Ateliers « santé affective et sexuelle », actions « d’éducation à la santé »… Ces interventions, le plus souvent assurées par des associations, visent d’abord à diffuser des outils de prévention et de réduction des risques. Mais permettent aussi d’explorer d’autres dimensions de leur santé sexuelle, dans un milieu où le sexe est encore largement tabou.
« Le sexe est l’un des sujets tabous en prison », témoigne une femme dans un courrier envoyé à l’OIP. Pourtant, c’est un secret de polichinelle : les relations sexuelles ne s’arrêtent pas à la porte des établissements pénitentiaires. Tant qu’elles ne s’imposent pas à la vue d’autrui(1), elles ne sont d’ailleurs pas interdites. Mais dans les faits, elles sont soit niées, soit réprimées. Qu’elles soient consenties ou subies, les pratiques sexuelles se font donc dans des conditions souvent indignes. Et risquées : la diffusion des outils de réduction des risques sexuels reste disparate et insuffisante. Or, il y a urgence, car le risque de contracter des infections sexuellement transmissibles (IST) est bien plus élevé en prison que dans la population générale : en 2010, l’enquête Prévacar(2) avait estimé qu’il était trois à quatre fois supérieur pour le VIH, quatre à cinq fois pour l’hépatite C.
Un chantier urgent : la diffusion systématique des outils de prévention
Comme les hommes détenus, les femmes n’ont pas systématiquement accès aux tests de dépistage au-delà de la visite médicale d’entrée. Les traitements pré-exposition et post-exposition d’urgence restent aussi faiblement diffusés. En 2009, l’enquête Pri2de(3) relevait que dans 47 % des établissements, les détenus n’étaient pas informés de la possibilité d’y avoir recours. Autre chantier à mener : la diffusion de l’ensemble des outils de réduction des risques sexuels. Alors que des associations spécialisées(4) plaident depuis plusieurs années pour la mise à disposition des préservatifs dans une diversité de lieux, ils restent essentiellement distribués dans les unités sanitaires(5). En cause, « un schéma de pensée des années 1980 : si on laisse les préservatifs en accès libre dans les couloirs, ça va inciter les détenu.e.s, ce sera transformé en yoyos, etc. Même auprès de mon équipe, j’ai un peu de mal à déconstruire ça », rapporte une médecin. Quant à mettre à la disposition des détenues des préservatifs féminins et des digues dentaires, c’est encore impensable dans la plupart des prisons, estiment des soignantes. Des résistances qui ne sont pourtant pas insurmontables : l’ensemble des maisons d’arrêt de la région pénitentiaire Grand-Est va bientôt intégrer les préservatifs féminins et masculins dans les kits arrivant.e.s. Mais la mise en place des outils de réduction des risques ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée. Des associations interviennent en appui des soignants qui peinent à assurer des actions de prévention régulières (unités sanitaires surchargées, manque de moyens humains). Ateliers « santé affective et sexuelle », actions « d’éducation à la santé »… Ces séances, aux formats et aux fréquences variables, permettent aux femmes de trouver des réponses à leurs questions. En prison, « les demandes sont le plus souvent des besoins ‘‘pratico-pratiques’’ : comment se prémunir du cancer, des IST, etc. », rapporte une animatrice longtemps intervenue à la maison d’arrêt pour femmes de Fresnes. Au centre pénitentiaire de Domenjod à la Réunion, « on a des questions sur le DIU(6), sur les problèmes de cycles menstruels, sur la contraception d’urgence, sur les IVG », témoigne une autre.
Pour certaines praticiennes, ces interventions sont aussi une marche nécessaire du parcours de soin. « Si on veut amener ces femmes à voir des médecins, on doit d’abord leur expliquer comment se passe une consultation, quels sont leurs droits, à quoi servent les tests de dépistage. Commencer systématiquement par de l’information, ça permettrait ensuite qu’il y ait des consultations en confiance et volontaires. »
Aborder la santé sexuelle sous un angle positif
Au-delà de ces informations pratiques, ces ateliers permettent aussi à leurs participantes d’aborder certains sujets pour la première fois. Car nombre de femmes n’ont pas eu accès aux informations sur les risques sexuels au moment de leur incarcération, et certaines n’ont jamais utilisé de préservatif ou de moyen de contraception. « Elles sont issues de milieux où la parole sexuelle ne circule pas entre les parents et les enfants », analyse la sociologue Myriam Joël. « Elles ignorent qu’il existe des sexologues ou des médecins qui peuvent les accompagner, constate Norah Lounas, sexologue intervenant à la maison d’arrêt pour femmes d’Épinal. Peu d’entre elles allaient chez le gynécologue. Soit parce qu’elles ne donnent pas leur confiance tout de suite, soit parce que ce n’est pas une priorité. À l’extérieur, certaines n’ont ni carte vitale, ni CMU… Parfois il y a aussi la honte, le sentiment de ne pas avoir les bons mots. Certaines ont peur de ne pas comprendre le médecin. »
Une infirmière animant des « échanges info-santé » à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas témoigne : « On a l’impression que ces femmes qui n’écoutaient pas trop leur corps ont d’un coup plein de temps pour le faire. » Un temps qu’elles mettent à profit pour échanger entre elles, parler de leurs expériences. Y compris des expériences de violences, qui concernent la grande majorité des femmes incarcérées. « Il y a une énorme banalisation des violences sexuelles. On me dit souvent : “oui mais c’était il y a longtemps, oui mais c’était mon mari”… », se désole une infirmière intervenant à Sequedin. Ces échanges de groupes peuvent aussi être l’occasion d’aborder la santé sexuelle sous un angle positif. De parler de désir, de consentement, de déconstruire des stéréotypes. Pour Myriam Joël, ils seraient « propices au développement de conduites réflexives et au renforcement – ou à la naissance – de la représentation de soi comme un sujet sexuel autonome et responsable ». « Je me rappelle d’une jeune femme de 24 ans qui nous a dit que si on n’était pas passés, elle n’aurait jamais appris à se masturber. Ça m’avait fait sourire, se souvient une animatrice. Alors que les femmes ont souvent l’impression que leur corps n’existe plus en prison, on a dédiabolisé le plaisir solitaire. »
Malgré leur intérêt évident et les recommandations des autorités sanitaires et des organisations internationales, l’organisation de ce type d’interventions reste aléatoire, si l’on en croit les retours de terrain. En cause, notamment, la faiblesse des moyens : « Les centres de dépistages ont tellement de missions qu’ils sont dépassés. Ils ne peuvent pas intervenir trois fois par mois en maison d’arrêt, témoigne une chargée de projet dans une Corevih(7). Dans les unités sanitaires où ce sont les infirmières qui s’occupent de la prévention en quartier femmes, le manque de temps et de moyens humains les empêchent d’organiser ce genre d’action plus d’une fois par an. »
par Sarah Bosquet
(1) Le risque de sanctions disciplinaires, notamment la privation de parloirs, est élevé si des relations sexuelles y sont constatées : « Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur » – Article R.57-7-2 du Code de procédure pénale.
(2) Offre de soins en milieu carcéral en France : infection par le VIH et les hépatites. Enquête Prévacar, 2010
(3) L’inventaire PRI2DE : Prévention du risque infectieux dans les prisons françaises, 2009.
(4) Comme celles du réseau Sidaction, qui a publié en 2019 un guide « Promotion de la santé, VIH et prison ».
(5) Dans quelques établissements, ils sont distribués gratuitement avant une UVF ou des parloirs familiaux.
(6) Dispositif intra-utérin (le nom officiel du stérilet).
(7) Coordination régionale de la lutte contre l’infection due au VIH.