Les premières unités de vie familiale (UVF) ont ouvert en 2003. Petits appartements échappant au regard d’autrui, elles permettent aux détenus de recevoir leurs proches dans l’intimité. En 2016, seulement 28 établissements sur 188 en sont équipés, 36 si l’on compte les salons familiaux. Détenu(e)s et conjoint(e)s partagent leur expérience de ces « parloirs intimes ».
Petits appartements meublés de 50 à 80 m2, les unités de vie familiale permettent aux personnes détenues de recevoir leurs proches dans l’enceinte pénitentiaire, mais à l’abri du regard des surveillants. Entre ces murs, chacun est libre de ses mouvements et de son temps. « La première fois, ça fait bizarre, se souvient Noëlle, compagne de détenu. On rigole plus, on est plus à l’aise. Si on a envie d’aller dehors, on va dehors. Si on veut prendre une douche, on prend une douche. » L’unité de vie familiale (UVF) permet ainsi une « libération du corps », note la chercheuse Cécile Rambourg dans un rapport de 2006. Une liberté dans les gestes et les mots particulièrement précieuse dans la relation de couple. « On peut s’embrasser, se toucher, se montrer qu’on s’aime et qu’on est là. » Le lieu se prête aussi davantage aux rapports sexuels. « Ma femme était moins gênée en UVF », confirme Hassen, récemment sorti de prison. « On sait qu’on est seuls et qu’on n’a personne autour de soi. Pour elle, c’est plus simple, les conditions sont plus discrètes, plus personnelles, plus respectueuses de notre dignité. » « Mais on ne va pas en UVF que pour le sexe. On fait plein d’autres choses », souligne Noëlle.
Dotée d’un séjour-cuisine, d’une ou plusieurs chambres, de sanitaires et d’un espace extérieur, l’UVF permet aussi « la redécouverte de gestes ordinaires » de la vie quotidienne, comme partager un repas autour d’une table, regarder un film, coucher les enfants. Une véritable bouffée d’oxygène dans la vie carcérale, témoignent de nombreux détenus. « Indispensable pour ne pas devenir un parfait sociopathe », estime Gwenola, détenue au centre pénitentiaire pour femmes (CPF) de Rennes, même si au bout d’un moment vient l’impression de tourner en rond : « Les premières visites sont un rêve, puis vient la routine. Hormis manger et regarder la télé on n’a pas grand-chose à faire. Comme des animaux en cage. Mais c’est mieux que rien. » Les bénéfices des UVF pour les détenus vont plus loin. En permettant une plus grande « qualité des échanges », elles favorisent un meilleur ancrage des relations dans la réalité et permettent de reprendre ou de consolider des liens. A long terme, ils peuvent réinvestir « une plus grande variété de statuts », note Cécile Rambourg : celui d’homme, de femme, de conjoint, de parent, d’enfant. De quoi revaloriser l’image de soi et favoriser la projection vers la sortie.
Un cocon dans la prison
Les UVF offrent des conditions matérielles généralement appréciées. « C’est ce qu’on peut avoir de mieux, on ne va pas cracher dans la soupe. Certaines personnes aimeraient bien avoir ça à l’extérieur », souligne Hassen.
Un ressenti qui varie toutefois sensiblement selon que l’on vient de l’intérieur ou de l’extérieur, précise Jasmine, dont le mari est incarcéré : « Pour les détenus, habitués à leur cellule, ça paraît immense, moins pour les familles. » L’impression d’être tout de même en univers carcéral est plus ou moins prégnante d’un établissement à l’autre. « Dans l’appartement, on oublie qu’on est en prison, mais sur le balcon, on voit les barbelés », fait remarquer Gwénola. A Annoeullin, l’espace extérieur est un patio sur lequel donnent toutes les fenêtres – sans barreaux – de l’appartement : « On a moins l’impression d’être en prison, on est plus libre… malgré le grillage au-dessus de la cour. » A Réau par contre, il s’agit d’« une cour entre quatre murs, comme une cour de QD [quartier disciplinaire] ». Le sentiment de claustration est pour certains davantage lié à l’isolement : « Je ne peux pas prendre mon téléphone quand je rentre en UVF. Pendant trois jours, s’il y a un souci avec les proches à l’extérieur, on ne le sait pas », explique Christelle, conjointe de détenu.
L’intérieur, il faut se l’imaginer « comme un appartement témoin », dit Jasmine. Avec tout le nécessaire – TV, lecteur DVD, frigo, plaque chauffante, etc. – « mais sans vie ». Dans les établissements qui viennent d’ouvrir « tout est neuf »… et parfois pas encore tout à fait terminé. Dans les UVF ouvertes depuis longtemps, comme au CPF de Rennes, le matériel mis à disposition peut être « carrément obsolète et usagé », et ce qui est cassé n’est pas toujours remplacé. Les familles s’inquiètent aussi de l’hygiène dans ces lieux de passage. « On refait toujours le ménage en arrivant, explique Christelle. Et on y passe encore au moins une heure quand on repart. Ça participe au stress du départ, qui gâche la dernière journée. » C’est généralement autour du lit, lieu intime par excellence, que se focalisent les craintes : « On sait qu’on est dans un lit où d’autres sont passés, et personnellement ça me gêne un peu, indique Hassen. Quand on voit certaines tâches… Ça freine. » Pour être plus à l’aise, certains apportent leurs propres draps et oreillers.
Plus de temps… à une fréquence insuffisante
La première visite en UVF dure six heures. Cette durée peut augmenter progressivement jusqu’à un maximum de 72 heures, avec des tranches intermédiaires de 24 et 48 heures. Il est possible aussi, comme l’a obtenu Pascal au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, de demander une visite plus courte. Gwénola estime qu’« en dessous de 48 ou 72 heures, ça passe beaucoup trop vite, on n’a le temps de rien ». Pour Jasmine au contraire, « 48 heures, c’est le maximum : après on ressent l’enfermement, c’est trop ». Quant à la fréquence minimale, d’une fois par trimestre, elle est généralement respectée par l’administration mais jugée insuffisante par beaucoup d’usagers. « Tous les quinze jours ou tous les mois, c’est le minimum, surtout pour les longues peines », estime Hassen. Aussi, dans certaines prisons, notamment les maisons centrales, les UVF peuvent être obtenues bien plus fréquemment. A Annoeullin par exemple, Jasmine et Christelle n’avaient aucun mal à obtenir une UVF deux ou trois fois par mois : « Le quartier maison centrale d’Annoeullin n’a pas beaucoup de détenus, l’accès aux UVF est donc facilité, d’autant que plusieurs détenus n’ont malheureusement pas de visites. »
Des conditions d’accès assouplies
Pour obtenir une UVF, détenu et visiteur doivent chacun formuler une demande écrite. Elle est instruite par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui contacte le visiteur pour vérifier les liens qui l’unissent au détenu et s’assurer qu’il connaît son motif d’incarcération. La décision est prise par le chef d’établissement après avis d’une commission pluridisciplinaire qui se tient généralement tous les mois. La réponse doit être donnée dans « un délai de deux mois à compter de la réception de la demande ». Lorsque le visiteur vient régulièrement, la procédure peut être un peu simplifiée. Jasmine relate : « Un jour, mon mari m’a appelée pour me dire : “Il y a une place à l’UVF demain, tu ne veux pas venir ?” J’ai dit oui, et c’était bon ! » Un fonctionnement qui reste toutefois exceptionnel. Dans certaines UVF, l’entrée n’est pas possible certains jours de la semaine. A Condé-sur-Sarthe, comme l’a expérimenté Jasmine, « c’est souple, c’est nous qui indiquons l’heure d’arrivée. Une fois, j’avais annoncé 16 h, mais à cause des embouteillages, je suis arrivée à 18 h et on m’a laissée entrer sans problème. Là-bas, l’horaire de sortie ne change pas, même si le retard à l’entrée est de leur faute. A Annoeullin en revanche, si l’UVF débutait avec dix minutes de retard, elle finissait dix minutes après l’horaire prévu ». A Vendin-le-Vieil, « les entrées et sorties ne peuvent se faire qu’à 10 h ou 16 h. Donc impossible de venir après une journée de travail », déplore Noëlle.
Le coût d’un moment d’intimité
Mais recevoir ses proches dans des conditions d’intimité a un prix pour les détenus. Les familles ne peuvent pas apporter de nourriture en UVF. La personne qui reçoit ses proches doit donc disposer d’une certaine somme d’argent pour effectuer des achats en cantine, alors que l’indigence concerne un quart de la population détenue. Dans certains établissements, il est même prévu une « somme minimum à bloquer » qui doit être disponible sur le pécule le jour de la commission. A défaut, la demande d’UVF est rejetée. Un vrai problème pour les détenus sans ressources. Un détenu de Nancy témoigne : « On me verse une aide de 22 € par mois donc j’ai pu bloquer 8 € pour mon UVF de six heures. Mais j’ai vu des gens se faire refuser l’UVF car il leur manquait 5 €. Pour mon UVF de 24 heures, la somme à bloquer – 24 € – est supérieure à l’aide mensuelle que je reçois. J’ai dû me faire envoyer 40 € par un codétenu. Résultat : je ne perçois plus l’indigence car j’ai reçu ce montant. »
Des contrôles allégés
Pour accéder à l’UVF, le visiteur doit se présenter environ une heure avant avec sa pièce d’identité et remettre à l’administration pénitentiaire l’ensemble des objets qu’il souhaite faire entrer (vêtements, bijoux, produits d’hygiène, chaussures…). Un inventaire est réalisé et les objets contrôlés par un agent sont placés dans un tunnel à rayons X, tandis que le visiteur passe sous le portique de détection des métaux. De son côté, le détenu subit une fouille intégrale. Une fois dans l’UVF, les occupants ne sont plus soumis à la surveillance directe de l’administration pénitentiaire. Seuls des contrôles de présence sont prévus, trois à quatre fois dans la journée à heures fixes, entre 7 h et 19 h. « Ils passent mais ne s’arrêtent pas, il faut juste qu’on soit visibles », « ils restent dehors, on ne se sent pas envahis ». Des contrôles généralement peu intrusifs, qui sont toujours annoncés, mais peuvent poser problème lorsque les horaires ne sont pas respectés. « Une fois, un surveillant nous a dit que son collègue arriverait dans cinq minutes. Une demi-heure après, il n’était toujours pas là », relate Christelle, qui dénonce également un ou deux cas dans lesquels une surveillante est entrée « sans avertir de son arrivée ». Risque réel ou persistance imaginaire de la sensation d’être surveillé, il n’est pas rare que les détenus expriment un certain malaise à propos de la présence d’un interphone : « Avec l’interphone j’ai toujours peur qu’on m’entende. J’ai cette parano en cellule déjà, en UVF c’est encore pire… », avoue Hassen. Jasmine se veut plus rationnelle : « Pourquoi voudraient-ils nous écouter ? Mais mon mari a tellement vu de choses… Il pense qu’ils en seraient capables. Il a tellement l’habitude d’être surveillé que trois contrôles de deux minutes par jour, ça le déstabilise. Le sentiment de liberté, il ne peut pas le vivre. »
Au final, tous reconnaissent que les UVF représentent une avancée considérable en comparaison des visites au parloir. Au point qu’il apparait urgent de les généraliser et qu’il devient insoutenable que seule une poignée de personnes détenues et de familles y aient accès. Si les UVF doivent devenir une modalité courante de visite à un proche détenu, la permission de sortir reste néanmoins la meilleure façon de maintenir les liens avec ses proches et de préparer un retour dans son environnement familial. Or, les permissions pour ce motif sont rarement accordées et souvent en fin de peine, alors qu’il est parfois trop tard pour reconstruire des relations endommagées par l’éloignement et les conditions de communication.
Par Anne Chereul