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Homicides en prison : série noire en 2022

Entre 2018 et aujourd’hui, quatorze personnes sont mortes en détention, tuées par leurs codétenus. Plus de la moitié de ces décès se concentrent sur l’année 2022. Si ces événements restent rarissimes au regard du nombre total de personnes détenues, ils mettent en lumière les difficultés posées par la surpopulation carcérale et révèlent, pour nombre d’entre eux, des dysfonctionnements graves.

Le 2 mars 2022, Ivan Colonna, incarcéré à la maison centrale d’Arles, était agressé par un codétenu et décédait quelques jours plus tard. À la suite de cette agression, l’Inspection générale de la Justice (IGJ) était saisie, et une commission d’enquête de l’Assemblée nationale lancée. Largement relayé dans les médias, cet homicide en cache d’autres, passés inaperçus : entre 2018 et aujourd’hui, quatorze personnes détenues sont mortes sous les coups d’autres prisonniers. Et si les chiffres oscillent habituellement entre un et trois homicides par an, l’année 2022 fait figure d’annus horribilis : huit personnes ont été tuées en détention.

Des choix d’affectation problématiques

Sur les quatorze homicides recensés depuis 2018, trois résultent d’agressions collectives (en promenade ou dans des dortoirs ou cellules collectives). Les autres agressions mortelles sont le fait d’un seul auteur, et se sont passées en cellule. Dans un contexte de surpopulation carcérale limitant drastiquement les possibilités de changement de cellule ou d’encellulement individuel, un premier problème se pose pour l’administration : celui du choix des personnes à affecter dans la même cellule, impliquant théoriquement la prise en compte des signaux d’alerte ou de tensions émanant des co-cellulaires.

À Perpignan, où un homme de 63 ans a été tué en 2020, le codétenu mis en cause avait à plusieurs reprises demandé à changer de cellule, indiquant ne plus supporter « la grande saleté de son colocataire mais également ses avances sexuelles »[1]. À cette époque, « il y a avait eu beaucoup de mouvements et de transferts, et le quartier centre de détention était en légère surpopulation, certaines cellules étaient doublées », explique une source pénitentiaire. À Toulon[2], où Willy est décédé sous les coups de son co-cellulaire en janvier 2022, plusieurs personnes, détenues comme agents pénitentiaires, ont également questionné la décision de l’affecter avec un co-détenu connu pour sa violence. À Aiton[3], où un homicide a eu lieu le 10 février, la victime aurait également été placée avec un homme notoirement violent. « Ça faisait quelques temps qu’il était là, il faisait partir tous ses codétenus, il les violentait. La personne a demandé plusieurs fois à changer, mais ils ne l’ont pas bougée », affirmait ainsi un prisonnier à l’OIP quelques jours après le décès. Un témoignage que réfutent en partie les surveillants de l’établissement. S’ils reconnaissent que l’agresseur ne s’entendait pas bien avec ses codétenus et avait eu de multiples changements de cellules pour ces raisons, ils affirment « qu’aucun élément ne montrait de mauvaise entente entre ces deux personnes ». Au quartier de semi-liberté de Saint-Etienne, non touché par la surpopulation mais ayant des cellules prévues pour deux personnes, Mehdi, 25 ans, a été tué par son codétenu fin décembre 2022.

Apparemment atteint de lourds troubles psychiatriques (lire l’encadré en fin d’article), l’affectation de ce dernier en cellule partagée soulève, là encore, de nombreuses questions.

Si les décisions d’affectations sont souvent contraintes par la surpopulation carcérale, le sous-effectif et les roulements des surveillants nuisent également à la détection d’éventuelles tensions, comme à la prise en compte des demandes des personnes détenues de changer de cellule. « Je n’ai jamais vu un établissement en manque d’agents comme Toulon. On a des agents en poste pendant douze heures qui n’ont pas le temps de manger. Si on met un surveillant sur chaque promenade, il y a des étages où il y a un surveillant pour deux étages », dénonce un agent. Pour un cadre de l’administration, « dans certaines prisons, seuls l’officier et son adjoint connaissent réellement les détenus. Les autres surveillants ne sont pas sectorisés, ils tournent dans tous les quartiers : finalement, ils connaissent moins bien les détenus, et automatiquement, ils sont moins performants pour détecter les tensions ». Il nuance cependant : « Quand on regarde la proportion de personnes qui sont deux en cellule et le temps passé ensemble, les homicides sont finalement assez rares, par rapport au risque colossal que l’on a à gérer. L’affectation n’est pas un exercice facile, il faut prendre en compte les prévenus, les condamnés, les fumeurs, les non-fumeurs, les interdictions de contact, les mésententes, l’âge, parfois les origines, avec en plus la surpopulation… Je pense malgré tout que l’administration a un vrai savoir-faire là-dedans, qu’on ne mesure pas et qui ne se voit que quand il se passe quelque chose de dramatique ».

En 2022, deux décès ont par ailleurs eu lieu dans des quartiers spécifiques, où étaient regroupées des personnes plus fragiles, mais également des personnes violentes ou perturbatrices que l’administration souhaitait isoler du reste de la détention. Au risque d’attiser les tensions plutôt que de les apaiser. À la prison de Baie-Mahault, où un détenu a été retrouvé mort en janvier après une bagarre avec ses co-détenus, le syndicat UFAP-Unsa dénonce ainsi un « quartier censé protéger les détenus, héberger des détenus incompatibles à la détention, devenu depuis des années un quartier de guérilla ». Idem à Avignon, où un prisonnier a été tué en août dans la cour de promenade d’un bâtiment dans lequel étaient regroupées des personnes écartées de la détention normale mais aux profils très variés, et où des tensions avaient déjà été signalées.

Négligences

En 2022, plusieurs homicides ont par ailleurs révélé d’importants manques de vigilance ou de réactivité des surveillants. À Toulon, une première altercation aurait ainsi éclaté quelques heures avant l’homicide, sans qu’aucune mesure ne soit prise pour séparer les codétenus. Par ailleurs, si Willy est vraisemblablement mort sous les coups de son codétenu dans la nuit de vendredi à samedi, le décès ne sera pour sa part remarqué que le dimanche matin par les surveillants – un dysfonctionnement gravissime qui a entraîné la saisine de l’IGJ. Dans l’affaire Colonna, les conclusions de l’inspection de l’IGJ et les auditions devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale établissent que la personne en charge de la surveillance du secteur où a eu lieu l’agression « s’est absenté[e] pendant une vingtaine de minutes, durant lesquelles il n’est pas capable de nous décrire ce qu’il a fait (….) et notamment pendant les neuf minutes au cours desquelles a eu lieu l’agression dramatique »[4]. À Châteaudun où, en avril 2022, un homme a été frappé à mort par un codétenu, d’importants dysfonctionnements dans la surveillance des mouvements semblent également avoir eu lieu. En pleine journée, l’auteur aurait ainsi réussi à sortir de son aile pour en rejoindre une autre, avant de commettre les faits sur une coursive.

Ces défauts de vigilance, qui soulignent en creux l’échec de dispositifs de surveillance pourtant exorbitants, se doublent parfois d’un sérieux manque de réactivité des agents pénitentiaires. Neuf des quatorze homicides se sont déroulés en service de nuit : une période durant laquelle les personnes détenues ne peuvent communiquer avec les surveillants que via l’interphonie. Un système largement critiqué, par les personnes détenues comme par les membres de l’administration pénitentiaire. « L’interphonie est un impensé. C’est un système qui fonctionne très mal, avec des écrans minuscules, qui indiquent des numéros de cellule parfois faux, des sonneries inaudibles. Il y a également une absence de formation des surveillants. Aucune attention n’est portée à ce sujet », souligne un cadre. À ces défaillances techniques s’ajoutent parfois des manquements humains. À Toulon, tout laisse à penser que Willy aurait tenté d’alerter les surveillants à l’interphone, en vain. Une source pénitentiaire indique en effet que l’appareil, fonctionnel, aurait été déclenché à plusieurs reprises, sans réponse. Une situation qui ne semble pas isolée : à Saint-Étienne, « on a sonné aux interphones et ils nous ont répondu que c’était une blague », témoignent des codétenus[5]. Ils affirment également qu’en dépit de leurs cris, les surveillants auraient mis plus de quarante minutes à intervenir.

Par Charline Becker

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ? 


[1] « Meurtre à la prison de Perpignan : Reconstitution des faits ce mercredi, le mis en cause n’aurait pas supporté la saleté et les avances de son codétenu », L’Indépendant, 23/03/2022.

[2] Quartier maison d’arrêt occupé à 135% au moment des faits.

[3] Quartier maison d’arrêt occupé à 158% au moment des faits.

[4] Compte-rendu de la commission d’enquête, 26 janvier 2023.

[5] rance3 Auvergne-Rhône-Alpes, « Mort d’un détenu à la Talaudière : « on a crié pendant 40 minutes avant que les surveillants n’interviennent ». Des codétenus parlent », 4 janvier 2023.