernées par cette problématique de l’éloignement familial. Je me suis donc créé des comptes Facebook et Snapchat exprès. Mais je n’ai eu que deux réponses. J’ai trouvé une personne sur Facebook qui était dans une situation comme la mienne pendant très longtemps, qui s’est battue et a obtenu gain de cause : après plusieurs années de galère, son mari a été transféré à moins de 200 km de chez elle. L’autre personne qui m’a contactée est à peu près dans la même situation que moi et m’a dit que ça ne “servait à rien”.

Je ne sais pas si je n’ai pas bien cherché mais je trouve qu’il n’y a pas grand-chose au niveau associatif. J’avais appelé une association strasbourgeoise qui m’avait dit en gros : “Écoutez, je comprends, c’est votre combat, mais sachez qu’il y a bien pire. Il n’y a rien à faire. Un conseil : ne faites plus parler de vous pendant un an et ça ira.” Voilà ce que cette association m’a dit. J’ai pensé à me rendre devant la Disp [direction interrégionale des services pénitentiaires] de Strasbourg pour protester contre ces transferts répétitifs et toujours plus éloignés de notre domicile familial. Mais je ne l’ai pas fait. Je suis redescendue sur terre. Toute seule, à quoi ça sert ? Maintenant, je ne compte plus que sur le recours que j’ai intenté en justice. »

recueilli par Anna Artières-Glissant

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