À l’issue d’un trop court débat, les députés viennent d’adopter la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. La voie de recours pour les personnes détenues dans des conditions indignes que prévoit ce texte répondait à une exigence posée par les récentes décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle ne saurait cependant apporter une réponse satisfaisante au problème de fond : l’indignité des prisons françaises, pour une large part due à leur surpeuplement.
Dans un hémicycle presque vide, les députés ont adopté ce matin en séance publique la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, qui crée une voie de recours pour que les personnes détenues dans des conditions contraires à la dignité humaine puissent les contester devant un juge. Elle doit désormais être adoptée définitivement à l’issue d’une commission mixte paritaire qui se tiendra le 23 mars prochain.
C’est sous la pression du Conseil constitutionnel que les parlementaires ont examiné ce texte – pour lequel le gouvernement avait engagé la procédure accélérée : dans une décision du 2 octobre 2020, celui-ci avait en effet considéré que la loi n’était pas conforme à la constitution en ne prévoyait pas cette voie de recours, et laissé au législateur jusqu’au 1er mars pour y remédier, échéance qui a déjà été dépassée. La décision du Conseil constitutionnel faisait elle-même suite à la condamnation de la France, le 30 janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour l’indignité de ses conditions de détention et l’absence de voie de recours pour y mettre un terme.
Le texte prévoit qu’une personne qui allègue être détenue dans des conditions indignes puisse saisir le juge (juge des libertés et de la détention ou juge de l’application des peines selon son statut) pour demander qu’il y soit mis fin. Après un premier filtre de recevabilité, le juge procédera à des vérifications et, s’il considère que les allégations sont justifiées, donnera à l’administration un délai pouvant aller jusqu’à un mois pour y remédier. Si, à l’issue de ce délai, la situation reste attentatoire à la dignité, le juge pourra alors ordonner le changement d’établissement du requérant ou organiser sa remise en liberté – le cas échéant sous surveillance électronique –, ou un aménagement de peine s’il s’agit d’un condamné et qu’il y est éligible.
Pour l’OIP, s’il représente une avancée par rapport à l’existant, le dispositif adopté reste très largement insatisfaisant. D’abord, parce qu’il donne un rôle beaucoup trop important à l’administration pénitentiaire, à la fois juge et partie dans le processus. C’est à elle qu’il revient de faire des observations sur les conditions dans lesquelles elle détient le requérant, et c’est encore à elle qu’il revient de trouver des solutions s’il est établi que ces conditions portent atteinte à la dignité. Le juge, s’il peut faire des vérifications complémentaires, ne peut lui dicter les mesures à prendre. Quant au détenu, il ne peut contester ni la pertinence de la mesure proposée par l’administration pénitentiaire ni l’appréciation qui en est faite par le juge.
Surtout, le mécanisme mis en place par le législateur repose essentiellement sur un dispositif : le transfert du détenu vers un autre établissement pénitentiaire. Une mesure lourde de conséquence. Plusieurs amendements parlementaires avaient proposé de l’encadrer de garanties, mais tous ont été retoqués. Ainsi, aucune assurance n’est apportée en ce qui concerne les conditions de détention dans l’établissement d’accueil, le maintien des liens familiaux – quand la personne est prévenue – ou encore la sauvegarde des autres droits fondamentaux, tels que le droit à la santé si la personne est engagée dans un parcours de soin, ou encore le droit à la réinsertion pour les personnes qui suivent une formation, travaillent ou préparent un projet d’aménagement de peine.
Enfin, en donnant la priorité au transfèrement, le dispositif proposé ne règle pas le problème à l’origine de la procédure, à savoir l’indignité des conditions de détention dans l’établissement de départ. À ce sujet, l’OIP rappelle que la seule création d’une voie de recours contre des conditions indignes ne saurait satisfaire les exigences fixées par l’arrêt de la CEDH. Alors que le pays connaît à nouveau une augmentation constante de sa population carcérale, après une baisse due à la crise sanitaire au printemps dernier, il est impérieux que le gouvernement prenne en compte la principale injonction de la Cour de Strasbourg : la mise en œuvre de mesures structurelles visant la résorption définitive de la surpopulation carcérale. Sans cela, la création d’une voie de recours restera un vain effort. Et la France – dont les députés se sont encore aujourd’hui enorgueillis qu’elle était le pays des droits de l’homme – continuera d’être condamnée à l’indignité.
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