Le ministre de la Justice a annoncé hier préparer une réforme qu’il présentera mi-avril. Côté prisons, les seules mesures connues concernent pour l’instant les crédits de réduction de peine, qu’il entend supprimer. Et le programme de construction immobilière, qu’il poursuivra. Des annonces en total décalage avec la situation critique des prisons, et qui pourraient même au contraire l’aggraver.
En matière de politique pénale et pénitentiaire, Éric Dupond-Moretti avait pourtant donné quelques espoirs : un mot pour les prisonniers dans son discours d’investiture, une première visite en tant que ministre réservée au centre pénitentiaire de Fresnes, et un passé d’avocat pénaliste a priori fin connaisseur des enjeux de la question carcérale.
Mais, alors qu’il a dévoilé les grandes lignes de sa future réforme, le ministre a choisi de mettre l’accent sur une mesure purement démagogique : la suppression les crédits de réduction de peine (CRP) – un dispositif pourtant peu contesté par les acteurs concernés. Calculés en fonction de la durée de la condamnation, les CRP sont en principe octroyés à tous les condamnés, et ne peuvent être retirés – partiellement ou totalement – qu’en cas de mauvaise conduite pendant l’exécution de sa peine. Pour l’administration pénitentiaire, c’est un outil de gestion de la détention précieux pour le maintien de l’ordre. Pour la justice, c’est le moyen de suivre une personne après sa libération et de continuer à la contrôler sur le temps des réductions de peine octroyées. Pour les condamnés, c’est évidemment un espoir inestimable de voir leur peine finir un peu plus tôt que prévu. Les CRP sont aussi, comme le souligne le ministre, un instrument de régulation de la population carcérale : insatisfaisant certes, mais rendu nécessaire par la surpopulation endémique des prisons et par un allongement continu de la longueur des peines ces vingt dernières années. Le supprimer sans agir préalablement sur les facteurs à l’origine de ces problèmes est au mieux hasardeux, au pire irresponsable.
Mais selon le ministre, les remises de peine devraient « récompenser un effort ». Il entend donc fonder son nouveau système « sur les efforts que le détenu fournira pour sa réinsertion : le travail, la formation, les soins… ». Loin du « bon sens » invoqué, c’est un non-sens, quand on connaît l’indigence des moyens alloués à la réinsertion des détenus. Lorsqu’on sait qu’à peine plus d’un quart de la population carcérale a accès à un travail, faute d’offre. Qu’une personne sur quatre peut accéder à un enseignement, et moins d’une sur six à une formation professionnelle, toujours faute d’offre et de moyens. Et qu’il faut bien souvent de longs mois pour obtenir une consultation avec un psychiatre ou un psychologue. C’est aussi faire abstraction du fait qu’un tel système existe déjà, sous la forme des réductions de peines supplémentaire (RPS), un mécanisme destiné à récompenser les personnes détenues condamnées qui manifestent des « efforts sérieux de réadaptation sociale ».
Outre qu’elle est en total décalage avec les réalités carcérales, cette mesure va par ailleurs – et bien que le ministre s’en défende – inévitablement allonger les peines et donc contribuer à l’aggravation de la surpopulation des prisons. Une aberration alors que la France a été lourdement condamnée, en janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour l’indignité de ses prisons et sommée de résorber sa surpopulation carcérale, et alors que l’avocat Dupond-Moretti avait, au côté d’un millier de personnalités de tous bords et de tous horizons, signé au printemps dernier de la lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron l’appelant à « ne pas renouer avec l’inflation carcérale ».
Il y aurait pourtant urgence à agir. Lutter contre la surpopulation carcérale, donner un contenu à une peine vide de sens, rétablir les personnes détenues en tant que sujets de droit – par exemple en faisant entrer le droit du travail en détention – sont autant de chantiers qui devraient aujourd’hui être ouverts et sur lesquels on aurait attendu le garde des Sceaux. Mais sur ces points, il reste silencieux et se contente de réaffirmer, comme tous ses successeurs avant lui, qu’un grand plan de construction de places supplémentaires de prisons est engagé. C’est oublier que l’augmentation du nombre de places n’a jamais, dans l’histoire récente, permis de faire baisser la pression carcérale. Et qu’au contraire, plus on construit, plus on remplit.
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