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Au QER, une évaluation en trompe l’œil

Censés orienter la prise en charge des personnes détenues pour une infraction en lien avec le terrorisme ou suspectées de se « radicaliser », les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) occupent une place centrale dans la communication gouvernementale. Pour l’administration pénitentiaire, il s’agit de montrer qu’elle sait évaluer le danger et y proposer une réponse adaptée. Mais sur le terrain, le décalage constaté entre la théorie et la pratique interroge.

Voilà bientôt quatre ans, Jean-Jacques Urvoas, alors garde des Sceaux, annonçait, en réaction à la violente agression par un détenu de deux surveillants dans l’unité dédiée d’Osny, la création des « quartiers d’évaluation de la radicalisation ». Après les « UD » (pour unités dédiées), puis les « UPRA » (pour unités de prise en charge de la radicalisation), naissaient donc les « QER », à l’automne 2016. Au cours des deux années suivantes, cinq quartiers d’évaluation de la radicalisation, chacun doté de douze places, sont ouverts dans les prisons de Fresnes, Fleury-Mérogis, Osny et de Vendin-le-Vieil (qui en compte au départ deux, puis trois(1)). Au total, six QER sont aujourd’hui en service, avec pour objectif d’évaluer, en quatre mois, le degré de « radicalisation » des personnes détenues étiquetées « TIS » (suspectées ou condamnées pour une infraction en lien avec le terrorisme islamiste) ou identifiées par l’administration pénitentiaire comme « DCSR » (incarcérées pour une infraction de droit commun mais jugées « susceptibles de radicalisation »). In fine, il s’agit officiellement de permettre à l’administration de décider de leur affectation et de leur régime de détention. En fonction de leur niveau d’« imprégnation idéologique et de leur dangerosité » estimés, trois orientations sont ainsi possibles : détention ordinaire, quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) ou isolement. Que se passe-t-il pendant ces quatre mois ? Dans quelles conditions les personnes y sont-elles affectées, détenues et évaluées ? Et surtout, quelle est la finalité réelle de ces évaluations ? Si sur le papier, le projet paraît cohérent et la mécanique huilée, dans les faits, les conditions de réalisation de ces évaluations et l’usage qui en est fait soulèvent de nombreuses questions.

Mélange des genres et politique d’affectation opaque

Pour les personnes incarcérées pour des faits en lien avec le terrorisme islamiste, le passage en QER est systématique, qu’elles soient prévenues ou condamnées. Problème : cette catégorie regroupe des infractions de nature et de gravité extrêmement variées. « Au QER, on a des jeunes qui ont voulu rejoindre la Syrie sans y être parvenus, des personnes condamnées au titre du support au terrorisme pour avoir financé un retour, des gars du banditisme qui auraient vendu des armes tout en étant eux-mêmes totalement étrangers à l’idéologie islamiste, tout cela mêlé à des types qui sont allés sur le théâtre d’opérations et à qui l’on reproche d’avoir commis de graves exactions… C’est vraiment fourre-tout », explique Jean-Louis(2), cadre dans l’un des établissements pourvus d’un QER. Un mélange des genres qui n’est pas sans l’inquiéter. « L’étanchéité avec les autres quartiers est réelle, mais au sein du QER, ça communique sans problème d’une cellule à l’autre. Or, l’influence de certains gros profils – même s’ils sont rares – est réelle. Mais lorsqu’on alerte la DAP [Direction de l’administration pénitentiaire] sur ces risques, on nous dit “oui, mais c’est politique, il faut avoir évalué tout le monde” : c’est ça, la logique institutionnelle. »

À la catégorie des « TIS » s’ajoutent depuis quelques mois – et de plus en plus massivement à mesure que le « stock » de personnes TIS à évaluer baisse – les « DCSR ». Ces derniers, identifiés sur des critères « incertains » et « opaques » selon le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL)(3), ne sont généralement pas informés de cet étiquetage, en dépit des consignes de l’administration centrale( 4). Les décisions d’affectation en QER, prises par la DAP à partir du repérage effectué dans les CPU-Radicalisation( 5) , sont rarement notifiées, et encore moins souvent expliquées aux détenus. Incompréhensibles pour les premiers intéressés, elles laissent parfois perplexes les professionnels eux-mêmes : « Nous n’y trouvons pas de lisibilité et sommes parfois bien en peine d’expliquer aux personnes concernées pourquoi elles se retrouvent dans ces structures », rapporte au CGLPL un cadre exerçant en QER.

L’objectif, ce n’est pas l’évaluation, c’est l’abattage, le tampon à la sortie : si dehors ils se font exploser, la première chose que le politique va regarder, c’est comment ils ont été pris en charge en prison. Et on pourra au moins dire qu’ils ont été évalués.

De manière générale, la politique d’affectation en QER est assez indéchiffrable. D’après la DAP, deux critères y président : « l’approche de la fin de peine » et le « profil » (qui recouvre l’infraction commise, les interactions sociales de la personne concernée, sa personnalité et sa « dangerosité » estimée)(6). Dans les faits, qu’ils soient TIS ou DCSR, il arrive que les détenus y soient affectés peu de temps après leur incarcération, quand d’autres y sont envoyés après plusieurs années en détention ordinaire – voire, de plus en plus souvent, en fin de peine. « On a eu un jeune homme qui est arrivé en QER alors qu’il était à six mois de la sortie. Il était investi dans des activités en détention, avait un projet d’aménagement de peine dans son établissement. Mais les quatre mois en QER ont tout bloqué… », raconte le cadre pénitentiaire. Certains détenus rapportent aussi avoir été évalués deux fois, sans que l’on ne leur ait expliqué pourquoi.

Fatalistes devant ce qui semble devoir être un passage obligé, il arrive que certains TIS l’appellent de leurs voeux : « On réclame souvent le passage en QER pour débloquer une situation dans le cadre d’un rapprochement familial. Sans ça, c’est extrêmement difficile d’obtenir qu’une personne soit transférée hors d’Île-de-France, vers une maison d’arrêt moins familière de ce genre de profil », explique Me Olivia Ronen. Mais ces cas sont minoritaires : la plupart des personnes envoyées en QER ne sont, d’après le CGLPL, ni demandeuses, ni volontaires. « J’ai été pris comme un sac dans mon sommeil. On ne m’a pas dit où j’allais. Je l’ai découvert à mon arrivée dans la nouvelle prison », rapporte un détenu au CGLPL. Comme lui, nombreux sont ceux qui disent n’avoir pas été informés qu’ils allaient être transférés en QER – ou alors seulement la veille. Leur consentement n’est généralement pas recueilli. Quand bien même le serait-il, cette démarche ne serait que de pure forme : l’« absence d’adhésion » est en effet apparentée à une « faute disciplinaire », souligne le CGLPL. Bien que rien ne le prévoie officiellement, dans les faits, le refus de participer au dispositif est « passible de sanction, au premier rang desquelles figure le placement à l’isolement », dénonce l’autorité de contrôle. Les personnes n’ont donc en réalité pas d’autre choix que de s’y soumettre.

« Un isolement qui ne dit pas son nom »

Sur place, les sentiments sont partagés. « J’ai quelques clients qui, soyons clairs, sont presque contents d’être en QER. Ce sont des conditions de détention beaucoup plus sereines : il n’y a pas de surpopulation, chacun a sa propre cellule. Et le personnel pénitentiaire est souvent nettement moins agressif avec eux », rapporte une avocate. Les agents de surveillance qui travaillent en QER sont généralement volontaires et sélectionnés. Pour des motifs sécuritaires, le taux d’encadrement est d’un surveillant pour chaque détenu : des conditions de travail exceptionnelles pour les agents. « Forcément, ils renvoient aux détenus leur mieuxêtre », analyse un autre avocat. Mais, si certains prisonniers apprécient les conditions de détention, pour d’autres, le passage en QER fait plutôt l’effet d’une douche froide, tant l’arsenal de mesures auxquels ils sont soumis est draconien (lire l’encadré). Un régime d’autant plus âpre que les relations humaines s’y font rares : « À part les trois détenus de notre groupe(7), on n’a aucun contact avec les autres, si ce n’est les discussions à la fenêtre, sans se voir physiquement », décrit Jérémy. Les personnes détenues reçoivent en outre rarement de visites : combinés aux mesures de sécurité, les temps de trajets(8) – qui paraissent d’autant plus longs que les parloirs sont brefs – dissuadent souvent les proches de venir. « Entre Strasbourg, où vit ma famille, et Osny, il y a 400 km. J’ai eu un ou deux parloirs en quatre mois », témoigne Youssef. Quant à Jérémy, en trois mois passés au QER, il n’a pas eu de parloir.

Le quotidien décrit par les personnes détenues en QER paraît finalement bien vide. Confinées dans un quartier isolé du reste de la détention, elles n’ont pas accès au travail et à la formation professionnelle, parfois pas même à la bibliothèque. Elles ne sont pas autorisées non plus à se rendre au culte. En dehors des promenades, d’une ou deux activités et séances de sport dans une cellule spécialement aménagée par semaine, c’est « cellule non-stop, à part quand il y a les entretiens », résume une personne passée par le QER de Vendin-le-Vieil. Plusieurs, détenues dans des QER différents, rapportent en outre à l’OIP que les horaires des activités, douches et promenades ne sont pas définies : « C’est quand ils décident, on est dans l’attente toute la journée. » Ils décrivent un quotidien sur lequel ils n’ont aucune prise, à tel point que l’un d’eux confiera au CGLPL avoir le sentiment de subir au QER « une garde à vue prolongée ». Au total, « même si le règlement intérieur précise que le placement au QER ne constitue pas une mesure d’isolement », le régime auquel sont soumises les personnes détenues en QER ressemble à s’y méprendre à un « isolement qui ne dit pas son nom », pour reprendre les mots du CGLPL.

Pour quelle évaluation ?

Au cœur de la prise en charge, l’évaluation n’occupe en réalité que deux mois sur les quatre(9) que dure le séjour en QER. Pendant environ huit semaines, les personnes détenues sont invitées à se soumettre à un nombre très variable d’entretiens selon les QER (en moyenne six entretiens à Osny, contre une quinzaine et Vendin-le-Vieil ou encore dix-huit à Fleury) avec de multiples interlocuteurs : psychologue et éducateur du binôme de soutien, conseillers d’insertion et de probation, personnels de surveillance et cadres de détention, directeur du SPIP et directeur de l’établissement sont en effet invités à croiser leurs regards sur la personne évaluée. Avec une très grosse limite : les professionnels ne disposent pas d’outil d’évaluation standardisé( 10) leur permettant d’objectiver leurs appréciations, et chacun fait donc « à sa sauce » . Le CGLPL dénonce des évaluations « dont la méthode est peu rigoureuse », réalisées par des « équipes peu stables et insuffisamment formées ». Les entretiens sont complétés par les notes des personnels de la détention : « Grâce aux écoutes téléphoniques ou à celles des conversations nocturnes de cellule à cellule, à l’observation des promenades, des parloirs, on peut apporter des éléments sur leur comportement au quotidien, leurs interactions avec les autres détenus, leurs relations avec l’extérieur », confie l’un d’eux. Dès leur arrivée, tous leurs faits et gestes sont donc épiés, leurs conversations écoutées, et le tout soigneusement répertorié pour être ensuite analysé. Au bout des deux mois, un rapport pluridisciplinaire est produit, à chaque acteur de l’évaluation sa partie. Après le rappel des faits à l’origine de l’incarcération et des éventuels antécédents judiciaires de la personne, y sont abordées ses relations familiales, conjugales et sociales et son parcours socio-professionnel. Une deuxième partie se concentre sur le parcours en détention (régime antérieur, activités, liens avec l’extérieur, suivi somatique et psychologique, etc.), avant de s’intéresser à « l’investissement de la personne durant la période d’observation ». La « personnalité » du détenu est ensuite analysée, ses « compétences cognitives et intellectuelles » soupesées. Après une « analyse du positionnement et de la réflexion sur le passage à l’acte » et une « évaluation des facteurs de risque et de protection de la radicalisation violente », un « plan d’intervention » faisant apparaître les préconisations des différents membres de l’équipe est présenté. Directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et chef d’établissement font ensuite la synthèse de ce rapport avant de définir, en conclusion, une ou plusieurs recommandations d’affectation censées guider la DAP dans sa décision finale. Mais les divergences d’interprétation entre binôme de soutien et conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) d’un côté, personnels de surveillance de l’autre – généralement davantage dans la défiance, soulignent les chercheurs Gilles Chantraine et David Scheer dans une enquête de 2018(11) – sont fréquentes dans certaines équipes. « Dans ces cas-là, on obtient rarement gain de cause : c’est toujours l’avis du pôle détention qui l’emporte », regrette Marie, conseillère d’insertion et de probation qui a exercé plusieurs années en QER. Un constat partagé par les chercheurs. « Au stade de la synthèse, un faux-positif vaux mieux qu’un faux-négatif », observent-ils, citant un directeur : « S’il arrivait quelque chose, on va ressortir la synthèse et on va dire : “Mais l’administration pénitentiaire a fait une mauvaise évaluation.” On ne peut pas parier sur la sécurité. »

Manque de transparence

Une fois terminées, difficile, pour les personnes évaluées, de prendre connaissance des synthèses les concernant. En théorie, le rapport d’évaluation est un document administratif et est donc communicable aux détenus. « En réalité, les consignes transmises par la DAP démontrent une forte réticence, qui confine à l’entrave, à communiquer ce document à la personne concernée », dénonce le CGLPL. Aussi, sur le terrain, « les modalités de restitution des évaluations varient considérablement d’un établissement à l’autre ». À Vendin, seules les conclusions sont lues à la personne, qui n’est pas autorisée à en conserver la copie. À Fleury, Steeven rapporte que seul le psychologue du binôme de soutien aurait pris la peine de lui en lire la partie qu’il avait rédigée. De nombreux avocats et détenus rapportent avoir dû passer par le juge pour en prendre connaissance. Certaines personnes ressortent du QER très satisfaites. « La prise en charge, intensive, m’a beaucoup aidé », confie ainsi Steeven. Comme cet autre client de Me Feltesse, qui, « complètement perdu », a trouvé au QER « des gens qui l’ont soutenu » et aidé à faire le point : « Ça lui a fait beaucoup de bien. Aujourd’hui, ce n’est plus la même personne, il est plus combatif », affirme son avocat. D’autres vivent au contraire très difficilement cette période d’évaluation, une grande partie d’entre eux se comparant à des « rats de laboratoire », rapporte le CGLPL. Youssef garde lui aussi de son passage en QER un goût amer : « En quoi consiste la prise en charge ? À vous faire comprendre que vous n’êtes pas comme les autres. Cela fonctionne, vous comprenez effectivement qu’il y a les autres, et vous. » Pour lui, le plus difficile à vivre a été « la catégorisation, la discrimination, l’humiliation, la privation non pas de ma liberté mais de ma famille ». Pour Jérémy, c’est le sentiment d’avoir perdu son temps qui domine, « car malgré le bilan disant non pour le QI, et oui pour le QPR ou à défaut la détention classique, je suis toujours au QI ». Une situation qui est apparemment loin d’être exceptionnelle, et qui donne aux personnes concernées le sentiment d’avoir été flouées.

Des recommandations pas toujours suivies d’effet

Des dires des personnels pénitentiaires et des personnes détenues interrogés, il arrive en effet fréquemment que les recommandations d’affectation finales ne soient pas suivies. Une tendance confirmée par le CGLPL lors de ses enquêtes sur place, qui cite notamment l’exemple d’une personne pour laquelle il était précisé qu’il était « indispensable de favoriser la rencontre de Monsieur avec des détenus de droit commun, et pas spécifiquement avec des personnes détenues radicalisées ou terroristes », et qui fut malgré tout affectée en QPR – un quartier précisément peuplé exclusivement de personnes « radicalisées ou terroristes » (lire page 30). Mais impossible de savoir dans quelle proportion les affectations finales sont, ou non, conformes aux préconisations issues des QER, l’administration n’étant apparemment pas capable de le mesurer. « Cela aurait pourtant permis de savoir quelle crédibilité l’administration pénitentiaire accorde aux instruments qu’elle met elle-même en place », souligne le CGLPL.

Pour les personnels investis dans l’évaluation, la pilule est dure à avaler. « J’étais très frustrée, car j’avais l’impression de ne servir à rien, confie Marie. Ils sont contents d’avoir les évaluations, de les photocopier, mais ils n’en tiennent pas toujours compte : tout le monde s’accorde pour préconiser une détention classique car on a repéré qu’un travail est possible, que le détenu n’est pas prosélyte ; on écrit explicitement que le type n’a rien à faire en QI… et il finit à l’isolement. On ne comprend pas ! Pourquoi les préconisations ne sont-elles pas suivies ? Un jour, on a osé poser la question, et voilà ce qu’on nous a répondu : “On a des sources de renseignement contraires.” Conclusion : le renseignement est prioritaire sur les évaluations en QER. »

Même lorsque l’administration centrale valide les préconisations du QER, il arrive que ce soient les chefs des établissements d’affectation qui s’affranchissent des recommandations et placent d’office à l’isolement les personnes étiquetées « TIS » : 5 % des personnes pour lesquelles l’évaluation faite en QER préconisait une orientation en détention ordinaire seraient finalement détenues au quartier d’isolement dans leur établissement d’accueil(12). « L’utilité des QER est très relative », conclut Jean-Louis, le cadre pénitentiaire.

Face à ces constats, certains professionnels travaillant en QER ne cachent pas leur aigreur. « Si les équipes voyaient du sens à leur action, elles pourraient continuer, mais là…, se désespère Jean-Louis. On peine à recruter et le turn-over est tel qu’on fonctionne la plupart du temps à moyens réduits. Au niveau central, on nous dit “non mais ce n’est pas grave, faites une évaluation peut-être moins poussée, du moment qu’ils passent en QER, c’est tout ce qui compte”. L’objectif, ce n’est pas l’évaluation, c’est l’abattage, le tampon à la sortie : si dehors ils se font exploser, la première chose que le politique va regarder, c’est comment ils ont été pris en charge en prison. Et on pourra au moins dire qu’ils ont été évalués. »

par Laure Anelli


Au QER comme au QPR, des détenus sous très haute sécurité
Les mesures de sécurité sont, en QER comme en QPR, draconiennes. Les infrastructures sont d’abord particulièrement sécuritaires : caillebotis à chaque fenêtre, passe-menottes dans chaque porte, mobilier fixé au sol, cours de promenade sous forme d’espaces exigus et emmurés, aux sols bétonnés et couvertes de plusieurs grilles métalliques, système de vidéo-surveillance couvrant l’intégralité des zones communes, promenade et salles d’activité comprises… Les effets personnels autorisés en cellule sont en outre drastiquement limités pour faciliter les fouilles approfondies – hebdomadaires en QPR – et les rotations de cellule. À ces limitations en nombre s’ajoutent de nombreuses interdictions, variables d’un QER ou QPR à l’autre*. Les opérations de contrôle des cellules, fenêtre et barreaudage sont au QPR quotidiennes. Les personnes détenues sont soumises à une fouille par palpations, à un contrôle au magnétomètre et/ou à un passage sous un portique de détection du métal à chaque sortie et retour en cellule : « même lorsqu’ils sortent d’un entretien avec le CPIP, le psychologue ou avec le directeur, les détenus sont palpés », précise un cadre pénitentiaire. Les promenades et les rares activités sont limitées à des groupes de cinq au maximum, dont la composition est en outre immuable lors du séjour au QER, et à l’inverse modifiée toutes les deux semaines au QPR. Pour chaque mouvement, le détenu est escorté par deux ou trois surveillants – voire cinq, rapportent des détenus –, dont la présence est parfois imposée jusque dans les espaces de soins : au QER de Vendin-le-Vieil, une note de service précise que, « à la demande des infirmières », « les consultations médicales dans la salle de soins de l’atrium seront assurées en présence de deux agents mouvements positionnés devant la porte de la salle qui restera repoussée » – c’est-à-dire, en pratique, « entrouverte », relève le CGLPL, qui dénonce une atteinte à la confidentialité des soins. L’usage des menottes lors des déplacements peut être autorisé par le chef d’établissement pour un temps limité. Les communications téléphoniques sont toutes enregistrées, les courriers lus et copiés. Les fouilles à nu sont systématiques avant et après chaque parloir – un régime exorbitant que l’administration justifie par les « faits à l’origine de l’incarcération », et dont la décision n’est pas notifiée et systématiquement renouvelée, dénonce le CGLPL. Au parloir, « une surveillance visuelle par un agent peut, lorsque les circonstances le justifient, être exercée en continu », au QER comme au QPR.
Sources : Direction de l’administration pénitentiaire, « Les quartiers de prise en charge de la radicalisation », octobre 2019 ; CGLPL, « Prise en charge pénitentiaire des personnes “radicalisées” et respect des droits fondamentaux », janvier 2020.
* À Vendin-le-Vieil par exemple, les détenus du QER ne peuvent cantiner d’aliments contenus dans des bocaux en verre, de cigarette électronique, de cafetière, d’épices, de coupe-ongles, de calculatrice ou encore de jeu de cartes – la liste n’est pas exhaustive.


(1) Un quatrième devrait ouvrir en décembre 2020.
(2) Tous les prénoms ont été modifiés.
(3) Toutes les citations du CGLPL sont extraites du rapport « Prise en charge pénitentiaire des personnes “radicalisées” et respect des droits fondamentaux », janvier 2020.
(4) La Direction de l’administration pénitentiaire prévoit que « le cadre d’intervention et les motifs légitimes d’inquiétude sont expliqués clairement au détenu ainsi que la mise en place du processus d’évaluation » et qu’une restitution de la CPU-radicalisation doit être réalisée « lors d’un entretien avec le chef d’établissement ou son représentant et un personnel du SPIP ».
(5) Commissions pluridisciplinaires uniques chargées d’étudier la situation des personnes détenues repérées comme susceptibles d’être radicalisées et de celles poursuivies ou condamnées pour des faits en lien avec le terrorisme.
(6) CGLPL, op.cit.
(7) Les promenades et activités sont limitées à des groupes de cinq détenus au maximum – le plus souvent trois ou quatre, d’après les remontées de terrain – dont la composition est immuable lors du séjour.
(8) Les QER étant en général excentrés, concentrés dans le nord et en région parisienne, et souvent mal desservis par les transports en commun.
(9) Sur les quatre mois au QER, un premier temps est consacré à l’arrivée et à la « mise en confiance », un second, plus important, à l’évaluation, un troisième à la rédaction de la synthèse pluridisciplinaire, un quatrième à la prise de décision de la DAP et enfin un dernier à l’organisation du transfert vers l’établissement ou le quartier d’affectation.
(10) Si certains professionnels disent avoir été formés à l’outil actuariel « Vera2 » et s’en emparer à des degrés variables, d’autres affirment ne disposer d’aucun outil.
(11) G. Chantraine (dir.), D. Scheer, M.-A. Depuiset, « Enquête sociologique sur les quartiers d’évaluation de la radicalisation dans les prisons françaises », avril 2018.
(12) CGLPL, op. cit.