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Loi pénitentiaire : un remède pire que le mal

Si les commissions d’enquête parlementaire, en 2000, avaient décidé de mettre « La France face à ses prisons » et qualifié cette dernière d’ « humiliation pour la République », force est de constater que le texte soumis aujourd’hui aux députés après son adoption par les sénateurs est loin d’engager la réforme du droit de la prison et des droits des prisonniers réclamée depuis une dizaine d’années par l’ensemble des acteurs du monde carcéral. Quant à la procédure d’urgence décidée par le Gouvernement, elle réduit d’autant la marge d’intervention du législateur pour résorber la crise profonde de l’institution pénitentiaire en y affirmant la prééminence du droit et le respect absolu des droits de l’homme.

Chacun a en mémoire Guy Canivet, l’ancien premier président de la Cour de Cassation exprimant avec force, en 2000, la nécessité d’une loi fondamentale affirmant les « droits » des détenus. Chacun se rappelle le lancement du chantier de la loi pénitentiaire, à l’été 2007, par une Rachida Dati, l’ancienne garde des Sceaux, affirmant la nécessité d’un texte régissant les « droits et devoirs » des détenus. Et chacun entend aujourd’hui son successeur, Michelle Alliot-Marie, évoquer la réforme qui lui a été laissé en héritage en choisissant d’utiliser le vocable de «devoirs et droits» des détenus. L’adjonction du mot « devoirs » à celui de « droits » annonçait un renversement de perspective, l’inversion symbolique dans l’ordre des deux termes signifie quant à lui que c’est chose faite.

Que de chemin parcouru ! Ces glissements sémantiques successifs pourraient n’être finalement qu’anecdotiques. Ils ne le sont pas. Ils témoignent de l’ampleur du «détournement d’objet social» dont la réforme de la prison qui découlait logiquement de la prise de conscience politique de 2000 a été victime. 

Prise de conscience de la réalité carcérale qui, associée à celle aiguë du lien étroit entre politiques pénale et pénitentiaire, a abouti à toutes sortes de dénonciations, venant de tous les bancs de l’assemblée et du sénat. 

Dénonciations d’hier qui ont marqué les esprits… mais qui caractérisent encore ô combien la prison d’aujourd’hui : 

– 1 / « Il y a trop de gens qui n’ont rien à faire en prison ! »… 
La population écrouée a augmenté de pratiquement 50 % entre 2001 et maintenant. Elle devrait atteindre 80 000 personnes d’ici 5 ans. Ce qui signifierait un taux de détention ayant cru de 60 % en un peu plus de dix ans (75 pour 100 000 habitants à 120 pour 100 000 habitants). Actuellement le seul nombre des condamnés détenus dépasse celui de la population écrouée dans son ensemble de 2001…

– 2 / « Les maisons d’arrêt sont surpeuplées car utilisées sans vergogne comme variable d’ajustement du système pénitentiaire ! ». Au 1er juillet de cette année, sept détenus sur dix de notre pays s’entassaient dans les dites maisons d’arrêt, soit 44 000 des 63 000 personnes incarcérées : on y trouvait les 16 000 prévenus bien sûr mais aussi 28 500 condamnés. Et qu’importe si aux yeux du CPT, la vie quotidienne dans un établissement surpeuplé – bien au-delà de la promiscuité d’une cellule partagée à plusieurs – constitue un traitement inhumain et dégradant.

– 3 / « Des droits de l’homme bafoués du fait de la surpopulation mais aussi et surtout du fait d’une conception exagérément sécuritaire. Des prisons hors la loi qui sont le règne de l’arbitraire carcéral ! ». Guy Canivet le soulignait avec vigueur : « La norme et son application doivent être constantes et égales pour tous, sans varier selon les détenus, les surveillants ou les établissements ». Loin de consacrer cette exigence,  le projet de loi institue au travers des régimes différenciés, un régime de détention mouvant, pouvant évoluer au gré des besoins et exigences de l’administration pénitentiaire. Une sombre perspective pour la CNCDH qui estime que cela va « décupler les pouvoirs que détient l’administration sur l’individu incarcéré et accroitre très nettement les risques d’arbitraires ». Les détenus pourront voir du jour au lendemain leurs conditions d’existence bouleversées par un placement en régime plus strict en fonction des appréciations portées sur leur compte par les personnels pénitentiaires.

Comme on le voit, nous sommes à mille lieues des slogans d’une administration pénitentiaire qui – grâce au service de communication dont elle s’est dotée entretemps – parle d’une prison qui change, d’une prison qui a changé… ou qui va changer. Face aux traits caractéristiques de la situation carcérale actuelle et au rappel des termes mêmes de l’acte d’accusation parlementaire du début de la décennie, l’entreprise de mystification échoue. Chacun sait que, loin de s’être améliorée, la condition pénitentiaire s’est profondément dégradée. Et chacun perçoit que le projet de loi pénitentiaire ne réforme rien – au fond – des conditions de vie et de travail des uns et des autres.

Car son ambition est toute autre.

Refusant d’accepter ou de se résoudre à la révolution culturelle et la reconstruction juridique qu’impose l’édification d’un service public pénitentiaire respectueux de l’Etat de droit et des droits de l’homme, l’administration pénitentiaire a élaboré un texte qui ne prend en compte que ses propres considérations, contraintes et objectifs. Fallait-il s’attendre à autre chose ? À partir du moment où lui était laissé le soin de rédiger la loi – autrement dit qu’il lui était demandé d’écrire sa propre réforme – il n’est guère étonnant que celle-ci saisisse l’occasion qui lui était offerte de s’affranchir des préconisations -innombrables et rigoureusement convergentes – des diverses instances ou organismes qui ont eu à se pencher sur le chevet des prisons françaises et dont elle s’emploie à contester de façon systématique la nature et la portée des constats.

Dès lors, l’horizon réformateur de la loi pénitentiaire s’est retrouvé tenu à distance par l’administration pénitentiaire de l’indispensable refonte du droit de la prison et du statut du détenu qui constituait pourtant le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons ». Revue et corrigée dans son objet social, la loi pénitentiaire est devenue la loi de l’administration pénitentiaire.

D’où le constat affligeant d’un texte qui se contente – dans la majorité des dispositions qu’il contient – de donner une assise législative aux règlementations déjà en vigueur. Mais aussi d’un texte qui ne tire aucune conséquence des condamnations, pourtant nombreuses, de la Cour européenne des droits de l’homme. Et, plus grave encore, qui va jusqu’à organiser de véritables régressions au regard du droit positif.

Quelle sera l’impact de cette réforme pour les détenus ? A lire Jean-Paul Garraud, rapporteur à l’Assemblée sur le projet de loi pénitentiaire, la question n’a en définitive qu’un rapport indirect avec une loi pénitentiaire qu’il présente comme un rendez-vous… « longtemps attendu par les personnels pénitentiaires mais aussi par les militants des droits des personnes détenues ». Comme mieux dire que les détenus ne sont pas au cœur de la préoccupation du gouvernement et du législateur, juste l’objet lointain d’une réforme qui les considère comme des êtres de « devoirs » et non comme des sujets de droits à part entière ?

Jean-Paul Garraud nous dit encore que la loi pénitentiaire « peut s’analyser du point de vue des personnes détenues comme la consécration de la protection de leurs droits fondamentaux, dans le respect des impératifs propres aux établissements pénitentiaires »… Quels sont donc ces « impératifs propres aux établissements pénitentiaires » qu’il convient de respecter au moment où la France affiche l’ambition de se doter d’une loi visant à consacrer la protection des droits fondamentaux des personnes détenues ? On les retrouve dans l’article 10 du texte. Celui-là même qui, après avoir affirmé que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », ajoute dans la foulée que « l’exercice de ceux-ci » fait l’objet de restrictions « résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes ». On voit mal quelle restriction décidée par l’administration pénitentiaire – dans l’ombre des décrets à venir – ne trouverait là matière à justification… au nom de la loi.

En définitive, la seule véritable protection juridique qu’organise la loi pénitentiaire est donc moins celle des personnes détenues demandée instamment par Guy Canivet, que celle de l’administration pénitentiaire elle-même. Jean-Paul Garraud ne s’en cache d’ailleurs pas en écrivant que la loi pénitentiaire peut s’analyser « du point de vue des personnels pénitentiaires comme un renforcement du cadre juridique de leur action, élevé au niveau législatif».

La réinsertion n’échappe pas à ce processus de détournement et de réorientation. En effet, au même titre que la loi pénitentiaire n’a finalement rien à voir avec la consécration des droits des détenus et de la garantie de leur exercice, l’abandon de la resocialisation comme fonction première de la peine d’emprisonnement laisse place à une nouvelle utopie carcérale. Celle qui – pour ériger la prison en « école de la lutte contre la récidive » – en vient à remettre en cause le bien fondé des aménagements de peine comme alternative adaptée à l’incarcération et comme mesure pertinente de réintégration dans la société, et transforme le « droit à la réinsertion » en « devoir de réinsertion ». Ce qui permet à Jean-Paul Garraud d’affirmer sans ambages, que la loi pénitentiaire « doit être vue comme s’adressant à la société tout entière, au service de la prévention de la récidive ».

Alors que se déroulaient les Etats généraux de la condition pénitentiaire, en 2006, le parti en campagne du candidat Sarkozy avait pourtant adopté une autre vision de la sécurité publique et de l’objectif de réinsertion assignée à la peine. « Dans d’autres Etats, la mission de resocialisation constitue une priorité de la politique pénitentiaire. La loi comme la jurisprudence allemande affirment clairement que la sécurité publique ne saurait être un objectif de l’exécution de la peine, tout au plus doit- elle être prise en compte dans la mise en œuvre du traitement pénitentiaire. L’essentiel de la mission de l’administration pénitentiaire doit consister en la préparation d’une sortie de prison du condamné dans des conditions adéquates. En minorant cet impératif, la société perd en outre tout objectif de protection de la sécurité publique à moyen et long terme. »

Le parti du Président a manifestement opté désormais pour une autre approche. Au-delà de son refus d’assumer l’échec de l’institution carcérale, il tente de la relégitimer en imposant un nouveau paradigme de la peine, achevant la contamination du droit pénitentiaire par l’idéologie de la tolérance zéro qui irrigue toute la politique pénale et qui caractérise désormais d’un bout à l’autre ce que Michelle Alliot-Marie appelle « la chaine de sécurité »  

1 UMP, Convention sur la Justice, « Le droit de confiance », juin 2006.  

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