Le groupe local d’observation de Paris-la Santé de l’OIP (Observatoire international des prisons) informe des faits suivants :
En détention provisoire depuis juin 2003 pour une affaire correctionnelle, R.S, âgé de 53 ans, a développé un cancer de la bouche pendant son incarcération. Il souffre également de problèmes cardiaques graves pour lesquels il est suivi et traité. Bien que son pronostic vital soit qualifié d’ « assez sombre et mis en jeu à court terme », la cinquième demande de remise en liberté déposée par son avocat le 1er février 2005 vient d’être rejetée.
Au mois de mai 2004, S.R. est traité médicalement pour une infection des gencives. De fortes douleurs au niveau de la mâchoire apparaissent durant l’été. Le 1er août il est victime d’un malaise cardiaque. Un rapport d’expertise signale qu’ « une lésion ulcérée du plancher buccal gauche » est visualisée le 5 août « accompagnée d’épisodes de tachycardie sinusale diurne les 5, 8 et 23 août 2004 ». La chambre de l’instruction rejette cependant en appel le 20 août une première demande de remise en liberté posée le 29 juillet et refusée par le magistrat instructeur.
Une biopsie effectuée le 1er septembre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière confirme le diagnostic et relève des problèmes ganglionnaires. Le certificat médical établi par l’UCSA (unité de consultations et de soins ambulatoires) de la maison d’arrêt signale la nécessité d’« une chirurgie mutilante avec ablation d’une partie de la mâchoire » et précise que « le pronostic de S.R. est assez sombre et mis en jeu à court terme ». Le diagnostic de tumeur cancéreuse est confirmé lors d’une nouvelle hospitalisation du 4 au 12 novembre. Une deuxième demande de remise en liberté est rejetée le 4 novembre, puis en appel le 26 novembre.
Se plaignant de ne pouvoir faire sa toilette buccale prescrite dans la cellule qu’il partage avec deux autres détenus, S.R. obtient son placement en cellule individuelle. Il est opéré le 9 décembre dans le service de cancéro-stomatologie de la Pitié-Salpêtrière et la tumeur est enlevée.
Parallèlement, le parquet requiert début décembre une expertise médicale afin de constater si l’état de santé de S.R. est compatible non seulement avec sa comparution au tribunal, mais également avec son maintien en détention.
Depuis cette intervention chirurgicale qui a occasionné une cicatrice de 25 cm de long, S.R. est également toujours sujet à des problèmes cardiaques. L’examen clinique réalisé le 12 janvier 2005 à la maison d’arrêt établit qu’ « il ne reste que deux dents en mandibule droite, la langue est fixée en région postérieure gauche par l’intervention chirurgicale et ne peut être tirée. Il est noté une déformation de la mandibule gauche avec paralysie faciale associée et troubles de la mimique (grimace, soufflement, sifflement) comme de la phonation ». S.R. ne peut se nourrir que d’aliments sous forme liquide. La morphine qui lui est prescrite ne soulage plus ses douleurs. Le rapport d’expertise met également en lumière, comme autre séquelle de l’intervention chirurgicale, de fortes douleurs dans l’épaule gauche. S.R. doit cependant demeurer dans une cellule qui ne possède qu’un robinet d’eau froide et dont il doit lui même assurer le nettoyage. Comme les autres détenus il n’a accès qu’à trois douches par semaine.
Cette expertise médicale, dont l’avocat ne disposera que lors de l’audience du 24 janvier, conclut qu’il « reçoit en détention tous les soins appropriés à son état », et que « cet état est compatible avec la détention ordinaire ». La cinquième demande de remise en liberté, comme celles du 11 et du 24 janvier, est rejetée lors d’une audience le 1er février dernier. L’expertise précise pourtant que l’état de santé de S.R. « qui s’est aggravé considérablement depuis quelques mois, notamment sur les plans cardiaque et stomatologique du fait des séquelles algiques de sa tumeur récemment opérée, n’est actuellement pas compatible avec une comparution devant le tribunal correctionnel ». Il est d’ailleurs décidé qu’en raison de son état de santé et du traitement quotidien de morphine qui lui est administré, et en application de l’article 416 du Code de procédure pénale, que S.R. « sera entendu (…) à la maison d’arrêt où il se trouve détenu, par un magistrat commis à cet effet ».
L’OIP rappelle :
– L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 novembre 2002 (affaire Mouisel c. France) qui conclut à propos du refus de grâce médicale d’un détenu atteint d’un cancer, que « son maintien en détention a porté atteinte à sa dignité. Il a constitué une épreuve particulièrement pénible et causé une souffrance allant au delà de celle que comporte inévitablement une peine d’emprisonnement (…). La Cour conclut en l’espèce à un traitement inhumain et dégradant en raison du maintien en détention dans les conditions examinées ci-avant ».