«Je souhaiterais déposer plainte contre l’administration pénitentiaire et contre des surveillants pour agression. […] J’ai subi des attouchements et des violences. Ce n’est pas la première fois que je subis des humiliations. » En janvier 2018, l’OIP reçoit ce témoignage d’un détenu de la maison d’arrêt de Mulhouse. Quelques lignes plus bas, son auteur explique qu’on a refusé de lui établir un certificat médical constatant les traces des coups qu’il aurait subis.
Une position assumée par l’unité sanitaire de l’établissement. Interrogé, un membre du personnel soignant explique qu’en raison d’un nombre de « bagarres » jugé trop important, l’octroi de certificats est refusé en cas d’allégations de violences. Il assure cependant que la présence éventuelle de lésions et autres hématomes est consignée dans le dossier médical du patient – et ce quelle que soit leur origine. Si un détenu manifeste son souhait de porter plainte, il serait alors renvoyé vers un médecin légiste.
Face aux urgences et aux demandes des personnes victimes d’agression, les réactions des unités sanitaires seraient variables d’un établissement à l’autre. Sollicité par l’OIP, l’Ordre des médecins a rappelé le cadre déontologique (1) et souligné la responsabilité du médecin pratiquant l’examen initial : celui-ci doit rédiger un certificat si la victime ou les services de police en font la demande. L’Ordre rappelle également : « [Si] cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé, en informer l’autorité judiciaire » – une procédure qui ne semble pas non plus systématique.
Alors que la parole des personnes détenues est trop souvent mise en doute par l’administration pénitentiaire et la justice, une plainte pour violences non accompagnée de certificat médical aura toutes les chances d’être classée. L’OIP s’interroge par ailleurs sur le degré d’altération des preuves lorsque le délai de rencontre avec un médecin légiste est trop important. En prison plus qu’à l’extérieur, porter plainte pour violences s’apparente à un parcours du combattant : accès à l’unité sanitaire et à l’information limité, difficulté à rassembler des preuves et des témoins, faible confidentialité du dépôt de plainte… Des obstacles qui peuvent s’avérer insurmontables si la personne n’est pas conseillée et soutenue dans sa démarche.
Dans un contexte d’ « augmentation globale des phénomènes de violences en détention » (2), le cas de Mulhouse fait écho au récent constat du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui insiste sur le rôle clé des unités sanitaires en cas de violences physiques : « [Elles] sont en effet le seul organisme qui dispose à la fois de la proximité dans le temps et dans l’espace et de l’indépendance nécessaires pour effectuer les constats sur lesquels pourront ensuite se fonder des mesures de protection, d’enquête ou de réparation. »
Par Sarah Bosquet et Alice Collinet
(1) Voir le rapport de la Haute autorité de santé « Certificat médical initial concernant une personne victime de violences » (2011) et l’article 10 du code de la déontologie.
(2) CGLPL, rapport d’activité 2016.