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Budget 2014 pour les prisons : une redoutable continuité

Adopté par le Parlement, le volet pénitentiaire du projet de loi de finances 2014 continue de consacrer l'essentiel des fonds à la construction de prisons et à leur sécurité, au détriment des actions d'insertion et du développement de la probation.

Pour les prisons, le changement n’est pas pour maintenant. Le budget prévu pour l’administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances 2014 est pratiquement constant : 3,23 milliards d’euros contre 3,19 milliards en 2013. Cette légère hausse devrait permettre le recrutement de 300 conseillers d’insertion et de probation (CPIP) supplémentaires, ce qui restera bien insuffisant pour atteindre l’objectif annoncé par le Premier ministre de quarante personnes suivies par conseiller.

Pour le reste, le Gouvernement privilégie deux axes principaux : « l’extension du parc actuel de 57 000 à 63 500 places » et la « sécurisation des prisons ». Ce choix budgétaire, qui empêche tout investissement en faveur de l’insertion et des alternatives à l’emprisonnement, s’inscrit à l’encontre des orientations de la Conférence de consensus pour la prévention de la récidive. Dans son rapport de février, le jury a estimé que le « parc pénitentiaire ne [devait] pas être augmenté » mais « qualitativement amélioré afin d’assurer de meilleures conditions de détention ».

Pour le jury, les « priorités les plus urgentes » étaient d’une autre nature : développer les peines alternatives « qui ne sont pas suffisamment utilisées par les juridictions », augmenter les effectifs de CPIP, dont « le nombre insuffisant » affaiblit aujourd’hui « les dispositifs d’accompagnement sociaux et criminologiques pourtant nécessaires », développer les mesures d’aménagement de peine « y compris pour les personnes les plus fragiles socialement qui en sont aujourd’hui exclues ». Il était nécessaire d’étendre « le nombre de placements extérieurs » qui reste aujourd’hui « largement sous-dimensionné » et d’« adopter un système de libération conditionnelle d’office ». Mais aussi de sortir la prison « d’un fonctionnement quotidien marqué par une déresponsabilisation permanente » et « un manque d’accès à des activités structurantes », d’« améliorer les conditions de rencontre entre la personne détenue et ses proches, notamment dans le cadre des unités de vie familiale », de « reconnaitre le droit d’expression collective des détenus et d’assurer sa mise en œuvre effective ». Ni le Gouvernement, ni le Parlement n’auront suivi ces recommandations.

L’accroissement du parc carcéral, principale ligne de dépense

Si l’on excepte la rémunération des personnels qui représente 62 % du budget (environ 2 milliards), le développement du parc carcéral constitue la première ligne de dépense. Ce volet absorbe un tiers des sommes restantes, soit 410,6 millions d’euros. Sur ces fonds, 128,1 millions d’euros sont dévolus au paiement des loyers des dix établissements du programme « 13 200 » construits en partenariats public-privé (PPP), dont les premiers ont ouvert en 2008.

Les 282,5 millions d’euros restant sont alloués à l’achèvement de ce programme et à la réalisation du « nouveau programme immobilier » (NPI). Sur les 27 constructions ou extensions d’établissements envisagées par le précédent gouvernement, le ministère de la Justice actuel a choisi d’en conserver huit : trois constructions de prisons en PPP, trois constructions et trois extensions en maîtrise d’ouvrage publique. La somme qui y est consacrée représente 33 fois ce qui est dévolu au développement du placement à l’extérieur (8,6 millions d’euros).

Avec le recours aux PPP (qui permettent d’investir dans la construction de prisons sans débloquer de fonds et d’étaler la dette sur 27 ou 30 ans), l’État s’est considérablement endetté. Les intérêts et les charges à verser chaque année pour la maintenance des bâtiments alourdissent toujours plus le montant à rembourser. Les sommes dues par l’État aux groupes privés pour la réalisation des dix établissements en PPP ont d’ores et déjà augmenté de 40 %, la dette atteignant désormais 1,2 milliard d’euros. La part du budget 2014 consacrée aux loyers PPP ne sert ainsi qu’à éponger une petite partie de la dette, qui va encore progresser avec la mise en service en 2015 des trois nouveaux établissements en PPP, dont la construction a été lancée en décembre 2012. Un choix du nouveau Gouvernement qui aurait pu revenir, lors de son investiture, sur un tel projet. Au total, le coût de l’ensemble des 13 établissements en PPP est estimé à 5,3 milliards d’euros à l’échéance des contrats en 2038, ce qui pèsera de manière exponentielle sur tous les budgets à venir. Si le Gouvernement est tributaire pour une large part des options prises par les gouvernements précédents, la décision de maintenir une partie du NPI a encore aggravé la situation.

Le milieu ouvert négligé

Ce choix de politique pénitentiaire privilégiant l’accroissement du parc plutôt que les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération est pourtant reconnu comme contre-productif en matière de prévention de la récidive. La recherche montre que les taux de récidive sont plus importants lorsque les personnes ont été condamnées à un emprisonnement ferme que lorsqu’elles ont bénéficié d’un aménagement de peine ou d’une peine alternative (Kensey, Benaouda, mai 2011). Actuellement, 36 % des détenus condamnés exécutent une peine de moins d’un an. Si la moitié d’entre eux bénéficiaient d’un aménagement de peine comme le prévoit encore la loi, ou mieux d’une peine de probation, il ne serait plus question de prisons surpeuplées. Et la prévention de la récidive serait mieux assurée. Mais cela suppose des moyens que l’on ne retrouve pas dans le projet de loi de finances. Par exemple, pour permettre aux plus précarisés de bénéficier d’aménagements de peine, il faut augmenter les crédits dévolus au placement à l’extérieur. Cette mesure qui permet de combiner hébergement et travail salarié dans une structure d’insertion étant la plus adaptée à ces profils. Or, le projet de loi ne prévoit le financement que de 800 placements en moyenne, contre 750 en 2013. Par ailleurs, pour que les personnes en aménagement de peine ou peine de probation soient rapidement et suffisamment prises en charge par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), il faut diminuer leur charge de travail et moderniser les méthodes d’accompagnement. Atteindre l’objectif de 40 personnes suivies par conseiller supposerait de doubler les effectifs de CPIP (environ 2 500 conseillers supplémentaires). Un investissement auquel ne se résout pas le Gouvernement dans son budget 2014.

Rappelons aussi que l’option de l’extension du parc carcéral ne permet pas plus de résoudre le problème de la surpopulation. Entre les premières mises en service d’établissements issus du programme « 13 200 » en 2008 et le 1er janvier 2013, le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt n’a baissé que de 2,5 points, passant de 135,7 % à 133,3 %. Avec toujours le même cortège de détenus qui s’entassent à deux ou trois dans des cellules de 9m2, et subissent une promiscuité indigne, source de tensions et de violences. Les documents budgétaires révèlent d’ailleurs que l’administration ne s’estime pas en mesure de respecter le principe de l’encellulement individuel avant 2017, alors que la loi pénitentiaire l’y oblige à partir de novembre 2014.

La sécurité privilégiée, les actions de réinsertion délaissées

Dans un contexte de contraintes budgétaires, il reste des choix politiques, tel celui d’abonder une fois encore les dépenses liées à la sécurité interne et périmétrique des prisons. Suite à l’évasion de la prison de Sequedin en avril dernier, la ministre de la Justice a annoncé un nouveau plan sécurité de 33 millions d’euros. Seule une partie de cette somme (9 millions) a été consommée en 2013, le reste (24 millions) est reporté sur le budget 2014 et s’ajoute aux 25,6 millions d’euros déjà consacrés à la sécurité depuis 2012. La Chancellerie s’est en outre réservé la possibilité d’abonder ce budget de 3 millions supplémentaires en cours d’année. Les sommes allouées à la sécurité augmentent ainsi de 105,5 % par rapport à 2013 et de 141 % par rapport à 2012. Ces fonds sont destinés à renforcer les « dispositifs de lutte contre les projections » (filets, glacis, concertina, vidéosurveillance), et les « équipements de sécurisation des entrées et sorties des personnes » (armes, munitions, gilets par balle, dispositifs de brouillage des téléphones portables, portiques à ondes millimétriques et à ondes métalliques, détecteurs de métaux manuels, brigades cynotechniques, etc.). Un investissement dont l’opportunité peut être contestée, alors que le taux d’évasion en France est de 0,01 % : de 2010 à la fin 2012, l’administration a connu 28 évasions pour 21 765 placements sous écrou.

Mis à part les vingt portiques à ondes millimétriques qui ont vocation à être installés dans les maisons centrales et devraient limiter le recours aux fouilles à nu, les autres mesures – qui concentrent 94 % des fonds consacrés à la sécurité – relèvent toutes d’une logique coercitive. Elles renforcent le modèle de « sécurité défensive » qui repose sur la dissuasion, la surveillance, les contrôles et l’isolement des personnes détenues. Un modèle dont il a été établi qu’il est générateur en lui-même de troubles en détention. « Mettre l’accent de façon excessive sur la prévention des évasions peut rendre la vie en prison insoutenable » et susciter des incidents. « Plus l’institution est totalitaire ou autoritaire, plus elle engendre des résistances » , explique Sonja Snacken, ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Pour obtenir le « bon ordre » en prison, le Conseil de l’Europe recommande pour sa part de privilégier les mécanismes de médiation et d’expression des détenus, le développement des activités ou le maintien des liens familiaux.

Portion congrue pour les liens familiaux et les activités

Dans le budget 2014, les crédits dévolus au développement des activités ou au maintien des liens familiaux ne font l’objet d’aucune hausse. Certains sont même en baisse comme ceux alloués à la construction d’unités de vie familiale (UVF) ou de parloirs familiaux, seuls dispositifs permettant aux détenus de rencontrer leurs proches dans des conditions préservant l’intimité. Les fonds qui leur sont affectés diminuent de 10,4 % par rapport à 2013 (de 34,6 à 31 millions d’euros), ce qui ne lasse pas d’inquiéter quant à la concrétisation d’une généralisation des UVF à tous les établissements. A ce jour, seules 28 prisons sur 191 sont dotées d’UVF ou de parloirs familiaux en service. Bien loin de l’objectif annoncé en avril par la garde des Sceaux de l’installation d’UVF dans « une soixantaine d’établissement d’ici à 2014 » .

Les crédits consacrés aux activités professionnelles, pédagogiques, sportives ou culturelles, n’ont de leur côté pas progressé depuis 2010, alors que la population carcérale a augmenté de 10,4 %. Les fonds alloués à la formation professionnelle dans les établissements en gestion publique (2,8 millions d’euros) ont même baissé de 3,5 %, alors que le taux de détenus pouvant bénéficier de ces prestations est déjà particulièrement faible (environ 10 %). Selon un bilan effectué par l’administration pénitentiaire , l’offre moyenne d’activités par détenu, tous types d’établissements confondus, est de 4h30 par semaine…

Mener une véritable politique de prévention de la récidive supposerait pourtant de changer de braquet : privilégier la probation à l’accroissement du parc carcéral et augmenter substantiellement les moyens dévolus à la mission d’insertion de l’administration plutôt que d’abonder la mission de garde, d’ores et déjà bien assurée. En dépit d’un changement de discours, les options budgétaires confirment aujourd’hui que les actes ne suivent pas.

Marie Crétenot

Article paru dans le numéro 82 de Dedans-Dehors (décembre 2013)

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