Au-delà des diplômes, la finalité de l’enseignement pénitentiaire est de réconcilier les personnes détenues avec l’apprentissage. Mais aussi avec elles-mêmes.
« Chaque personne est comme un défi, pose Marie-Pierre Valcke, responsable locale de l’enseignement (RLE) au centre pénitentiaire d’Aiton. Peu importe la raison qui l’amène en classe, à nous de l’accueillir et de faire un état des lieux de ses besoins, de ses envies, d’ajuster tout ça et de faire des cours suffisamment intéressants pour qu’elle ait envie de revenir. » Alors que l’enseignement n’est, en prison comme à l’extérieur, pas obligatoire pour les adultes, il n’est pas toujours facile de faire venir à soi des personnes qui ont pu avoir des parcours scolaires chaotiques. « Les jeunes majeurs non diplômés font partie des publics prioritaires. Mais c’est aussi ceux qu’on a le plus de mal à accrocher car ils ont très souvent un passif douloureux avec l’école », explique ainsi une autre enseignante. Aussi, s’ils viennent jusqu’à l’unité locale d’enseignement, c’est au départ pour certains moins par soif d’apprendre que pour espérer décrocher des remises de peine et sortir un peu de cellule. À l’exception des personnes allophones, « souvent très motivées et assidues » pour parvenir à maitriser une langue qui leur est étrangère, le premier défi est donc de fidéliser les personnes qui franchissent pour la première fois la porte du centre scolaire.
« Pour susciter l’intérêt des jeunes, on a créé des modules courts, qui visent des compétences concrètes, par exemple informatique, atelier CV et lettre de motivation, écriture journalistique, préparation aux tests préalables à l’entrée en formation professionnelle… ça leur fait moins peur car ça leur semble réalisable », explique l’enseignante. Chez les personnes un peu plus âgées, les demandes peuvent être « très terre à terre : on a plein de gens qui viennent en nous disant “j’ai ma fille ou mon fils qui rentre à l’école, je n’ai pas envie d’être écarté de sa scolarité. Si je pouvais avoir un petit niveau scolaire, faire moins de fautes d’orthographes pour pouvoir l’aider avec ses devoirs, ça serait bien…” », rapporte Mickaël Fleury, professeur à la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne. « Nous, on est là pour prendre en compte leur première demande, qui est souvent de réapprendre des savoirs instrumentaux (orthographe, savoir mieux compter, diviser etc.), et on essaie d’adresser des problèmes plus larges, complète Claire Barbat, RLE à Riom. Notre objectif, c’est de leur apprendre des savoirs utiles pour la vie quotidienne, mais aussi de les aider à se reconstruire, à mieux réfléchir et prendre confiance en eux. »
La restauration de l’estime de soi et la réconciliation avec l’enseignement sont deux composantes essentielles du travail d’enseignant en milieu pénitentiaire. « Les personnes qui se retrouvent en prison sont en situation d’échec et portent souvent sur elles-mêmes un regard assez négatif. Il faut les sécuriser, qu’elles sachent qu’elles peuvent être accueillies sans jugement au niveau de leurs compétences scolaires, raconte Marie-Pierre Valcke. Ceux qui sont en très grande difficulté doivent aussi être rassurés sur leurs capacités ; le certificat de formation général, ça sert à ça. Je ne le fais pas passer systématiquement, seulement pour des personnes qui en ont besoin pour prendre confiance en elles, et oser ensuite aller vers autre chose. » Une enseignante abonde : « Obtenir un diplôme, c’est une vraie fierté. Ça fait trois ans qu’on invite les familles aux remises de diplômes, c’est un moment très fort pour tout le monde, pour les surveillants aussi d’ailleurs ! » Autre outil utilisé par certains RLE : la validation des acquis d’expérience. « Par la VAE, on essaye de valider un parcours professionnel antérieur, donc on pousse les gens à décrire de manière très précise des situations qui montrent que ce sont des professionnels, explique Marie-Pierre Valcke. Ça oblige les détenus à regarder leur passé, mais du côté de ce qu’ils ont construit dans la vie, c’est “voilà ce que je sais faire”. Par ce biais-là, on arrive à des changements, à voir des gens qui redressent la tête. Ça fait partie de nos grandes satisfactions. »
La relation d’enseignement étant un échange, pour les professeurs aussi, elle peut avoir des effets réparateurs. « Ça faisait dix ans que j’enseignais en collège SEGPA [section d’enseignement général et professionnel adapté]. J’allais travailler la boule au ventre. Chaque année, je me demandais si j’allais continuer, confie un RLE. Depuis que je suis ici, même si la paie ne suit pas, je ne me pose plus la question. On a beaucoup plus de reconnaissance ici qu’à l’extérieur : si les détenus nous disent toujours quelque chose, c’est bien “merci”. »
par Laure Anelli