Au 1er février 2024, 2 380 femmes sont détenues dans les prisons françaises. Elles représentent ainsi 3,4 % des 76 258 personnes incarcérées1. Comme celles des hommes détenus, leurs conditions de détention sont indignes et aggravées par la surpopulation carcérale chronique des prisons françaises2. En minorité numéraire, les femmes détenues subissent en plus des discriminations en raison de leur genre ainsi que l’absence de mesures adaptées prises par l’État français face à leurs besoins spécifiques, autant de problématiques toujours invisibilisées en 2024.
Dans ses observations concernant les septième et huitième rapports périodiques soumis par la France, le Comité onusien pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes affirmait être « préoccupé par l’inquiétante surpopulation carcérale, les infrastructures vétustes, l’éloignement des proches en raison de la distance géographique des rares prisons ayant des quartiers pour femmes, des possibilités réduites de travail de formation et de formation continue, et d’accès aux services de santé et aux services sociaux et culturels et par le risque plus élevé de suicide et d’hospitalisation psychiatrique forcée » (§44). Ces constats sont aujourd’hui toujours d’actualité.
Pour donner à voir l’ampleur du phénomène, l’OIP a souhaité produire la synthèse qui suit et qui a été fondée à partir d’une série d’enquêtes et d’analyses réalisées par les équipes de l’OIP et dont les constats apparaissent aujourd’hui inchangés.
Rupture des liens familiaux et isolement
Au 1er août, une minorité des prisons françaises sont en capacité d’accueillir des femmes détenues (57 sur environ 180). Elles sont inégalement réparties sur le territoire national, d’autant plus si l’on prend en compte le nombre de places réservées aux femmes sur chaque site (entre 3 et 235) et le type d’établissement (accueillant des femmes prévenues ou condamnées à de longues peines). Dans huit de ces prisons, le taux d’occupation moyen des places dédiées aux femmes dépasse 150%. Il atteint 217,9% à Perpignan.
Cette situation implique une incarcération des femmes loin de leurs attaches familiales. Cet éloignement géographique, dissuasif et épuisant pour leurs proches, les expose à une rupture de leurs liens familiaux et, dès lors, à un isolement renforcé. Dans les faits, outre que peu de créneaux de parloir sont réservés aux femmes détenues, ceux-ci restent ainsi souvent vides. Dans une récente étude sur la santé mentale de la population carcérale, environ la moitié des 130 femmes enquêtées affirmaient ne pas avoir pas eu accès aux parloirs[1].
Un moindre accès aux soins, à l’éducation, aux activités socio-culturelles et professionnelles
Seuls deux établissements pénitentiaires accueillent uniquement des femmes. Les autres accueillent majoritairement des hommes : les femmes, affectées dans des quartiers dédiés, y représentent une minorité discriminée. Si la mixité dans les activités proposées en détention est théoriquement devenue la norme – une évolution législative à saluer –, elle reste conditionnée au « maintien du bon ordre et de la sécurité »[2]. Dans les faits, la non-mixité reste le principe en milieu carcéral. En 2018, alors qu’il était déjà possible d’organiser des activités en mixité « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements »[3], seulement 3,7% des activités l’avaient été[4].
Les déplacements des femmes au sein de prisons majoritairement occupées par des hommes s’en trouvent drastiquement limités. Les activités ou les soins prenant souvent place hors de leur quartier, ils supposent en effet de mobiliser du personnel et de bloquer les déplacements des hommes détenus sur le même temps. De plus, leur nombre est régulièrement considéré comme insuffisant pour mobiliser des locaux et du personnel, en particulier lorsqu’il est comparé à la forte majorité d’hommes. Cela entraîne un moindre accès à l’unité sanitaire, aux locaux scolaires ou encore aux formations, activités socio-culturelles, sportives et professionnelles.
Extrait de « Prisons pour femmes : la double peine » : « Au centre pénitentiaire de Réau par exemple, si les femmes peuvent être reçues par une infirmière tous les matins dans la salle de soins de leur quartier, elles n’ont accès à l’unité sanitaire et donc au médecin, sauf urgence, que le jeudi matin, celle-ci étant alors fermée aux hommes. »
Alors que les trois quarts des femmes présentent un trouble psychiatrique ou lié à une addiction[5], une minorité des 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) est susceptible de prendre en charge des femmes en hospitalisation de jour. Fin 2019, seul celui de Fleury-Mérogis l’était, avec une capacité de maximum dix femmes détenues[6]. Aujourd’hui, d’autres SMPR semblent en capacité d’accueillir des femmes, comme à Marseille. Ailleurs, à Toulouse par exemple, la situation est plus complexe : les professionnels de santé doivent se déplacer à la maison d’arrêt des femmes, ce qui entraîne son lot d’obstacles supplémentaires dans l’accès aux soins.
Autre illustration : alors que les besoins sont immenses – au 1er janvier 2019, au moins 13% des femmes détenues sont illettrées ou n’ont pas dépassé le niveau primaire[7] –, certaines prisons ne comptent aucune femme scolarisée.
Extrait de « Prisons pour femmes : la double peine » : « Selon la Direction de l’administration pénitentiaire, le taux d’activité de l’ensemble des personnes détenues était en 2018 de 28 % et pour les femmes de 23 %. Le taux de femmes travaillant au service général est de seulement 9 %, contre 15 % pour les hommes. »
Selon l’enquête précitée portant sur la santé mentale, sur les 130 femmes enquêtées, près de la moitié déclare n’avoir jamais participé à une activité socio-culturelle, plus de 65% n’avoir eu accès à aucune formation professionnelle et presque 40% n’avoir jamais travaillé en prison[8]. Certains établissements ne proposent même aucune formation voire aucune activité professionnelle aux femmes détenues.
Une offre d’activités socio-culturelles et professionnelles stéréotypée
Fortement stéréotypée, l’offre d’activités pour les femmes détenues manque en outre cruellement de diversité et n’offre aucun véritable choix ni projet de réinsertion. Une importante proportion des activités socio-culturelles proposées aux femmes sont ainsi liées au bien-être (activités de relaxation, de soin et d’esthétique) et à l’art (théâtre, peinture, photographie, mais aussi couture, tricot, broderie), et ne font pas partie de l’offre d’activités proposée aux hommes détenus.
Concernant la formation professionnelle, il n’existe souvent qu’une offre – un minimum que certaines régions s’astreignent à proposer – et il s’agit généralement d’une formation d’agente de propreté et d’hygiène. Cette offre genrée fait perdurer les stéréotypes sur le travail de la femme. Lorsque plusieurs formations sont proposées, elles restent majoritairement liées à la cuisine et aux métiers de l’entretien. L’offre de travail réservée aux femmes reste de même genrée et stéréotypée.
Une préparation à la sortie et un parcours d’exécution de la peine semés d’embûches
L’ensemble de ces discriminations impacte la réinsertion des femmes détenues. Elles durcissent encore le parcours d’exécution de la peine. En effet, l’octroi de permissions de sortir, de réductions de peine ou encore d’aménagements de fin de peine est conditionné au comportement de la personne détenue et aux efforts qu’elle manifeste en vue de se réinsérer, notamment à travers un projet professionnel ou de formation. Ainsi, l’absence d’accès à une activité professionnelle pendant la détention complexifie à la fois l’accès à un travail à la sortie et l’octroi de mesures favorables à la réinsertion dans le cadre de l’exécution de la peine. Nombreuses sont dès lors les femmes détenues contraintes à une « sortie sèche », sans accompagnement ni solution d’hébergement.
Extrait de « Préparer la sortie : un chemin semé d’embûches » : « Mettons que Pôle emploi intervienne un jour par semaine dans l’établissement, comment fait la personne pour aller voir les femmes, une minorité isolée, perdue dans la masse ? Elle y va une fois par mois ? Je ne suis pas sûr que ce soit opérant. » (témoignage de Damien Pellen, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires – SNDP)
Enfin, alors que le placement à l’extérieur et la semi-liberté seraient particulièrement adaptés aux femmes détenues qui connaissent pour la plupart de grandes difficultés de logement ou d’insertion, les structures d’accueil dédiées manquent. En 2018, le placement à l’extérieur et la semi-liberté représentaient respectivement 6 et 8% des aménagements de fin de peine prononcés à l’égard de femmes détenues, contre 8 et 21% de l’ensemble des aménagements de fin de peine prononcés[9]. En cause, des places généralement réservées aux hommes.
Des restrictions vestimentaires genrées
En prison, les restrictions au droit de porter ses vêtements personnels, appliquées à la discrétion du personnel pénitentiaire, varient considérablement selon les établissements mais également selon des considérations genrées discriminantes. La notion de « décence » est en effet très souvent interprétée plus largement à l’égard des femmes détenues. A la différence des hommes, ces dernières se voient par exemple spécifiquement imposer le port de tenues qui couvrent les épaules et les genoux, voire les mollets. Des témoignages reçus entre avril et août 2022 de différentes prisons indiquent que les femmes détenues ne respectant pas ces limitations s’exposent à des privations de promenade, sans même que ces règles genrées ne soient jamais spécifiées dans les règlements intérieurs. Dans certains établissements, elles ont également souligné être obligées de porter des soutiens-gorge sous leurs vêtements pour toute sortie de cellule.
Voir en particulier « Liberté de se vêtir : un droit remisé au placard ».
Sur les soins gynécologiques
Dans un contexte général de pénurie de médecins spécialisés, l’accès aux soins gynécologiques varie considérablement selon les établissements. Dans le rapport relatif à sa visite de l’établissement de Borgo (Corse) en 2021, le Contrôle général des lieux de privation de liberté souligne que « pour les femmes, il n’y a pas de soins de gynécologie, et les délais d’attente sont extrêmement longs ». Cela conduit parfois à des dépistages tardifs, comme dans le cas d’une femme détenue rapportant à l’OIP-SF le refus d’un frottis en détention et la découverte, à la sortie de prison, d’un cancer du col de l’utérus[10]. Cela conduit également à des extractions des femmes détenues pour que l’examen médical soit réalisé à l’extérieur de la prison. Mais les conditions dans lesquelles l’extraction et l’examen se déroulent sont régulièrement attentatoires à leur dignité – port de menottes et/ou d’entraves, présence de surveillantes pendant les soins –, à tel point que certaines préfèrent renoncer aux soins.
Extrait de « Les soins gynéco en souffrance » : « Les délais d’attente sont parfois très longs, qu’il s’agisse d’une consultation sur place ou d’une extraction médicale. De un à six mois, si l’on en croit les témoignages reçus à l’OIP. […] À Bapaume, une femme souffrant d’une descente d’organes rapporte attendre un rendez-vous depuis six mois. Une attente anxiogène, qui peut s’accompagner d’une dégradation de l’état des patientes quand les soins ne sont pas réalisés à temps. […]
Autre dysfonctionnement structurel : le manque d’anonymat des consultations. Alors qu’à l’extérieur, il est possible pour les patientes d’aller chez un gynécologue sans que leurs voisins soient au courant, difficile pour les femmes détenues de consulter en toute discrétion. Car dans de nombreux établissements, elles dépendent d’un surveillant pour transmettre une demande de rendez-vous médical ou se rendre à l’unité sanitaire. […]
D’après de nombreux témoignages, il serait fréquent que les agents en charge de l’escorte assistent aux examens gynécologiques, aux mammographies ou encore aux fouilles internes. Des situations d’autant plus violentes que ces examens mettent en position de vulnérabilité. “Pendant l’échographie des seins et des ovaires, la surveillante est restée dans la même pièce et s’est mise à côté de moi. Elle a assisté au rendez-vous en me voyant à demi-nue… C’était très gênant”, se souvient une détenue. D’autres femmes rapportent la présence non désirée de surveillantes pendant des interruptions volontaires de grossesse, des accouchements, ou, comme cette femme, lors de soins faisant suite à une fausse couche : “Je suis restée attachée au lit de l’hôpital avec les deux surveillantes dans la chambre pendant deux jours, et dans la salle où j’ai vu le médecin.” »
Extrait de « La santé incarcérée : enquête sur l’accès aux soins spécialisés en prison » : « On propose régulièrement des mammographies, mais j’ai fréquemment des refus de la part des patientes, à cause des extractions qui se font menottées. Si elles sont là pour des courtes peines, elles préfèrent attendre d’être sorties » (témoignage de Rose Nguyen, médecin à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis).
Sur la précarité menstruelle
En 2020, une note de la Direction de l’administration pénitentiaire reconnaissait à chaque femme détenue le droit de bénéficier gratuitement et mensuellement d’un voire deux lots de six protections périodiques[11].
La même année, l’OIP-SF recevait pourtant plus de quarante témoignages de détenues forcées de se replier sur des protections artisanales, dont certaines présentent un haut risque pour la santé : des prisonnières sont allées jusqu’à bricoler des coupes menstruelles avec des bouteilles en plastique, découpées puis lissées contre un mur pour éviter de s’arracher les parois internes du vagin[12]. En cause notamment la quantité fournie par l’administration. Insuffisante au regard de la consommation moyenne d’une femme, elle ne permet pas de pallier les risques sanitaires liés au port d’une même protection périodique pendant plus de quelques heures. Elle ne tient en outre pas compte de la diversité des cycles menstruels selon les femmes, et la qualité des protections est régulièrement mise en cause.
Extrait de « Précarité menstruelle en prison : à quand la gratuité ? » : « En plus de conduire à des situations dégradantes, le manque de produits d’hygiène contraint de nombreuses femmes à enfreindre le règlement intérieur (ou les interprétations qui en sont faites) pour s’en procurer – et donc à s’exposer à des sanctions. […] Par crainte d’une stigmatisation en cas de tache visible sur leurs vêtements, certaines détenues renonceraient à des activités. “Beaucoup d’entre nous ne sortent pas de cellule durant leurs règles car elles ont peur des fuites et honte de sortir. Elles ne sont pas à l’aise parce qu’elles n’ont pas le nécessaire pour se protéger comme chez elles.” »
Sur l’accès à la contraception
Les femmes détenues peuvent tomber enceintes au cours de leur détention, dans le cadre de permissions de sortir, d’unités de vie familiale ou, plus rarement, de parloirs. Les enfants conçus en cours de détention constitueraient 12% des enfants accueillis en prison auprès de leur mère[13]. Or les femmes détenues n’ont pas toujours le contrôle sur leur grossesse. En 2019, l’OIP-SF recevait des témoignages de femmes s’étant vues refuser l’accès à un contraceptif ou dont les retards de livraison mettent en péril leur contraception.
Extrait de « Les soins gynéco en souffrance » : « Une autre témoigne qu’au retour d’une permission, “on [lui] a dit qu’il n’y avait pas de contraception d’urgence” en prison. “Après m’être énervée et m’être faite engueulée par l’US [unité sanitaire], on me l’a remise 48 heures après – soit à la limite de son efficacité – à cause d’un problème de livraison. Ma pilule habituelle avait aussi été livrée en retard.” »
Sur la grossesse, l’accouchement et la maternité
En 2018, 65 femmes enceintes ont intégré une cellule mère-enfant[14]. Parmi elles, 47 ont accouché au cours de leur détention, et 18 sont sorties avant d’avoir accouché.
Dans la pratique, le suivi médical des détenues enceintes et ayant accouché peine à être effectif en l’absence de gynécologue ou de sage-femme, et il doit être assuré hors de la prison. Une difficulté se pose encore sur l’organisation des extractions et des examens médicaux à l’extérieur : faute de personnel et de véhicule disponible, il arrive que les femmes ratent leur rendez-vous, pourtant difficile à obtenir, et dont elles ne connaissent la date qu’au dernier moment afin d’éviter toute planification d’évasion : un stress rajouté à la femme enceinte et nocif pour le bon déroulé de sa grossesse. Quant au suivi médical des femmes ayant accouché, il est quasi-absent. Les suites de couches sont peu ou pas assurées, en particulier la rééducation du périnée.
Enfin, au 1er janvier 2022, 32 prisons étaient dotées de quartiers nurseries destinés à accueillir les femmes détenues avec leur enfant – ce qui est autorisé jusqu’aux 18 mois du bébé. Au 1er janvier 2019, 37 enfants vivaient ainsi avec leur mère en détention[15]. La distance moyenne entre le lieu de résidence initial et le lieu de détention est dans ce cas encore aggravé : de 74 kilomètres en moyenne pour les femmes détenues, elle est portée à 137 kilomètres pour les femmes détenues avec leur enfant. Ces dernières sont ainsi tout particulièrement exposées à une rupture des liens familiaux, d’autant plus lourde de conséquences lorsque viendra la séparation avec l’enfant à ses 18 mois. La quasi-totale absence de service de garderie (hormis à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis depuis 2019) renforce quant à elle la difficulté d’accès aux activités éducatives, socio-culturelles et professionnelles.
Voir en particulier « Baby-blues carcéral ».
[1] « La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale », Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France, décembre 2022.
[2] Ordonnance du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues.
[3] Article L 411-3 du code pénitentiaire.
[4] « Vers davantage de mixité ? », OIP-SF.
[5] Voir l’étude précitée « La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale ».
[6] « Prisons pour femmes : la double peine », OIP-SF.
[7] « Femmes détenues : les oubliées », OIP-SF.
[8] Voir l’étude précitée « La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale ».
[9] « Préparer la sortie : un chemin semé d’embûches », OIP-SF.
[10] « La santé incarcérée : enquête sur l’accès aux soins spécialisés en prison », OIP-SF.
[11] « Des protections périodiques gratuites pour les femmes détenue », OIP-SF.
[12] « Précarité menstruelle : en prison, des femmes fabriquent des cups avec des bouteilles en plastique », Nouvel Obs, mars 2019.
[13] Ministère de la Justice, « Exercer sa maternité en prison : les cellules mère/enfant dans les établissements pénitentiaires français », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n°51, juin 2020.
[14] « Baby-blues carcéral », OIP-SF.
[15] Voir l’étude précitée du Ministère de la Justice.