ÉDITORIAL - Le Conseil des ministres vient d’adopter deux projets de loi visant, pour l’un, à proroger l’état d’urgence et, pour l’autre, à créer les conditions de la cessation de celui-ci. Au 1er novembre prochain, la France devrait ainsi sortir de ce dispositif contre-insurrectionnel hérité de la Guerre d’Algérie, qui permet à l’administration de limiter de manière exorbitante les droits et libertés des citoyens. La levée de ce régime interviendrait toutefois de la pire des façons : en incorporant dans le droit commun des mesures jusque-là exceptionnelles et temporaires.
Certes, pour faire passer la pilule, le gouvernement gomme certains traits particulièrement critiqués de ce régime. Mais ces aménagements ne masquent pas la funeste évolution opérée par la création, en matière d’antiterrorisme, d’une filière administrative visant ceux à l’égard desquels les éléments réunis ne sont pas suffisants pour déclencher une procédure pénale. Outre qu’il alimente un climat délétère propice à une sévérité accrue (la Commission de suivi de la détention provisoire a établi un lien vraisemblable entre état d’urgence et augmentation du nombre de prévenus), le projet gouvernemental marque une nette accélération dans le développement de dispositifs de traitement des risques, inauguré par la loi de 2008 sur la rétention de sûreté. Désormais, des comportements, mêmes parfaitement licites, appellent des mesures de contraintes au nom d’une menace potentielle. Il peut en aller ainsi d’une pratique rigoriste de l’Islam, ou de la fréquentation régulière de personnes elles-mêmes considérées comme radicalisées. Cette orientation préventive de l’action antiterroriste ne manquera pas, puisque nos prisons sont « le terreau privilégié de la radicalisation », d’amplifier la demande faite à l’administration pénitentiaire d’accroître ses capacités prédictives. Concrètement, l’injonction redoublée d’être attentif aux « signaux faibles » se traduira immanquablement par une pression accrue sur l’ensemble des acteurs en détention afin qu’ils contribuent, au mépris des identités professionnelles et des droits des personnes détenues, à cette entreprise de divination. La rapidité et la facilité avec lesquelles semblent s’opérer ces transformations sont proprement sidérantes. Il demeure possible d’y faire face en rendant compte, par un minutieux travail d’observation et dénonciation, de leurs effets toxiques. Aujourd’hui plus que jamais, l’OIP est déterminé à exercer sa mission d’alerte, pour que le débat démocratique, étayé et réfléchi, l’emporte sur les fausses évidences des slogans sécuritaires.
par Hugues De Suremain, avocat, membre du conseil d’administration de l’OIP
- Lire l’argumentaire contre l’état d’urgence et la pérennisation des mesures d’exception adressé aux parlementaires par le réseau « État d’urgence/antiterrorisme » dont fait partie l’OIP.