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Visiophonie en détention : séduisant mais trop cher

Expérimentée à partir de 2018 en prison, la visiophonie est maintenant présente dans la majorité des établissements pénitentiaires. Gratuit pendant la crise sanitaire, le dispositif a eu un certain succès auprès des détenus alors coupés de leurs proches. S’il a aujourd’hui vocation à permettre le maintien des liens familiaux au même titre que les parloirs et le téléphone, son coût élevé est un frein important à son utilisation.

La visiophonie en prison a d’abord été pensée comme un outil de lutte contre l’isolement, priorité étant donnée aux personnes « n’enregistrant pas un grand nombre de visites, à celles qui travaillent ou sont éloignées de leurs proches et à toute personne se trouvant dans une situation ou circonstance critique ou particulière (risque suicide, maladie, etc.) », précise la direction de l’administration pénitentiaire. En 2020, la crise sanitaire a servi de catalyseur à son déploiement : en période de restrictions, son usage s’est révélé précieux pour permettre aux personnes détenues de maintenir le lien avec leurs proches. Au centre national d’évaluation de Fresnes, la visio a par exemple été installée en octobre 2020. Au début, l’engouement a été tel que les créneaux ont été limités à une réservation par détenu chaque mois, afin que tout le monde puisse y accéder. Déployé progressivement dans 159 établissements(1), le dispositif est maintenant perçu comme un moyen supplémentaire de maintien du lien avec l’extérieur, au même titre que les parloirs et le téléphone. Les quartiers et centres de semi-liberté n’étant pas concernés, il reste 19 lieux de détention à équiper.

Sur le plan matériel, deux dispositifs sont actuellement utilisés : le premier, fixe, est installé dans un local dédié et raccordé au réseau local. Le second, mobile, peut être utilisé n’importe où, le plus fréquemment en cabine parloir ou en cellule lorsque le détenu bénéficie d’un encellulement individuel. Mais celui-ci fonctionnant en 4G, il a vocation à disparaître, son utilisation étant impossible dans les établissements équipés de brouilleurs, de plus en plus nombreux. Fixe ou mobile, la qualité de l’image et du son semble faire parfois défaut, d’après les témoignages recueillis par l’OIP. « Il y a de gros problèmes de connexion, avec une image pixellisée ou figée, témoigne une personne détenue à la maison centrale de Poissy. Pour autant je renouvelle l’expérience. C’est une belle surprise, qui permet de voir ses proches éloignés, et en plus sans masque. »

Cependant, et malgré un certain succès rencontré pendant la crise sanitaire(2), le recours à la visiophonie reste le fait d’une poignée de détenus à l’échelle nationale. En octobre 2021, 1 139 appels ont été passés, pour 69 173 personnes incarcérées à cette période. « Les visio-parloirs ne créent pas tant de mouvements que cela, confirme un surveillant de la maison d’arrêt du Val d’Oise. Il n’y a qu’une cabine, mais les réservations restent occasionnelles. » D’une part, le dispositif semble parfois souffrir d’un manque de communication auprès des détenus comme de certains membres de l’administration qui ignorent son existence, selon les témoignages reçus par l’OIP. Mais surtout le service, dont l’accès était gratuit pendant la crise sanitaire, est devenu payant à l’automne dernier. N’y accèdent désormais que ceux qui peuvent payer la somme de 6 euros pour 20 minutes(3). Un coût exorbitant qui exclut de fait nombre de personnes incarcérées, à commencer par les indigents. Ceux-là même qui souffrent le plus d’isolement pendant leur détention.

par Pauline Petitot


À Toulouse, un détenu sourd attend toujours la visio

Incarcéré depuis juin 2020 à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, un détenu sourd et d’origine étrangère ne peut pas communiquer avec ses proches depuis plus de quinze mois. En effet, le détenu n’ayant pas la maîtrise de l’écrit, il ne peut pas joindre sa famille, qui est à l’étranger. Saisie, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a sollicité auprès de l’établissement l’installation de la visiophonie afin que le détenu puisse joindre ses proches. Une demande similaire avait déjà été soumise à la direction interrégionale par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) en 2019 pour d’autres détenus dans la même situation, en vain*. Au-delà de la visiophonie, la section LDH de Toulouse plaide pour que ces personnes aient accès à des dispositifs de visio-interprétation : il existe en effet des centres relais téléphoniques qui traduisent oralement à l’interlocuteur appelé ce que dit la personne sourde en langue des signes, et inversement. « Ces services sont très développés à l’extérieur, et utilisés pour toutes sortes de démarches quotidiennes », explique Caroline Mourgues, présidente de la section LDH à Toulouse, mais le sujet progresse très peu en prison. La LDH milite également pour l’accès des détenus sourds à SOS Surdus, une plateforme qui permet aux personnes sourdes isolées d’échanger en langue des signes avec leurs pairs. Car isolés, les détenus sourds le sont aussi de leurs co-détenus et des agents pénitentiaires.
* Toutefois, le service pénitentiaire d’insertion et probation a passé une convention avec un service d’interprètes pour accompagner les rendez-vous.


(1) Pour un total de 355 dispositifs.
(2) 15 640 appels ont été passés entre janvier et août 2021, soit une moyenne mensuelle de 1 955 appels. (3) La visiophonie dépend du même prestataire que le service de téléphonie en cellule, Telio.