Il aura fallu attendre le rejet d’un pourvoi devant la Cour de cassation, le 12 octobre 2022, pour que des surveillants de la prison de Moulins-Yzeure condamnés pour avoir violemment frappé un détenu en 2014 soient suspendus de leurs fonctions. Largement soutenus par les organisations syndicales, les agents n’avaient entre-temps fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire interne.
Le début de l’affaire remonte au 10 janvier 2014. Placé au quartier disciplinaire à la suite d’une altercation avec un surveillant, Bernard F. lance de l’urine sur plusieurs agents. Des surveillants interviennent alors dans sa cellule pour confisquer tous les contenants à sa disposition. Selon le témoignage de Bernard F., il est alors mis au sol, attaché avec du scotch, frappé à coups de poings et pieds. Bilan de cette expédition punitive : 21 jours d’incapacité temporaire de travail (ITT), en raison de « traumatismes multiples », « fractures de trois côtes » et contusions du système digestif.
Bernard F. dépose plainte, et en avril 2014, six surveillants sont mis en examen. Vent debout, les organisations syndicales organisent immédiatement une manifestation devant la prison, défendant un « usage de la force strictement nécessaire » et une intervention réalisée « de manière très professionnelle ».
En dépit de cette mise en examen, les surveillants restent en poste et l’instruction s’enlise. En 2019, le parquet informe l’OIP que le dossier « vient d’être communiqué au règlement par le juge d’instruction ». Il faudra encore attendre un an et demi pour que se tienne un premier procès, en février 2021. Bernard F., sorti de prison entre temps, est introuvable et n’est pas représenté à l’audience. Une absence qui n’empêche pas le parquet, à partir des enregistrements vidéo de l’époque, du certificat médical et de l’intervention d’un expert médical, de pointer les incohérences dans la défense des surveillants poursuivis. Ils sont condamnés à huit mois de prison avec sursis et une interdiction d’exercer leur profession pendant un an.
Ces derniers font immédiatement appel et un second procès est fixé au 15 septembre 2021. Dès le 1er du mois, l’Ufap et Force ouvrière diffusent un tract de soutien et organisent un rassemblement devant la Cour d’appel. Le 27 octobre, cette dernière rend un verdict plus sévère qu’en première instance : elle prononce douze mois de prison avec sursis et trois ans d’interdiction d’exercer. Dès le lendemain, une cinquantaine de surveillants bloquent la prison de Moulins-Yzeure. Un pourvoi est rapidement formé devant la Cour de cassation et les agents restent donc en poste. « Le pourvoi en cassation a un effet suspensif et l’arrêt de la cour d’appel de Riom ne peut pas être considéré comme une décision définitive », explique la Direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp), interpellée à ce sujet en juillet 2022.
Bien qu’indépendante des poursuites pénales, aucune procédure disciplinaire n’est par ailleurs engagée. Si l’un des mis en cause est depuis parti à la retraite, un autre dans le privé, et un dernier en arrêt longue maladie, les trois autres surveillants sont restés au contact de la population pénale, certains d’entre eux ayant même été promus. Comme souvent dans les affaires de violences, l’administration pénitentiaire a fait le choix de la prudence, ne se risquant pas à prendre de sanctions disciplinaires en l’absence de condamnation définitive.
D’après plusieurs sources, une suspension aurait été envisagée au niveau interrégional après la condamnation en appel, mais exclue par la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap). On évoque de fortes pressions syndicales. « Quelqu’un de lambda ou de non syndiqué aurait été suspendu ou reclassé depuis longtemps. L’Ufap est derrière ses collègues, et la Dap fait preuve de frilosité, ne voulant peut-être pas se mettre un puissant syndicat à dos », soufflait ainsi un membre de l’administration pénitentiaire.
La Cour de cassation a finalement rejeté le pourvoi ce 12 octobre 2022, rendant la condamnation des surveillants définitive. Ceux qui étaient encore en poste ne peuvent donc désormais plus rentrer en détention. Fin octobre, la Disp indiquait par ailleurs que « les procédures disciplinaires [étaient] en cours de mise en œuvre ».
Des sources syndicales précisent de leur côté que les syndicats seraient en train de négocier au niveau national un reclassement sur un poste administratif, permettant aux surveillants de continuer à travailler en détention, « hors du contact de la population pénale et sans le statut de surveillant ». « On se met en ordre de bataille pour monter au créneau si ce n’était pas accordé », prévenait fin octobre un responsable.
Par Charline Becker