Sandrine B., détenue à la maison d’arrêt pour femmes de Seysses en 2019, a proposé à l’OIP un récit de son expérience carcérale. « Ce travail ne se veut pas impartial, mais bien le reflet de ma propre réalité et de mes questionnements, précise-t-elle. L’objectif est de permettre la compréhension ce qui se passe derrière les murs de la prison, sans fantasme, ni embellissement, faire un état des lieux. » Nous publions ici quelques extraits, regroupés par thématiques, de ce long témoignage.
L’accueil des arrivantes
La capacité théorique de la maison d’arrêt pour femmes (MAF) de Seysses est de 40 places, mais il arrive régulièrement que la population atteigne 70 voire 80 détenues. Il n’y a pas vraiment de procédure d’accueil. Le personnel surveillant vient nous chercher au greffe et nous emmène dans des cages à l’entrée où une vidéo nous présente les étapes de l’accueil. On nous fouille à nu, puis on est dirigées vers la MAF où on nous remet un kit avec une couverture, des draps, de la vaisselle, un stylo, du papier, deux timbres, deux enveloppes, quelques culottes et produits de première nécessité. Ensuite, on est orientées dans la cellule arrivante pour quelques heures, le temps pour la gradée de nous mettre là où il y a le plus de place : soit on double une cellule, soit on devient la troisième et on attend qu’un lit se libère avec un matelas à terre. Le but est de remplir les espaces le plus judicieusement possible. Il est possible de demander un changement de cellule dans les jours qui suivent. Mais cela prendra plusieurs jours, voire une semaine avant d’avoir une réponse.
Le quotidien en cellule
Souvent, les cocellulaires font tourner la télévision du réveil au coucher. Certaines, ne supportant pas le silence, la laissent même la nuit. Donc même la personne qui ne veut pas l’avoir la paie pour les autres cocellulaires qui regardent des inepties… Une vraie torture psychologique. Certaines cellules sont dans un état pitoyable. Les murs de celles qui ont subi un incendie ont encore des traces de fumée. Les conduites d’évacuation sont souvent bouchées. L’eau de la douche coule dans toute la salle de bain et mouille le linge de toilette. Certaines fenêtres ne ferment pas du tout. Les portes battantes de type western sont absentes. Les peintures s’effritent dans plusieurs endroits. La lumière de la salle de bain doit être changée car les ampoules clignotent. Nous sommes obligées de la couper pour y voir un peu ou alors d’utiliser une lampe de chevet qui doit être cantinée.
Présence de nuisibles
Dans les espaces extérieurs, des rats se battent la nuit pour obtenir l’une ou l’autre des denrées contenues dans les poubelles ou un reste de repas jeté par la fenêtre par les détenues. Sous les fenêtres de la nurserie, en plein été, j’ai aussi vu un rat mort, sûrement tué au cours d’une campagne de dératisation. Il a fallu deux semaines pour venir récupérer son cadavre. Tout le monde a ainsi suivi l’état de décomposition de l’animal. Est-ce vraiment compatible avec la présence d’enfants en bas âge ? Il y a aussi des mouettes qui agrémentent la cour de leurs fientes. Et les cellules regorgent de cloportes. Régulièrement, il faut sortir les draps et les couvertures, les secouer par la fenêtre pour éviter d’être importunée par les bestioles pendant la nuit.
Accès aux soins et urgences
Le jour de la visite du CGLPL [Contrôleur général des lieux de privation de liberté], on lui a dit qu’« une convention passée avec un service de soins infirmiers à domicile permet une offre de soins en cellule. » Si cette convention existe, elle doit rester dans un tiroir de l’administration. Il est fréquent que des personnes sortant de l’hôpital à la suite d’une opération, du traitement d’une maladie (chimiothérapie) ou d’accidents ne puissent plus être autonomes pour les gestes d’hygiène élémentaires : toilette, habillage, repas… Ce sont alors les cocellulaires qui deviennent les aides-soignantes pendant le temps de la convalescence. Globalement, accéder aux soins prend énormément de temps. Je me rappelle d’une détenue qui avait tous les signes de l’otite. Elle a mis plus de quinze jours avant de voir un médecin. Pour tenter d’atténuer ses douleurs, elle a essayé tous les remèdes de grand-mères que les autres détenues lui donnaient : huile d’olive dans l’oreille, papier toilette… Aucun effort n’est fait pour permettre aux personnes étrangères de comprendre ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas demander : demande de consultation médicale non prise en compte, suivi psychiatrique non assuré… Ces personnes sont en danger. Rien n’a été fait pour une Bulgare qui avait besoin de soins psychiatriques évidents à la suite du décès par pendaison de son fils. Elle a juste été mise dans la même cellule que sa fille, qui renonçait à des activités par peur que sa mère ne se suicide en son absence. En cas de tentative de suicide la nuit (c’est arrivé plusieurs fois), il faut appeler la seule surveillante présente dans toute la MAF. Elle n’a pas les clefs. Elle appelle le gradé qui viendra avec le matériel pour les premiers secours. Cela prendra entre trente minutes et une heure. En attendant, ce sera la cocellulaire qui fera ce qu’elle pourra pour gérer la situation, sans aucune formation pour cela. En cas de réel passage à l’acte, la personne se sera vidée de son sang.
Accès au droit
Théoriquement, les avocats doivent tenir une permanence chaque mois, il y a bien une information mais les demandes de rendez-vous sont traitées très lentement. Il faudrait plus de permanences et un réel soutien pour les détenues qui ont des avocats fantômes. C’est souvent le cas de celles qui bénéficient de l’aide juridictionnelle, car peu d’avocats font le trajet pour les rencontrer. Vous avez droit à un conseil minimal, c’est-à-dire juste l’assistance lors des audiences, sans préparation. Si vous voulez une véritable défense, il faut payer. L’avocat à l’aide juridictionnelle n’est jamais venu me voir en détention et mes courriers sont restés sans réponse. Nous n’avons eu aucune information sur les passages du Défenseur des droits ou les moments auxquels on peut le saisir, aucune explication sur son rôle.
Les visites
Il y avait régulièrement des histoires de « parloirs fantômes », des visiteurs qui n’étaient pas aux rendez-vous. La détenue qui n’a pas reçu la visite qu’elle attendait n’a aucune information pour savoir ce qui s’est passé : accident, rendez-vous raté… C’est une grande source de stress, voire de désespoir. Souvent, ces parloirs fantômes sont surtout dus à des retards non pris en considération, parfois même alors que les visiteurs sont venus de très loin. Il arrivait régulièrement que ma fille étudiante ne puisse pas prendre le rendez-vous tant attendu car elle n’avait que les temps de pause entre deux cours. À propos des visiteurs de prison, dans son rapport, la CGLPL pointe aussi le fait qu’« aucun visiteur homme ne peut se rendre à la MAF alors que des visiteuses vont en MAH ». Même les aumôniers hommes ne peuvent pas passer les grilles de la MAF ! Aucune raison valable n’est évoquée, alors que des enseignants passent bien les portes. Personnellement, je suis protestante réformée et j’ai eu l’occasion de bénéficier de la visite d’une aumônière protestante. Mais il n’y a aucune aumônerie musulmane prévue et c’est un grand manque.
Travail, formation et préparation à la sortie
Le service pénitentiaire d’insertion et de probation est quasi inutile pour les prévenues. En attente de jugement, on ne leur propose rien pour préparer une éventuelle sortie. Comment, dès lors, envisager une vie sans récidive ? À la maison d’arrêt pour femmes, il y avait seulement sept postes d’auxiliaires, et aucun poste en atelier : le dernier a fermé avec une perte de marché. Donc il n’y a quasiment plus de travail. J’avais fait une demande de formation universitaire fin août et une demande d’entretien avec le corps enseignant mais à ma sortie, fin décembre, je n’avais toujours pas de réponse. Toute ma détention, je suis restée dans ma cellule pendant plus de 22 heures sur 24, et ce alors que je devais me réorienter. Il y a une seule assistante sociale pour l’ensemble de l’établissement pénitentiaire, hommes et femmes confondus et de toutes nationalités. Elle doit travailler sur la mise en place de la CMU, de diverses prestations sociales… Comment voulez-vous qu’elle coordonne quoi que ce soit au vue du nombre de dossiers ? C’est impossible. La levée d’écrou pour un prévenu se fait en un claquement de doigt. Vous n’avez aucune information au préalable. J’ai été mise au courant que je sortais quinze minutes avant ma sortie. L’agent du greffe peut parfois permettre de passer un unique appel à la famille. Si la Maison des familles est ouverte, vous pouvez y demander à contacter vos proches. Sinon vous êtes dehors, sans aucune ressource pour vous retourner.