Dans un jugement du 23 juillet 2014, le Tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser 34 000 euros à la famille d'Aliou Thiam, décédé le 10 juin 2007 à la maison d'arrêt de Loos à l'âge de 38 ans d'un arrêt cardiaque suite à plusieurs crises d'épilepsie. Il pointe un défaut de prise en charge et d'information sur la gravité de l'état de M. Thiam.
Détenu à la maison d’arrêt de Loos, Aliou Thiam est victime le dimanche 10 juin 2007 à 6h du matin d’une crise d’épilepsie. Immédiatement, la cellule ne disposant d’aucun système d’alerte d’urgence, son co-détenu affolé appelle les surveillants en frappant de toutes ses forces contre la porte.
Une procédure d’urgence inappliquée
Vers 6h30, un surveillant et un gradé entrent dans la cellule et trouvent M. Thiam inconscient « allongé sur son lit en position latérale de sécurité, une légère perte de sang au niveau de la bouche, avec une respiration haletante ». Le co-détenu leur décrit précisément les symptômes : cris, convulsions, apparition de bave, raidissement… mais les surveillants n’estiment pas nécessaire d’appeler le SAMU. Pourtant, le service médical (UCSA) n’ouvre qu’à 8h et le code de procédure pénale (art. D 374) impose, « si une intervention médicale paraît nécessaire en dehors des heures d’ouverture de l’UCSA », d’appliquer « les directives prévues par le protocole » signé entre la prison et le centre hospitalier qui prévoit qu’ « en situation d’urgence, le personnel pénitentiaire fait appel au centre de régulation du SAMU (centre 15) ». Aux alentours de 7h, nouvelle crise d’épilepsie, nouvelle alerte du co-détenu. Cette fois, les surveillants ne réalisent qu’un contrôle visuel à travers l’œilleton et indiquent que M. Thiam sera examiné par les infirmières de l’UCSA à leur arrivée.
Une transmission d’informations défaillante
7h du matin, c’est l’heure à laquelle l’équipe des surveillants de jour remplace l’équipe de nuit. Cette dernière indique qu’Aliou Thiam « devrait être vu rapidement par le service médical », consigne transmise à l’UCSA à son ouverture. Mais « le signalement auquel il a été procédé par l’administration pénitentiaire ne faisait pas état des pertes de connaissance, et de convulsion » reconnaît le ministre de la Justice dans son mémoire en défense. Ainsi, M. Thiam n’est appelé à l’UCSA qu’à 9h20. Frappé d’amnésie, comme il est fréquent après ce genre de crise, il se plaint juste de douleurs très fortes au visage, au dos et aux jambes, ce qui affecte le diagnostic.
A 9h40, il fait une nouvelle crise d’épilepsie en sortant des locaux de l’UCSA. Le centre 15 est enfin appelé, mais aucune équipe du SAMU n’étant disponible, ce sont les pompiers qui arriveront sur les lieux vers 10h30. Son décès est constaté à 11h.
« La perte d’une chance sérieuse de survie »
Selon l’expertise médicale réalisée à l’issue de son décès, il est « certain qu’une prise en charge immédiate après la première crise d’épilepsie aurait permis de faire constater plus rapidement par un personnel compétent la perte de connaissance puis la récidive et d’orienter de manière adaptée vers un service hospitalier susceptible de prendre en charge une éventuelle aggravation ». Le rapport estime qu’il est également « certain que les témoins (co-détenu et surveillants) avaient des informations utiles pour le service médical » et qu’ « il semble cependant qu’aucune information n’ait été transmise ».
Dans sa décision en date du 23 juillet 2014, le tribunal administratif relève deux fautes de l’administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l’État. Il considère que « la méconnaissance de la procédure fixée par les dispositions de l’article D.374 du code de procédure pénale [relative à la permanence des soins en dehors des horaires d’ouverture de l’UCSA], ainsi que l’absence d’informations précises et suffisantes fournies par le personnel pénitentiaire au service médical ont, pour partie, directement concouru à la perte d’une chance sérieuse de survie pour M. Thiam ». Il condamne l’Etat à verser la somme de 34 000 euros à la mère, aux deux enfants, à la compagne et au frère de M. Thiam.
Le système français de permanence des soins en question
Cette condamnation de l’Etat illustre la défaillance structurelle du système d’organisation des soins dans les prisons françaises qui ne disposent d’aucune présence médicale ou infirmière la nuit voire le week-end. En 2000 déjà, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) insistait « à nouveau sur le fait que l’existence d’un simple système d’astreinte et – a fortiori – d’appel à un service d’urgence ne rend en aucun cas superfétatoire la nécessité d’une présence permanente dans des locaux pénitentiaires d’une personne en mesure de fournir les premiers soins, bénéficiant de préférence, d’une qualification reconnue d’infirmier. » Il insistait : « Faut-il rappeler qu’une telle mesure permettrait d’assurer une intervention à la fois immédiate et appropriée en cas d’urgence pour les détenus. Le CPT recommande une fois de plus aux autorités françaises d’organiser, dans les établissements pénitentiaires qui ne bénéficient pas d’un système de garde médicale, la permanence d’une telle personne ».
Les drames tels que celui d’Aliou Thiam rappellent l’urgence de donner suite à ces recommandations, a minima en permettant aux détenus de disposer d’un système d’alerte d’urgence du SAMU qu’ils soient en mesure d’actionner eux-mêmes, sans l’intermédiaire des personnels pénitentiaires placés, avec le système actuel, en position de devoir évaluer l’urgence de situations médicales qui ne relèvent pas de leur compétence.