Éloignement géographique, lourdeur des démarches, hostilité de l’environnement carcéral : pour les pères incarcérés, recevoir des visites de leurs enfants est tout sauf aisé.
« À chaque visite, j’ai l’impression de ne pas les connaître, tellement ils grandissent vite ! » s’exclame Monsieur L., incarcéré au centre pénitentiaire de Perpignan. Du fait de la distance et des frais de déplacement, il ne voit ses quatre enfants que trois fois par an. En effet, le droit de recevoir des visites, parfois obtenu de haute lutte, est loin de garantir sa mise en œuvre. Y parvenir suppose de surmonter une série d’obstacles, tant matériels qu’humains, qui s’interposent entre l’enfant et son père incarcéré.
Faire venir un enfant au parloir nécessite tout d’abord la disponibilité d’un tiers : jusqu’à ses seize ans, il doit être accompagné d’un adulte, disposant lui aussi d’un permis de visite. Il peut s’agir de l’autre parent, d’un autre membre de la famille, d’un accompagnateur mis à disposition par une association spécialisée, ou d’un éducateur de l’Aide sociale à l’enfance (Ase) dans le cas des enfants placés. Lorsque l’enfant ne peut être accompagné par un proche et qu’aucun partenariat n’est conclu entre l’établissement pénitentiaire et une association, la rencontre peut s’avérer impossible.
Un premier défi : accéder au parloir
Dans les autres cas, l’accompagnateur devra commencer par s’armer de patience pour réserver un parloir. Outre les difficultés fréquemment rencontrées par l’ensemble des proches, comme les lignes téléphoniques dédiées qui ne répondent jamais[1], les créneaux sont d’autant plus réduits pour les visites d’enfants qu’elles doivent être organisées en-dehors du temps scolaire. Or, à la maison d’arrêt de Besançon, par exemple, les parloirs sont fermés le week-end. Trouver un horaire compatible avec l’emploi du temps de l’accompagnateur n’est donc pas simple : « Les créneaux sont ouverts deux ou trois semaines à l’avance maximum, et il n’y en a que les mardi, mercredi et samedi, explique une éducatrice spécialisée de l’Ase dans l’ouest de la France. Je ne travaille pas le samedi, l’enfant a cours le mardi et le mercredi matin : il ne reste plus que le mercredi après-midi, qui est une demi-journée très chargée pour nous. Et les créneaux sont pris d’assaut. Quand on les a manqués, il faut se reconnecter tout le temps jusqu’à ce que ceux des semaines suivantes soient ouverts à la réservation. »
La surpopulation carcérale rend la concurrence d’autant plus rude, faisant de l’accès aux parloirs « un véritable enjeu en détention d’hommes », souligne la chercheuse Ariane Amado. « Comme les hommes incarcérés sont plus nombreux, leur temps de parloir est souvent plus court que celui des femmes », note aussi Martine Noally, présidente du Relais enfants parents (Rep) Isère et vice-présidente de la Fédération internationale des relais enfants parents (Frepi).
Pour se rendre sur place, l’enfant doit parfois effectuer un long voyage, ce qui n’est pas toujours compatible avec son âge. En comptant le trajet retour, l’attente et les contrôles, lui permettre de voir son parent incarcéré pendant 45 minutes peut nécessiter d’y consacrer la journée : les proches volontaires ne disposent pas toujours du temps ni des moyens financiers nécessaires. Quelques associations proposent un accueil de nuit à faible coût pour les familles qui ne peuvent pas faire l’aller-retour dans la journée, mais cette offre reste rare et précaire[2]. Pour les associations et l’Ase, qui suivent un nombre important de familles, assurer les visites régulièrement et dans la durée n’est pas toujours possible non plus. « Sur une peine de dix ans, on ne va pas pouvoir y aller tous les quinze jours, c’est sûr ! », reconnaît une éducatrice spécialisée de l’Ase.
La régularité des visites peut aussi être mise en échec par la rigidité des conditions d’accès au parloir. « Si je dois m’absenter, ou si j’ai une urgence au travail, c’est compliqué : le parloir est à mon nom, donc je ne peux pas me faire remplacer », poursuit l’éducatrice. À l’intérieur, les parents attendent parfois en vain l’arrivée de leur enfant : « J’avais fait toutes les démarches avec le Rep Hauts-de-France et une éducatrice devait m’amener ma fille le 15 novembre. Elles ne sont jamais venues, on ne m’a pas prévenu et à ce jour, je ne sais toujours pas ce qui s’est passé », témoigne Monsieur B., incarcéré au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, en décembre 2023.
Des conditions d’accueil souvent peu adaptées
Les difficultés ne s’arrêtent pas au seuil de la prison : derrière les murs, les conditions d’accueil sont souvent peu adaptées aux enfants. « C’est tellement un temps de maltraitance pour les familles que certains pères préfèrent renoncer à voir leurs enfants, pour les préserver », constate Charlotte Haguenauer, du service médico-psychologique régional (SMPR) de Fleury-Mérogis. À Fresnes, les visiteurs doivent attendre une heure et demie à l’extérieur de la prison, quelle que soit la saison, avant de pouvoir y pénétrer. Dans les établissements les plus récents, comme à Lutterbach, les visites d’enfants accompagnés par une association ont lieu dans un local spécifique, leur évitant d’attendre avec les autres. Au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, des rencontres sont organisées au gymnase, accessible via un parcours souterrain sans avoir à circuler au sein de l’édifice. Mais dans d’autres établissements, les enfants sont soumis aux conditions classiques des parloirs, déjà éprouvantes pour les adultes : « Avant la rencontre, l’émotion est forte en salle d’attente et il peut y avoir des tensions entre les familles, ou avec les surveillants. Cela peut être plus traumatisant que la simple vue de la prison », rapporte Martine Noally, vigilante à ce que les enfants accompagnés par les Rep disposent d’un accès spécifique, ce qui n’est pas le cas partout.
Dans la plupart des cas, les enfants passent d’abord par un « accueil familles » où sont présents des bénévoles habitués à ce public, mais ils sont ensuite pris en charge par des agents pénitentiaires qui n’y ont pas nécessairement été formés. Parfois éprouvés par la dureté des interactions et des opérations de contrôle, ils peuvent se voir refuser l’entrée d’objets personnels ou qu’ils comptaient donner à leur père, selon des pratiques peu transparentes et très variables, d’après une enquête de l’Uframa[3], qui fédère les maisons d’accueil familles. Le père détenu arrive quant à lui au parloir avec tout ce qu’il a vécu en détention, y compris pour venir jusque-là : « Il peut y avoir des incidents pendant le mouvement, des altercations… Hier, un papa est arrivé la tête à l’envers, il s’était fait agresser dans les couloirs », témoigne Martine Noally.
Les parloirs ordinaires sont rarement adaptés à l’accueil des enfants, pour qui ils peuvent même constituer un environnement hostile. Il s’agit le plus souvent de boxes de 2 à 4 m2, sonores et surveillés. À Varces, « il y a une table et trois chaises dans 4 m2. La petite a du mal à rester sur sa chaise. Comme elle ne peut pas marcher, elle se roule par terre, mais le sol est très sale », raconte Madame F. « Juste une table et des chaises, les murs blancs, les portes blindées… Mes enfants ressentent le milieu carcéral », déplore Monsieur G., incarcéré au centre de détention de Riom. La présence du personnel pénitentiaire peut intimider les enfants et faire obstacle à toute intimité : en juin 2022, les très jeunes enfants de Monsieur M. sont ressortis traumatisés d’un parloir en Île-de-France, impressionnés par la présence d’une équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP). Mais le manque de personnel peut aussi avoir des conséquences délétères : les enfants en bas âge de Madame S. ont été contraints de faire leurs besoins au parloir à plusieurs reprises en 2023, parce que personne ne venait leur ouvrir pour les emmener aux toilettes[4].
Pour les familles nombreuses, les difficultés sont exacerbées : du fait de la taille des parloirs, les établissements limitent le nombre de visiteurs par détenu. Ce qui suppose de trouver une solution pour faire garder une partie des enfants, puis d’organiser leur venue à un autre moment. Le parent détenu peut toujours faire une demande d’autorisation exceptionnelle au chef d’établissement, sans garantie de succès : alors qu’il avait obtenu des parloirs avec ses quatre enfants et leur mère à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, Monsieur M. n’a pu en bénéficier ni au centre pénitentiaire de la Santé, ni à Réau où il se trouve actuellement. En conséquence, il n’a plus de contact avec son plus jeune fils, né pendant sa détention.
Des aménagements limités
Depuis quelques années, outre les parloirs ordinaires, des parloirs ou salons familiaux permettent théoriquement aux personnes détenues de recevoir des visites de leurs proches pendant six heures maximum, dans un espace de 12 à 15 m2, moins étroitement surveillé et doté de mobilier, d’un coin sanitaire et de petit matériel électroménager. Mais seuls 38 établissements en sont actuellement dotés. Quant aux unités de vie familiale (UVF), appartements meublés dans lesquels les personnes détenues peuvent recevoir leur famille entre six et soixante-douze heures, seuls 59 établissements en disposent, soit moins d’un tiers des prisons françaises. Et encore, elles ne sont pas toujours en service : en 2022, les UVF existantes n’ont été occupées qu’à 48 % et les parloirs familiaux à 34 %, d’après la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap)[5].
L’accès à ces structures est en outre soumis à l’approbation de la direction, et à celle du magistrat instructeur dans le cas des personnes prévenues. L’examen des motifs de refus révèle le primat d’une logique sécuritaire parfois dénuée de toute cohérence : après avoir effectué trois UVF en compagnie de son fils, de son ex-conjointe et de ses parents, Monsieur H. s’est vu refuser la quatrième en raison de son affaire pénale, pourtant sans lien avec des violences intrafamiliales ou sur des mineurs, et malgré l’absence de tout incident lors des UVF précédentes. « Il faut que je prenne mes précautions, en tant que cheffe d’établissement », lui aurait expliqué la directrice.
« Pour permettre l’exercice du droit de l’enfant à voir son parent dans des conditions les plus agréables possibles », des espaces enfants ont été aménagés au sein des parloirs et « équipés en mobilier et jeux » dans plus de 50 % des établissements pénitentiaires, d’après la Dap[6]. Selon sa référente nationale chargée du maintien des liens familiaux et de la parentalité, Chloé Daudrix, une partie du budget de 121 000 euros consacré aux enfants des personnes détenues, dans le cadre d’un appel à projets pour 2024, devrait être affectée à l’amélioration des conditions d’accueil, par exemple pour réaliser des fresques. « Nous essayons à notre niveau de les améliorer, mais cela demeure compliqué du fait des spécificités locales sur lesquelles nous n’avons pas forcément la main », pointe François-Marie Tarasconi, adjoint au chef de département des politiques sociales et des partenariats de la Dap, en référence aux contraintes héritées de bâtiments souvent anciens.
L’administration centrale mise donc essentiellement sur « l’information et la sensibilisation du personnel » : un Guide de l’accueil des enfants en visite aux parloirs[7], publié en partenariat avec la Frep et l’Uframa en 2023, a été diffusé auprès des établissements pour attirer l’attention « sur les besoins des enfants en fonction des âges et harmoniser les pratiques », explique Chloé Daudrix. Un jeu, le « jeu du petit loir », destiné à favoriser « la communication parent-enfant lors des parloirs » a également été distribué à l’ensemble des prisons.
Si les conditions matérielles restent souvent difficiles, des évolutions positives ont été enregistrées localement, comme à Beauvais où « le personnel est très compréhensif, alors qu’il y a quelques années, la moindre minute de retard avait pour effet de nous interdire l’accès au parloir », constate Didier Quiertant, président de l’association SOS Papa Nord Picardie. À Valence, rapporte Martine Noally, la maison d’accueil des familles a mis en place un prêt de jeux sous scellé à l’attention des enfants qui se rendent au parloir. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip) s’impliquent aussi parfois auprès des agents pour rendre les parloirs moins hostiles aux enfants : « On essaie de rendre le lieu plus agréable, on fait passer des notes précisant ce que l’enfant peut apporter, son doudou, son biberon, etc. », précise Estelle Carraud, secrétaire générale du syndicat Snepap-FSU.
Mais ces efforts se heurtent souvent au turn-over important des équipes dans les établissements, à la pénurie de personnel et à l’absence de formation initiale des agents pénitentiaires sur le sujet. À l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap), le module de formation sur le maintien des liens familiaux ne dure qu’une demi-journée, et s’adresse essentiellement aux cadres. « Concernant l’accueil des enfants au parloir, il serait difficile d’imposer des pratiques au niveau national, indique François-Marie Tarasconi. C’est pourquoi nous avons travaillé à convaincre les chefs d’établissement et les directeurs des Spip [services pénitentiaires d’insertion et de probation] de l’importance de ce sujet. Avant d’envisager de créer une formation obligatoire et qualifiante sur l’accueil des enfants, d’autres thèmes tout autant prioritaires pourraient [en] faire l’objet. » D’où de fortes disparités locales : dans l’immédiat, les conditions d’accueil des enfants restent largement dépendantes des priorités des directions d’établissement, qui peuvent choisir d’y affecter des surveillants sensibilisés ou bien d’en faire une variable d’ajustement.
Par Odile Macchi
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°121 – Décembre 2023 – « Ils grandissent loin de moi » : être père en prison
[1] « À la prison de Nanterre, la réservation des parloirs par téléphone est inaccessible », OIP, 28 juin 2023
[2] L’Embellie, qui propose un accueil de nuit pour les familles se rendant au parloir de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, a ainsi été contrainte de fermer ses portes momentanément. Dans un secteur difficile d’accès et aux tarifs hôteliers très élevés, bon nombre de visiteurs se sont retrouvés sans solution.
[3] Enquête et Recommandations 2023 de l’Union nationale des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de familles et proches de personnes détenues (Uframa). À l’inverse, cette enquête révèle que seuls 74% des établissements observés permettent aux personnes détenues de cantiner un jouet pour leur enfant, et 70% de leur remettre en main propre.
[4] « Des enfants n’ont pas à subir ça », Dedans Dehors n° 120, octobre 2023.
[5] Direction de l’administration pénitentiaire, fiche « Maintien des liens familiaux et soutien à la parentalité », 2023.
[6] Direction de l’administration pénitentiaire, fiche « Maintien des liens familiaux et soutien à la parentalité », 2023.
[7] Direction de l’administration pénitentiaire, Guide de l’accueil des enfants en visite aux parloirs, 2023