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Surveillants : « silence dans les rangs »

Sanctionné pour avoir décrit dans un article de presse son quotidien de surveillant, Eric Carré dénonce l’hypocrisie interdisant aux personnels de formuler toute critique hors de la voix hiérarchique. Et affirme la nécessité de laisser place au débat.

En 2007, vous avez accordé à un quotidien régional un entretien sur votre métier de surveillant. Que disiez-vous ?

Je dénonçais des atteintes à la dignité humaine, je décrivais l’univers carcéral, la surpopulation surtout, et le grand nombre de suicides. J’avais remarqué qu’il y avait eu dix-neuf guillotinés sous la Ve République jusqu’en 1981, soit moins d’un mort par an, alors que dans l’établissement où je travaillais, nous avions trois morts par an. Le journaliste avait titré : « Le suicide tue plus aujourd’hui que la guillotine hier. »

Quelques mois plus tôt, j’avais demandé une audience au directeur interrégional. Dans mon courrier, je dénonçais, entre autres, l’attente imposée aux détenus lors des parloirs avocats – parfois deux ou trois heures sans possibilité d’aller aux toilettes. Cela ne se fait plus aujourd’hui, mais à l’époque, j’en étais profondément choqué. Je n’ai pas eu de réponse. Lorsque La Dépêche a publié un article sur l’établissement dans lequel je travaille, j’ai contacté la rédaction pour rectifier certaines inexactitudes, et on m’a proposé une interview. Voilà le contexte de cette affaire.

Quelles ont été les conséquences de cet article ?

Évidemment, je me suis attiré les foudres de ma hiérarchie. Le directeur interrégional a demandé « une sanction exemplaire »… sans imaginer que j’allais prendre un avocat et me défendre. J’ai reçu un blâme, que j’ai contesté – en vain – devant le tribunal administratif. Pour l’administration pénitentiaire, j’avais enfreint le devoir de réserve, dont elle a une interprétation très extensible. A aucun moment je n’ai eu l’occasion de m’expliquer devant la hiérarchie. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que ma carrière est bloquée, de ne pas évoluer. Certains de mes collègues me soutiennent, me reconnaissent un certain courage, d’autres ne me saluent même pas.

Comment expliquez-vous la réaction de l’administration à votre prise de parole ?

L’administration ne me reproche pas de dire des choses fausses, elle me reproche simplement de les dire. Mais elle ne le reconnaîtra jamais. Pour autant, quand vous critiquez par la voie hiérarchique, on ne vous répond pas, c’est comme si vous n’existiez pas. Par ailleurs, nos pratiques ne sont pas toujours conformes au règlement, à la légalité – par exemple en ce qui concerne les fouilles ou l’encellulement individuel. Tout le monde connaît la situation, c’est un secret de Polichinelle, mais il règne une grande hypocrisie. J’écris aussi des chansons. L’une d’elles, qui évoque les suicides, a été diffusée sur une chaîne de télévision. Deux jours plus tard, la directrice me convoquait pour me dire : « Quand on appartient à la troisième force de sécurité du territoire, on se plie aux usages en vigueur, ou on s’en va. »

L’administration ne me reproche pas de dire des choses fausses, elle me reproche simplement de les dire.

Estimez-vous que les personnels pourraient être autorisés à s’exprimer plus largement sur leurs conditions de travail et sur la situation des prisons françaises ? Qu’apporterait une telle évolution ?

Plus nous décrirons la situation, très éprouvante, à l’intérieur – le nombre de suicides de personnels ne cesse d’augmenter –, plus nous aiderons à faire avancer les choses. Les conditions de détention dégradées entraînent de mauvaises conditions de travail. J’espérais, en donnant une interview à La Dépêche, que la profession bougerait. Mais il n’y a pas eu de réaction, les collègues ont peur pour leur carrière et les pressions sont fortes.

L’administration aurait tout à gagner à nous laisser nous exprimer. Pour rétablir un équilibre de l’information, les points de vue doivent être contrebalancés, il faut du débat. Si une seule version circule, elle ne peut pas être objective. Dans un pays comme la France, il me semble anormal de museler les personnels, de vouloir cacher ce qui se passe dans les prisons: taire l’évidence s’avère contre-productif. Les moyens technologiques contemporains ne nous permettent pas de garder tous les problèmes en interne, l’information finit toujours par sortir.

Pensez-vous que les détenus devraient eux aussi avoir un véritable droit d’expression, non seulement à l’intérieur des murs, mais aussi pour s’exprimer publiquement sur la prison ?

L’introduction du téléphone, dont les personnels craignaient le pire, n’a pas fait exploser la boutique. Des évolutions sont donc possibles, l’administration pénitentiaire en a d’ailleurs vécu beaucoup depuis trente ans. Aujourd’hui, les détenus trouvent des moyens pour communiquer avec l’extérieur et les médias, hors de tout contrôle : ils font entrer des téléphones portables, mettent des vidéos sur le net… qui ont d’ailleurs permis certaines avancées. Il serait donc préférable de faire évoluer le droit, complètement inadapté aujourd’hui. Mais il importe que les versions des détenus ne soient pas trop déformées, de ne pas généraliser à partir d’une seule situation. A l’intérieur des murs, je pense qu’il serait très positif de proposer des moments d’échanges entre détenus et surveillants, pour partager les ressentis. Nous subissons le même univers éprouvant, chacun dans son rôle certes, mais c’est la même galère.

Propos recueillis par Barbara Liaras

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