La scolarisation des mineurs détenus – ils étaient 768 au 1er février 2021 – est une priorité pour l’Éducation nationale et l’administration pénitentiaire. Si les textes posent un certain nombre d’exigences en matière d’enseignement, la réalité ne semble pas à la hauteur des ambitions. Surtout, le contexte carcéral, combiné à des durées courtes de détention, est loin d’être un terrain favorable à l’apprentissage.
« L’État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu’envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer, jusqu’à 18 ans, des modalités effectives de formation », pose la Convention liant le ministère de la Justice et l’Éducation nationale. Aussi l’enseignement est-il censé constituer « l’activité essentielle », « l’axe structurant et prioritaire de la prise en charge du mineur détenu ». Pour cela, la Convention fixe des objectifs de temps d’enseignement à atteindre : douze heures par semaine en quartier mineurs (QM), et vingt heures en établissement pour mineurs (EPM). Mais en pratique, on en est loin. D’après le bilan 2018-2019 sur l’enseignement pénitentiaire, le temps moyen de scolarisation est de dix heures hebdomadaires toutes structures confondues. Une moyenne qui cache d’importantes disparités : si à l’EPM de Quiévrechain, les jeunes détenus bénéficient de quinze heures de cours par semaine(1), au QM de la maison d’arrêt d’Angoulême, ils n’en ont que sept heures trente(2), constate le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL). « Outre qu’un tel volume d’heures n’est pas forcément adapté à tous les élèves, on n’a de toutes façons par les moyens d’offrir douze heures de cours à chacun : le nombre de salles est limité, l’effectif mineurs est souvent maximal et les surveillants sont souvent submergés de missions et de mouvements qui font que, malgré la meilleure volonté, tout articuler relève de l’impossible », explique une enseignante qui intervient dans un autre QM. À la maison d’arrêt d’Angoulême, le responsable local de l’enseignement a bien tenté de remédier au problème en organisant, comme l’y invite la Convention, des cours mixtes avec les adultes, mais seuls les mineurs de plus de 16 ans peuvent sortir du QM pour y assister. Une situation « inacceptable et paradoxale », pointe le CGLPL, puisque ce sont les moins de 16 ans, ceux qui sont légalement soumis à une obligation de scolarité, qui, « pour des motifs de sécurité – sans doute facilement réglables – ne peuvent toujours pas en bénéficier ».
Quand bien même le corps enseignant parviendrait-il à pourvoir un nombre satisfaisant d’heures de cours, les professeurs ne sont pas assurés de retrouver tous leurs élèves en classe. « C’est une vraie gageure d’avoir, le matin dit, les effectifs prévus. Mille choses viennent interférer : une audience, un déferrement, un parloir inopiné… Il peut aussi arriver qu’un incident se soit produit la veille et que la pénitentiaire décide d’isoler le gamin, raconte en enseignant en EPM. Dans ces cas-là, qui sont quand même assez rares, l’Éducation nationale n’a pas son mot à dire. On nous rappelle régulièrement que c’est l’école qui est en prison, pas l’inverse. Autrement dit, on est hébergés par la pénitentiaire, mais le maitre des clés, c’est elle. Et le droit à l’éducation ne prévaut certainement pas sur les considérations d’ordre sécuritaire. » Chose quasi impensable dans les établissements pour majeurs, dans cet EPM, les professeurs ont toutefois obtenu de pouvoir intervenir au quartier disciplinaire. « Évidemment, ce n’est pas une présence régulière et ce n’est pas sans complications. Pour imposer ça, il a fallu négocier. Aujourd’hui ça semble être plus ou moins inscrit dans les mœurs. »
Autre complication : des durées d’incarcération difficilement compatibles avec des objectifs scolaires. D’après le bilan sur l’enseignement pénitentiaire, la durée moyenne d’écrou des mineurs était de 2,8 mois en 2018-2019. « Deux mois et demi, c’est très court, et surtout ça ne correspond à rien : entre le très grand nombre de petites peines et le très petit nombre de très grandes peines, on arrive à cette moyenne-là. Et encore, il faut enlever les deux semaines arrivants où ils ne vont pas au socio…, explique un enseignant. Passer un diplôme en si peu de temps, c’est impossible. » Un constat partagé par le CGLPL qui note, à l’issue de sa visite au QM d’Angoulême, que « le temps, souvent court, passé en détention, ne permet pas aux jeunes une réappropriation de la scolarité ». Au-delà même de l’enjeu des diplômes, difficile d’envisager une réelle progression sur des durées aussi courtes. « Les notions, pour être acquises, ont besoin d’être inscrites dans la répétition. Nous on ne répète pas, on n’a pas le temps de répéter, c’est un one shot. » Deux mois et demi, c’est en revanche bien assez pour compromettre une année. « Pour quelqu’un qui était dans l’année du bac, l’incarcération va nécessairement entrainer une rupture. On fait au mieux, mais ça ne sera jamais comme s’il allait au lycée, regrette une enseignante en quartier mineur. Il est impossible de travailler le même nombre de disciplines avec le même volume horaire que s’il était à l’extérieur. » D’autant que leur condition de détenu n’est pas sans effet sur les capacités d’apprentissage des jeunes, au contraire même : « Le monde carcéral a un impact sur eux, sur leur état d’esprit. Ils sont dans une situation très anxiogène. Ils sont souvent très préoccupés et donc peu disponibles mentalement. » La professeure se veut néanmoins positive : « Même sur très peu de temps, il y a toujours quelque chose à faire. C’est ce qui fonde notre engagement ! » « On peut au moins faire en sorte que cette parenthèse de leur vie puisse être mise à profit pour les raccrocher à une logique et des habitudes scolaires », complète son collègue en EPM. Quand on sait que 80% des mineurs détenus avaient décroché de l’école avant leur incarcération(3), on mesure toute l’ampleur de la tâche.
Par Laure Anelli
(1) CGLPL, rapport de visite à l’EPM de Quiévrechain, mars 2019.
(2) CGLPL, rapport de visite à la maison d’arrêt d’Angoulême, décembre 2019.
(3) Bilan de l’enseignement pénitentiaire 2018-2019.
Des mesures « incitatives » qui questionnent
Qu’ils aient plus ou moins de 16 ans, tous les mineurs incarcérés ont vocation à être scolarisés, « sur un mode obligatoire ou incitatif », précise la Convention régissant l’enseignement pénitentiaire. « Dans les faits, les mineurs ne sont pas contraints et forcés. Ils peuvent toujours refuser le matin à l’appel de se rendre au socio, mais il y a un bâton : la suppression de la télévision. Et ça joue beaucoup », raconte un professeur exerçant en EPM. Souvent privilégiée par l’administration pénitentiaire en cas d’absentéisme, la privation de télévision n’est toutefois pas la seule « mesure de bon ordre » utilisée pour « inciter » les jeunes détenus à se rendre en cours. À Quiévrechain, « le premier avertissement consiste à retirer le matelas de la cellule pendant un quart d’heure », rapporte le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) à l’issue d’une visite en mars 2019. Quant à l’EPM de Meyzieu, le CGLPL relève que « si le premier cours n’est pas suivi, il peut y avoir annulation des cours suivants et des autres activités de la demi-journée »*. Sanctionner une absence par l’annulation des autres cours, la logique a de quoi interroger…
* CGLPL, rapport de visite de l’EPM de Meyzieu, mars 2019.