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Construction de prisons : le gouvernement nous mène droit dans le mur

En voulant lancer la construction de 20 000 nouvelles places de prison, le Gouvernement ne fait ni plus ni moins que reproduire les erreurs de ses prédécesseurs. Et enterre les ambitions de réforme du début de mandat.

© Grégoire Korganow / CGLPL

L’encellulement individuel est l’un des serpents de mer de l’administration pénitentiaire. Et surtout le meilleur alibi pour construire des prisons. Depuis des décennies, les moratoires repoussant son application se succèdent. Et les programmes immobiliers aussi. Fin 2014, lors du dernier report, le Gouvernement se voulait catégorique : avec les programmes en cours[1] qui porteront la capacité du parc carcéral à 66 640 places et 57 465 cellules, l’encellulement individuel à 80 %[2] sera un objectif atteignable vers 2019.
Deux ans plus tard, l’horizon s’éloigne. C’est désormais une perspective à 2025 que l’on envisage ; avec, bien sûr, un nouveau programme pour y parvenir. À l’occasion de la remise de son rapport sur la mise en œuvre de l’encellulement individuel le 20 septembre dernier, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas évoquait une fourchette entre 10 300 et 16 150 cellules supplémentaires. Depuis, le Premier ministre a validé l’option haute. Un chantier d’une ampleur inédite. Plus de 16 000 cellules, réparties dans 33 établissements (32 maisons d’arrêt, un centre de détention). Près de 20 000 places au total, qu’il entend consacrer dans une loi de programmation.

Vers toujours plus d’incarcérations

Or, que sous-tend ce programme ? L’acceptation pure et simple d’un accroissement constant de la population détenue dans la décennie à venir. Car, au regard des propositions de son ministre, Manuel Valls avait le choix entre deux projections. Soit une stabilisation de la population détenue autour de 67 150 d’ici 2025. C’est-à-dire un un taux de détention à peu près équivalent à celui du 1er janvier 2016 : 101 pour 100 000 habitants. Soit une progression de plus de 10 % sur la même période, amenant le nombre de détenus à 76 250 et le taux de détention à 115 pour 100 000 habitants.
Le Premier ministre a opté pour la hausse. Depuis, il déclare qu’elle est « inévitable » en regard des « enjeux sécuritaires », tout en omettant soigneusement de dire qu’il s’agit là d’un choix de politique pénale. Car l’augmentation de la population détenue n’est en rien corrélée à l’évolution de la délinquance et la criminalité. Depuis le début des années 1990, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de moitié, passant de 45 420 à 68 250, tandis que la délinquance et la criminalité sont restées stables. Les homicides, les vols et les cambriolages ont même diminué[3].
Dans son rapport, le ministre de la Justice ne passe pas totalement sous silence l’impact des politiques pénales. Il cite comme facteurs de hausse des incarcérations : le « durcissement de la législation», « la sévérité accrue des décisions de justice » et le recours plus fréquent à l’emprisonnement, même dans des « contentieux de masse » comme les « violences routières », car une telle sanction est plus rapide à mettre à exécution qu’une alternative. Cependant, au lieu de s’atteler à résoudre une situation qui devrait pourtant interroger, il s’en accommode, car cela entre « en résonance avec des attentes dans la société ». Tout juste concède-t-il que parmi la myriade de personnes qui entre en détention, certaines n’ont rien à y faire : « les déficients mentaux, les malades en phase terminale » et « les vieillards à la santé dégradée ».

L’abandon des ambitions de la réforme Taubira

Le ministre n’a pas encore rendu le bilan prévu de la réforme pénale introduite par sa prédécesseure [4], mais le constat est là. Il y a un total renoncement à poursuivre l’ambition qu’elle contenait d’un moindre recours à l’emprisonnement. Car les prévisions seraient d’une toute autre nature s’il comptait appliquer ne serait-ce qu’un de ses volets – celui de favoriser le prononcé d’aménagements de peine, notamment pour les condamnés à une peine inférieure ou égale à deux ans de prison. Si aucune donnée ne permet de les comptabiliser précisément, on peut en revanche estimer que, de manière constante, plus de 16 800 personnes purgent une peine inférieure à un an dans les maisons d’arrêt, où se concentre la surpopulation carcérale.

Si toutes les personnes éligibles à un aménagement de peine en bénéficiaient, comme la loi le permet, il n’y aurait pas de surpopulation en maisons d’arrêt et l’encellulement individuel à 80 % pourrait être atteint.

Toutes auraient pu prétendre à un aménagement de peine avant leur mise sous écrou, c’est-à-dire à l’exécution de la sanction sous la forme d’une semi-liberté, d’une surveillance électronique ou d’un placement à l’extérieur dans une structure assurant logement et accompagnement social, avec suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Même détenues, toutes y restent éligibles. Or, si elles en bénéficiaient comme la loi le permet, il n’y aurait pas de surpopulation en maisons d’arrêt et l’encellulement individuel à 80 % pourrait être atteint. On compterait environ 29 300 personnes détenues dans ces établissements pour 33 440 places et 28 370 cellules.
Comment justifier d’un tel renoncement ? Pas par la moindre efficacité de ces mesures en termes de prévention de la récidive. La Chancellerie elle-même relevait en 2014 qu’« à partir d’échantillons comparables, le taux de re-condamnation est toujours supérieur lorsqu’une personne est incarcérée », surtout si elle n’a bénéficié d’aucun aménagement de peine. 63 % des personnes sortant de prison sans aménagement sont recondamnées dans les cinq ans. Le taux tombe à 55 % en cas d’aménagement, 45 % en cas de prononcé d’une peine alternative à la prison. Pourquoi, alors, ne pas privilégier ces mesures, si ce n’est pour des raisons de populisme pénal ?

La stratégie électoraliste apparaît clairement à la fin du rapport de Jean-Jacques Urvoas. Lorsqu’il s’agit de contrer l’adage selon lequel « plus on construit, plus on remplit », il souligne qu’il ne pourra être fait l’économie, à un moment ou un autre, d’une réflexion sur « les quanta de peine », « l’application des peines » et « la mise en œuvre des alternatives ». Autrement dit, cette politique pénale que le Gouvernement n’a pas le courage de mener, il en confie le soin à d’autres. Le procédé est grossier. D’autant que ses orientations entérinent clairement l’incarcération pour des courtes peines et même de très courtes peines, pourtant reconnues particulièrement néfastes. En sus des trente-trois nouvelles prisons projetées, il compte en effet lancer la construction de seize autres structures (1 740 places) qualifiées de « quartiers de préparation à la sortie ». Mais aussi la reconversion sous cette appellation de douze quartiers similaires existants (773 places), pour y orienter les courtes peines et même y permettre l’exécution « de très courtes peines traditionnellement effectuées en maison d’arrêt ».

Des effets d’annonce

Toutes les politiques misant sur l’incarcération et la construction de places de prison se sont soldées par des échecs, que ce soit pour prévenir la récidive ou améliorer les conditions de détention. Le ministre le sait, aussi use-t-il là encore d’une technique de communication bien connue en politique : dresser le bilan désastreux des gouvernements antérieurs pour mieux faire figure de rupture. Il passe en revue, dans son rapport, les effets délétères des constructions passées pour laisser entendre qu’avec ce programme, il en sera autrement. Cela dit, que propose-t-il ? Rien de différent de ses prédécesseurs. Tous ont accompagné leur politique immobilière de l’annonce d’un « renouveau » qui permettra de moderniser le parc et de placer le respect de la dignité des personnes au cœur de la politique pénitentiaire. Et pourtant…

Tous les programmes se sont accompagnés d’un délaissement de l’entretien et de la rénovation du parc existant, entraînant une détérioration notable des conditions de détention. Quant aux nouvelles structures, loin d’humaniser la prison, elles se sont avérées de véritables usines de plus de 600 places, où « chacun, détenu ou personnel, se trouve dans une solitude accrue ». À son tour, Jean-Jacques Urvoas assure que le programme permettra de « faire évoluer cette approche uniquement punitive ». Mais, concrètement, il ne détaille rien. Tout « reste encore à concevoir », dit-il dans son rapport. Toutefois, il a d’ores et déjà validé le recours à de grosses structures (entre 400 et 600 places) pour des économies d’échelle. Alors que le Contrôle général des lieux de privation de liberté a plusieurs fois rappelé qu’« au-delà de 200 places, la relation humaine se perd », ce qui « génèrent des tensions et des échecs multiples ».

La présentation du projet de budget 2017 de l’administration pénitentiaire témoigne aussi d’une redoutable continuité. Une somme considérable (1,158 milliard d’euro) est engagée – sans crédits de paiement associés[6] – pour le lancement d’une nouvelle vague de construction (3 900 cellules supplémentaires), au détriment de la remise aux normes du parc pénitentiaire. Les fonds qui y sont alloués – 135 millions d’euros – sont en effet bien insuffisants pour rattraper le retard accumulé. Et le Gouvernement va même jusqu’à assumer de laisser entièrement cette charge à ses successeurs. « La rénovation du parc pénitentiaire s’inscrit nécessairement dans un temps long », nous dit le Premier ministre. Aussi un « Livre Blanc de diagnostic » pour « les vingt prochaines années » sera établi avant la fin du mandat. En d’autres termes, on élude le problème tout en acceptant qu’il soit soumis aux aléas politiques… Autre élément parlant : la question du contenu de la prise en charge en prison et du développement des activités n’a même pas été abordée. Le ministre de la Justice ayant préféré mettre l’accent sur un tout autre aspect : l’augmentation de 62 % des crédits affectés à la sécurité. Dans son rapport, il soulignait pourtant que « tant que l’oisiveté sera la principale « activité » des personnes détenues, leurs capacités de réintégration sociale ne progresseront pas ». Apparemment, il doit juger l’enjeu moins important que le déploiement de la vidéosurveillance et des concertinas pour lequel il a précisé que 40 millions d’euros seraient alloués.

Le garde des Sceaux en appelle au « consensus » sur son programme, quitte à tenter de discréditer tous ceux qui s’y opposent. Dans une réponse à une tribune signée par une centaine de chercheurs et universitaires qui rappelle, expériences à l’appui, l’impasse d’une telle politique en termes d’amélioration des conditions de détention et de sécurité publique, Jean-Jacques Urvoas a déclaré que « le dogmatisme est un confort qu’il faut accepter de quitter si on veut agir ». La ficelle est un peu grosse, mais le ministre n’est pas à une contradiction près. Début 2012, lorsque le gouvernement Fillon III usait de la même technique – mettre en débat un vaste plan de construction de prisons à la veille des élections présidentielles, Jean-Jacques Urvoas fustigeait la méthode en s’appuyant sur le même corpus que les auteurs de la tribune : les travaux de coopération pénologique du Conseil de l’Europe.

Il dénonçait « l’hégémonie » de la « dimension pénitentiaire de l’exécution des peines » et rappelait que « les politiques qui misent sur l’incarcération ne sont pas efficaces ». Car « la première étape pour éviter la récidive est d’éviter l’emprisonnement qui aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, perpétue des phénomènes de violence et enferme les personnes dans un statut de délinquant ». Mener un tel plan de construction « ne fait que traduire une politique de l’autruche vouée à l’échec »[7] soulignait-il alors. Le ministre suit d’autres chemins, mais le constat reste de mise.

Marie Crétenot.

Un gouffre financier vide de sens

Depuis 1987, les programmes immobiliers successifs ont complètement grevé le budget de l’administration pénitentiaire. Et la situation a été aggravée par le recours aux partenariats publics-privés (PPP) à partir de 2004. Des contrats, attractifs de prime abord car ils permettent de reporter sur des sociétés privées le coût de l’investissement initial, mais qui s’avèrent de véritables gouffres financiers sur le long terme. Endetté sur 25 à 30 ans, l’Etat doit faire face à des taux d’intérêts particulièrement onéreux (entre 2 % et 3 %) qui s’additionnent au remboursement des frais d’investissement. Les fonds à verser s’élèvent aujourd’hui à 1,56 milliard d’euros, sans compter les frais de la maintenance des bâtiments et divers services qui portent la somme à 5,1 milliards. Auxquels il faut encore ajouter 1,2 milliard d’euros d’impayés au titre de constructions gérées directement par l’Etat. C’est donc d’ores et déjà une dette de 6,3 milliards d’euros que l’administration pénitentiaire a accumulé, et qu’elle doit apurer un peu chaque année sous peine de pénalités à verser au privé. Cette rigidification du budget a entraîné plusieurs effets d’éviction ces dernières années. L’entretien des prisons en gestion publique a été complètement délaissé. Entre 2007 et 2015, 514 millions d’euros seulement ont été alloués à ce secteur, alors que les besoins étaient estimés à près de 1,2 milliard d’euros. Si bien que le parc a vieilli prématurément et les conditions de détention se sont dégradées. Plus d’un tiers des cellules (35,7 %) peuvent être aujourd’hui considérées comme vétustes. Et dans le même temps, la question des activités en prison a été passablement négligée, l’Etat orientant plus aisément les fonds disponibles vers la sécurité. Au point que, « toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives, éducatives ou professionnelles), une personne détenue ne peut en moyenne avoir accès qu’à une heure d’activité », reconnaît le ministre. Le temps carcéral est ainsi « aussi vide d’activité que de sens » *.

 

(1) Les programmes « 6 500 places » et « 3 200 places » lancés respectivement en juillet 2012 et septembre 2014.

(2) Le Gouvernement entend préserver 20 % de cellules doubles pour faciliter la gestion de la détention (prévention du suicide, organisation du travail, etc.) et permettre à ceux qui ne souhaitent pas être seuls en cellule de ne pas l’être.

(3) Observatoire scientifique du crime et de la justice

(4) L’article 56 de la loi du 15 août 2014 prévoit que dans les deux ans suivant la promulgation du texte, le Gouvernement doit rendre au Parlement un rapport d’évaluation, notamment sur la peine alternative de contrainte pénale.

(5) Des quartiers jusqu’alors qualifiées de « quartiers courtes peines » ou « quartiers nouveau concept ». Tournés vers la construction de projet d’insertion, ils sont censés favoriser le prononcé d’aménagement de peine. Mais, de fait, 97 % des personnes exécutant une peine de moins de six mois font l’objet d’une sortie sèche, sans accompagnement.

(6) Seuls 2.5 millions de crédits de paiement sont prévus dans le budget. Ce qui représente 0,2 % de la somme engagée.

(7) Jean-Jacques Urvoas, Assemblée nationale, 20 février 2012.