La diversité qui caractérise le placement à l’extérieur vaut aussi pour son public. S'il est l'un des seuls aménagements de peine accessibles aux personnes les plus précaires et isolées, il n'est pas pour autant à la portée de tous. Et la rareté des structures d’accueil le rend d’autant plus sélectif.
« Je n’avais nulle part où aller : avant la prison, j’étais sans domicile. Et la semi-liberté, ça ne m’aurait pas vraiment aidé pour toutes les démarches à faire. C’est pour ça que j’ai demandé un placement à l’extérieur », explique Ali, hébergé par une association de la région parisienne. Un récit récurrent : la densité de l’accompagnement proposé, y compris la possibilité de trouver un toit, fait du placement à l’extérieur l’un des seuls aménagements de peine accessibles aux « personnes les plus fragiles socialement, qui en sont aujourd’hui largement exclues[1] ». La libération conditionnelle et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) sont en effet conditionnées à un logement, des appuis familiaux, ou encore la capacité de travailler et d’indemniser d’éventuelles victimes. Et si la semi-liberté implique quant à elle un hébergement au sein des établissements pénitentiaires, les places restent rares et la mesure n’implique pas nécessairement un soutien socio-éducatif important.
Ces caractéristiques conduisent de nombreux professionnels à orienter prioritairement vers le placement à l’extérieur les personnes les plus précaires. « C’est un vrai levier pour lever la question du logement, se concentrer sur d’autres problèmes que la survie et remettre en place du lien social », témoigne Pierre-Yves Lapresle, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) au centre de détention de Bédenac et représentant de la CGT Insertion-Probation. « Cette mesure me semble particulièrement adaptée aux personnes isolées, ou confrontées par exemple à des problématiques addictives, qui ont besoin d’un accompagnement sur mesure pour reprendre leurs marques », ajoute Amélie Laguet, juge de l’application des peines (Jap) à Châteauroux et déléguée de l’Union syndicale des magistrats (USM).
Également souvent associé aux sortants de longue détention, le placement à l’extérieur n’est pas pour autant limité à ce public. « Nos associations proposent toutes des offres très diversifiées, et chacune peut correspondre à des personnes différentes », souligne Agnès Jolly, de l’association Trajet, en Loire-Atlantique. Une diversité encore accrue par le développement, depuis 2020, du placement à l’extérieur sans détention (ab initio ou sans mandat de dépôt). « L’enveloppe du placement à l’extérieur reste la même, mais il me semble que son contenu évolue, observe Pierre Jourdin. Sans perdre de vue les personnes les plus marquées par la précarité sociale, il s’adresse de plus en plus à tous les publics. » Aux côtés des sortants de longues peines, la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) y voit désormais un moyen privilégié de prendre en charge les auteurs de violences conjugales. Au risque d’un effet de vases communicants ? Le rythme accéléré auquel les récentes réformes pénales soumettent certains aménagements de peine réduit le temps de préparation de la mesure et celui de l’accompagnement, ce qui peut sérieusement compliquer la prise en charge des personnes en situation de grande précarité.
Des capacités d’accueil aléatoires
Si l’offre de placement à l’extérieur est extrêmement variée, c’est aussi le cas des critères de sélection des demandes, en fonction des ressources dont dispose chaque association pour prendre en charge des besoins spécifiques. Si certaines sont spécialisées dans l’accueil de personnes présentant des troubles psychiques importants, par exemple, « dans les fermes d’insertion Emmaüs, nous avons admis que nous n’étions pas capables de les accompagner, explique leur coordinatrice Armelle Dubois. Ce serait irresponsable voire maltraitant d’accueillir des personnes si nous ne sommes pas capables de répondre à leurs besoins, et cela pourrait mettre en péril l’équilibre du collectif. »
En fonction des associations présentes, la capacité d’accueil de certains publics n’est donc pas la même partout. Et la sélectivité de la mesure ne peut qu’être accentuée par le manque de structures de placement à l’extérieur sur de nombreux territoires. La Jap Amélie Laguet regrette ainsi que les places soient si rares dans l’Indre, malgré de nombreux efforts pour impliquer de nouveaux partenaires.
Ces inégalités territoriales peuvent aussi jouer dans la capacité d’accueil et d’accompagnement des femmes.
Sur le plan national, elles sont certes légèrement sur-représentées en placement à l’extérieur par rapport au reste de la population écrouée[3]. Mais au niveau local, toutes les associations ne permettent pas l’accueil d’un public mixte. De nombreux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), en particulier, sont réservés à un public d’hommes isolés en situation de précarité. Et très peu de structures, comme la ferme Emmaüs de Baudonne dans les Landes et le CHRS Soleillet à Paris, sont dédiées à l’accueil et à l’accompagnement des femmes.
Le placement à l’extérieur n’est pas imperméable non plus à toutes les discriminations qui ponctuent l’octroi des autres aménagements de peine. « 80 % des Cpip que je côtoie considèrent que les personnes étrangères en situation irrégulière n’y ont pas droit », confie une responsable associative. De nombreuses structures d’accueil refusent elles-mêmes d’en accueillir, estimant que l’absence de titre de séjour compromet l’obtention d’un contrat de travail ou d’autres perspectives d’insertion, sans parler du financement de la mesure.
« Une mesure de faveur » ?
Les seuls critères communs à toutes les structures d’accueil restent finalement l’adhésion à la mesure et l’implication personnelle de la personne détenue. « Il faut que ce soit vraiment un choix de sa part, qu’elle soit prête à se remettre en question et à tenir le cadre », souligne Nora Hannou, d’Apremis. « Pour orienter quelqu’un en placement à l’extérieur, il faut qu’il ait déjà un peu cheminé, ajoute un Cpip. On n’est ni dedans ni dehors, on se confronte à l’extérieur en s’imposant une forte auto-discipline… C’est compliqué, on peut vite se mettre en difficulté. »
De là à n’octroyer la mesure qu’aux personnes détenues « méritantes », comme c’est souvent le cas des autres aménagements de peine, il y a un pas – qui semble fréquemment franchi. « Le placement à l’extérieur, c’est pour ceux qui font preuve d’un bon comportement en prison, qui ont montré qu’ils pouvaient travailler, estime Romain, lui-même placé l’an dernier aux Foyers Matter, à Lyon. Ceux en qui ils ont un peu moins confiance, ils les orientent plutôt vers la semi-liberté. » Un constat que partage la chercheuse Sophie Clair, qui travaille sur les fermes d’insertion Emmaüs : « La démarche est souvent longue et compliquée, et j’ai l’impression que cela reste malgré tout une mesure de faveur, qui récompense ceux qui n’ont pas eu de rapport d’incident en détention, qui ont travaillé, etc. » Et ce, d’autant plus que le placement à l’extérieur est souvent perçu par les magistrats comme une mesure « risquée », puisque dépourvue de contrôle physique.
[1] Conférence de consensus pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, Rapport du jury, 2013.
[3] 5,3 % des personnes placées à l’extérieur au 1er septembre 2023 étaient des femmes. Elles représentaient alors 4 % des personnes écrouées et 4,91 % de celles en aménagement de peine sous écrou. Source : Dap/EX3.