Incarcéré dans une maison d’arrêt du nord de la France depuis un an et demi, Monsieur F. témoigne. De ses conditions de détention, des difficultés d’accès aux soins, et, globalement, d’un système absurde qui créé ce qu’il entend combattre.
« La première chose qui m’a choqué c’est l’odeur de cannabis quand, quittant le greffe, j’ai commencé à monter l’escalier qui mène à l’étage des cellules. Les cellules arrivants ? Des cellules de 9m² où aucune intimité n’est permise, où le mot hygiène est totalement inconnu, des cellules humides, délabrées, des fissures partout, de la peinture qui tombe du plafond – depuis, ils ont donné un coup de peinture vite fait mal fait pour couvrir les plus gros dégâts. Après, c’est la découverte des douches. Que dire ? Je n’avais pas de claquettes, je devais donc faire attention où je mettais les pieds : des salissures partout, une ventilation qui doit être fausse vu qu’elle ne sert à rien, pas de pommes de douche. Tout est cassé et dans un état pitoyable. Tout semble hors du temps, ou datant de l’époque féodale. Parfois, l’eau de la douche est froide. Parfois ils coupent les radiateurs trop tôt, les cellules sont humides, toutes en béton. Et puis il y a les cris, du tapage jour et nuit. Les conditions de détention sont épouvantables : insalubrité, santé psychologique, santé physique. Jamais je n’aurais imaginé une dégradation si intense et profonde.
Tout est cassé et dans un état pitoyable.
J’ai 64 ans et j’ai beaucoup de problèmes de santé. J’ai voulu faire un peu de sport, ça a provoqué une hernie inguinale. Ils m’ont envoyé à l’hôpital pour être opéré, et une heure après l’opération je suis renvoyé en prison. La traversée de l’hôpital, le trajet en voiture, la montée jusqu’à la cellule : la blessure s’ouvre, le sang commence à couler. Infirmerie. Pas de médicaments, il faudra attendre une semaine avant qu’on m’en donne. Encore aujourd’hui, plus d’un an après, je souffre de cette opération, quelque chose ne va pas. Je suis gêné, une zone est devenue insensible et j’ai, de temps en temps, des douleurs imprévisibles.
Je commence à avoir une douleur au niveau de la vésicule biliaire : échographie, on découvre des calculs. Le médecin me dit que c’est à cause de l’alimentation carcérale. Je le prie de me mettre au régime végétarien, au moins. Rien à faire. Sa réponse : « Ne vous en faites pas, avec l’ablation de la vésicule on peut continuer à vivre. » Naturellement, il parle de ma vésicule, pas de la sienne. Encore une échographie, et l’on découvre des nodules à la thyroïde. Puis des douleurs au dos : une IRM montre un nodule au poumon droit. Le même médecin : « Tout va bien, ne vous en faites pas ! » Ici, pour avoir un rendez-vous avec le médecin, il faut faire une demande et, si on a de la chance, on le verra trois semaines après au minimum. Et le soir, après la fermeture des portes à 17h30, on peut taper à la porte, déclencher une alarme, si on a un problème on peut mourir, personne ne viendra.
Le stress. Il y a le stress de l’attente juridique : vous attendez dans un monde presque irréel, vous êtes en mandat de dépôt – je dirais même en dépôt, tout simplement. Comme à la déchetterie. Et puis il y a le stress de vivre avec les autres détenus. Pour la majorité, des jeunes, abandonnés par leur famille, ou souvent maltraités, abandonnés par l’État. Certains ne savent même pas lire et écrire et sont laissés dans l’ignorance que même les criminels ont des droits. Et beaucoup, après quelques mois, parfois quelques jours dehors, reviennent en prison. Pour eux c’est devenu un lieu familier, la prison fait partie de la normalité de leur vie. Ce n’est pas une prison mais une usine à créer des criminels.
La seule solution envisagée est de mettre des êtres humains dans des cages.
J’oublie certainement des choses, mais j’espère vous avoir donné un aperçu suffisant. Le système carcéral ne contribue pas à la réinsertion, il crée des criminels qui accumulent tellement de rage que leur unique raison de vivre est de se venger de la société. Ils ne comprennent pas que c’est à eux-mêmes qu’ils font le plus de mal, et qu’ils contribuent à ce que tout le système devienne plus dur, plus punitif. Parce que la société est obligée de se défendre contre des assauts de violence. Et parce que la seule solution envisagée est de mettre des êtres humains dans des cages. »