Si la mixité a été autorisée sous certains aspects par la loi pénitentiaire de 2009, elle reste peu développée en détention, si bien que la prison reste l’une des seules institutions publiques de France où les contacts entre femmes et hommes sont quasiment inexistants.
« Moi ça ne me poserait pas de problème de croiser des hommes. C’est à l’administration que ça pose un problème. Pourquoi nous couper des hommes ? On n’est pas des nonnes. Et puis ce n’est pas en se croisant qu’on va faire des bébés ! », s’exclame Ada, détenue aux Baumettes. C’est pourtant bien ce qui semble justifier la séparation des sexes, introduite dans la seconde moitié du XIXe siècle dans les prisons françaises : la volonté « d’éviter les viols »(1) , comme l’explique la sociologue Corinne Rostaing. Et au-delà, tout rapport, même consenti, qui pourrait déboucher sur une grossesse. Protéger les femmes donc, autant des hommes que d’elles-mêmes, à une époque où elles étaient plus encore qu’aujourd’hui considérées « comme le pivot de la famille et le garant de la moralité de l’homme et de l’enfant ». Un principe de séparation qui perdure depuis lors, de sorte que la prison reste aujourd’hui l’une « des rares institutions publiques monosexuées » de France, note la sociologue.
Problème : que ce soit pour l’infirmerie, le sport, les activités culturelles, la formation ou le travail, cette interdiction stricte faite aux hommes et aux femmes détenues d’entrer en contact limite fortement l’accès de ces dernières aux services et activités en détention. Pour tenter de répondre à cette situation inégalitaire, la loi pénitentiaire de 2009 a autorisé, à titre dérogatoire et sous réserve « du bon maintien de l’ordre et de la sécurité »(2), l’organisation d’activités mixtes en détention. Une possibilité que peu d’établissements semblent avoir saisie.
Des expérimentations marginales
Si à titre ponctuel, certains établissements organisent conférences, concerts ou remises de diplômes mixtes, peu d’entre eux ont instauré des pratiques régulières en mixité, comme le constatait la Contrôleure général des lieux de privations de liberté (CGLPL) en 2016(3). L’administration pénitentiaire le reconnaît elle-même : « Actuellement, la mixité reste très marginale. » En 2018, 3,7 % de l’ensemble des activités réalisées en détention l’ont été en mixité.
À Bordeaux, différents programmes mixtes ont été lancés : chorale, ateliers de production et création de trois places réservées aux femmes au sein du centre de semi-liberté. Les retours sont positifs, bien que les réticences aient été nombreuses au départ. À l’atelier de production, certains « voulaient même mettre une grille pour les séparer des hommes, mais on n’est pas allés jusque-là »(4), témoigne Marie Bruffaerts, responsable de la section travail à la Direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp). La mixité se construit cependant à petits pas : les femmes travaillent ensemble sur une table qui leur est réservée, leurs déplacements sont limités et les échanges avec les hommes, peu nombreux.
« Co-présence » plutôt que réel mélange
De fait, lorsqu’elle est autorisée, que ce soit de manière ponctuelle ou régulière, la ‘‘mixité’’ se résume en réalité bien souvent à de la co-présence, où les échanges et contacts sont étroitement surveillés, voire proscrits. « On met les hommes et femmes dans le même atelier, mais on ne les fait ni se parler, ni travailler ensemble », explique Corinne Rostaing. « Si pour un événement avec vingt détenus, on va faire venir dix femmes, on va toutes les mettre d’un côté de la salle, tout à l’avant ou tout à l’arrière, en les surveillant pour qu’elles ne se fassent pas embêter, mais aussi pour qu’il n’y ait pas de tentatives de drague, témoigne une CPIP en maison d’arrêt. Plus cette mixité est exceptionnelle, plus elle créé de l’excitation et plus elle est compliquée à gérer. » Hélène, détenue à Poitiers – où la mixité a d’abord concerné le scolaire et certaines activités avant d’être étendue au travail – confirme : « Au début, c’était tellement exceptionnel que chez les hommes, ça a généré excitation et provocations aux fenêtres, au passage des premières femmes à aller travailler. Aujourd’hui, cela a quasi-totalement disparu, car c’est devenu banal d’apercevoir des femmes. Le phénomène s’est dissipé en à peine quelques mois et tout est beaucoup plus respectueux et apaisé, même s’il y a toujours quelques rares exceptions. »
À Metz, Poitiers ou Bordeaux, les résultats positifs de projets réguliers menés en mixité semblent, in fine, avoir fait disparaître les craintes et réticences initiales du personnel. Les détenues qui en bénéficient apprécient l’expérience. « En cours, il y avait de la mixité, et franchement ça faisait du bien. Moi je rigolais beaucoup avec les mecs. Et puis ça permet de voir autre chose : on n’est pas nombreuses au quartier femmes, on voit tout le temps les mêmes têtes », témoigne Delphine, incarcérée à Metz durant quelques mois. Outre qu’elle permet de sortir de l’entre-soi, la mixité permet également de proposer aux femmes des activités plus qualifiantes et moins genrées que celles qui sont, encore aujourd’hui, régulièrement offertes en quartier femmes, comme le tricot, la couture ou les ateliers maquillage. Si elle est bénéfique à bien des égards, la mixité n’est cependant pas une attente partagée par toutes les femmes détenues. « Certaines ont été traumatisées par des expériences de viols et d’agressions sexuelles et le contact avec les hommes leur fait peur », précise Corinne Rostaing. Un constat partagé par la sociologue Myriam Joël, qui pointe également les fortes réticences des surveillantes et des gradées : « Du fait des violences conjugales caractérisant les parcours biographiques des détenues qui se sont confiées à eux, ils craignent la reconduction de rapports de domination. »(5) La prison peut alors représenter pour ces femmes un espace de reconstruction et d’émancipation de la domination masculine. Mais la séparation des sexes est-elle pour autant la solution pour prévenir, sur le long terme, la reproduction de ces rapports de domination, dans la mesure où cette mixité leur sera à nouveau imposée dès la sortie ? S’il faut sans doute préserver des espaces non-mixtes mais aussi encourager l’intervention d’associations œuvrant à une libération de la parole et à une prise de conscience féministe (lire page 32), le développement des activités en mixité réelle permettrait de « ré-initier le nécessaire dialogue entre les sexes et de favoriser, au moment de la libération, un retour plus aisé dans la société »(6), note la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Une recommandation que la Direction de l’administration pénitentiaire semble commencer à considérer : des études interdisciplinaires et des appels à projets sur la question ont récemment été diligentés.
(1) Corinne Rostaing, « La non-mixité des établissements pénitentiaires et ses effets sur les conceptions de genre : une approche sociologique », Enfermements III. Le genre enfermé. Hommes et femmes en milieux clos (XIIIe-XXe siècle), 2017.
(2) Loi pénitentiaire, 2009, article 28.
(3) CGLPL, Avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté.
(4) « Mixité en prison, le premier test », Marianne, 3 septembre 2016.
(5) Myriam Joël, La Sexualité en prison de femmes, Presses de Science Po, 2017.
(6) CGLPL, op. cit.