Si la paupérisation touche toutes les personnes détenues, certaines connaissent des situations plus dramatiques que d’autres. Ainsi, près d’un quart des personnes incarcérées vivent avec moins de 50 € par mois, ce qui les place dans une situation d’extrême précarité, « aux confins de la pauvreté », comme le souligne le récent rapport d'Emmaüs-France et du Secours catholique. Des aides existent, mais elles ne permettent pas de vivre dans des conditions décentes.
En 2002, un rapport sénatorial estimait qu’il fallait 200 € mensuels pour vivre décemment en prison. Vingt ans plus tard, on estime à 20% la part de personnes détenues vivant avec moins de 50 € par mois(1) – et ce alors que les prix ont augmenté de 30%. Parmi elles, nombreuses sont les personnes étrangères qui, de manière générale, présentent « des facteurs de précarisation plus marqués » à l’entrée en détention, pointent Emmaüs-France et le Secours catholique dans leur récent rapport(2). Certes, un dispositif de soutien à ces personnes dites « indigentes » existe. Il prévoit l’octroi d’une aide financière de 20 € par mois, ainsi que des dons en nature (des kits d’hygiène(3) et de correspondance( 4) ainsi qu’un nécessaire pour la cellule(5) leur sont remis, et la télévision est gratuite). Mais en pratique, ces dons en nature sont très variables d’un établissement à l’autre. Surtout, la dotation de 20 € est loin d’être suffisante. « En tant qu’indigent vous avez 20 € : 4,50 € pour le frigo et la TV qui est gratuite [pour nous]. Si vous êtes fumeur, ce n’est pas possible de tenir avec 15,50 € dans le mois. En plus, si vous avez le malheur de recevoir un petit mandat de 50 €, sachez que les trois mois suivants vous n’aurez plus rien », témoigne une personne détenue dans le rapport. L’octroi de cette aide est en effet conditionné au fait de disposer de moins de 50 € de pécule sur son compte nominatif pendant deux mois consécutifs. Un versement exceptionnel de quelques dizaines d’euros pour les fêtes par exemple peut donc suffire à en faire perdre le bénéfice pour les mois suivants. « Plusieurs personnes expriment également leur incompréhension quant aux critères d’attribution ou de retrait de cette aide et évoquent parfois un sentiment d’arbitraire dans la décision », précise le rapport, certains se l’étant vu retirée pour des raisons de comportement, indépendantes de leur situation matérielle – à l’encontre de la réglementation en vigueur.
Des besoins primaires non satisfaits
Dans l’incapacité de cantiner, les plus pauvres doivent se contenter des repas distribués par l’Administration pénitentiaire( 6). « Nombre d’entre elles déplorent l’insuffisance des quantités ainsi que le manque de qualité des plats servis, ou témoignent de repas servis froids », rapportent Emmaüs-France et le Secours catholique. « Les repas sont vraiment dégueulasses, ils ne font pas attention à ce qu’on mange : [ça donne l’impression] d’une gamelle de chien », déplore une personne détenue. « Tu es incarcéré, en gros tu te la fermes et tu manges ce qu’on te donne sinon tu as faim. ‘‘Mange-toi une main et garde l’autre pour demain’’ m’a dit un surveillant car je m’étais plaint sur les quantités de nourriture distribuées par la prison », témoigne une autre.
Par ailleurs, si des vêtements sont parfois fournis aux personnes sans ressources, « ce système se révèle aléatoire », pointe aussi le rapport. L’enquête souligne qu’il n’est pas rare que les personnes aient à attendre plusieurs mois avant d’avoir accès à des vêtements. « Nombre de personnes ne sortent pas en promenade faute de vêtements chauds », observe un répondant. « Je n’ai pas d’habits, de vêtements, je suis toujours habillé pareil. J’ai eu des vêtements indigents : j’ai eu deux chaussettes, trois slips. Je trouve ça peu, pas assez », confie un autre. Certains évoquent aussi des habits « mal adaptés à la morphologie », « de mauvaise taille », « mauvaise pointure » ou « déchirés », « autant d’attributs renforçant la stigmatisation des plus précaires », soulignent les associations. Enfin, les kits étant souvent remis de façon aléatoire et insuffisants, l’accès à l’hygiène est, « tout autant que l’accès aux vêtements », « une difficulté majeure pour les personnes disposant de faibles ressources », complète le rapport.
La pauvreté « facteur de vulnérabilité » en détention
Si les plus précaires bénéficient souvent de la solidarité de leurs codétenus, ils sont aussi plus vulnérables en détention. « Il faudrait une [aide] bien supérieure à 20 € par mois. Les indigents ramassent les mégots, font la manche pour fumer, ou se prennent des “crédits” avec d’autres détenus et comme ils ne peuvent pas les rembourser, ils ne sortent plus de leur cellule pour ne pas rencontrer les “créanciers” et ne pas se faire casser la gueule ! » Comme le souligne cette personne, la pauvreté économique « favorise la mise en place d’une économie souterraine (prêts entre détenus, rackets, trafics, etc.) et est génératrice de tensions et violences en détention », analyse le rapport. Les personnes sans ressources peuvent ainsi rapidement se retrouver dans des situations de prédation. Un détenu évoque le cas, fréquent, de personnes acceptant de cacher un « téléphone qui [ne leur] appartient pas en échange d’une boîte de Ricoré, de deux paquets de cigarettes, contre des biens de consommation primaires… ». Ainsi se retrouvent-ils fréquemment sanctionnés pour la détention d’objets illicites qui ne leur appartiennent pas.
Un isolement renforcé
Les personnes les plus démunies sont souvent aussi les plus isolées en prison. Les coûts des forfaits téléphoniques, qui démarrent à 10 € pour une heure d’appel vers des portables (2h10 vers des fixes), représentent en effet une « charge insurmontable pour les personnes disposant de très faibles ressources et celles souhaitant appeler à l’étranger », souligne le rapport. Aussi, Emmaüs-France et le Secours catholique observent « que les personnes qui n’ont aucun contact téléphonique sont majoritairement sans ressources ». Et « lorsqu’elles entretiennent des contacts avec l’extérieur, les personnes bénéficiant de l’aide indigence ou ne disposant d’aucune ressource déclarent majoritairement des contacts très espacés (en moyenne une fois par mois) ». L’absence de ressources est ainsi un obstacle majeur au maintien des liens.
Parce qu’elles ne peuvent compter sur aucun soutien à l’extérieur et « alors même qu’elles cumulent des handicaps fragilisant considérablement leur insertion à la sortie de prison et que leurs besoins en termes d’accompagnement à l’insertion sont les plus importants », les personnes sans ressources sont « celles qui ont le moins de chances de bénéficier d’actions visant leur retour progressif à l’extérieur et sont le plus susceptibles d’effectuer l’intégralité de leur peine », pointe enfin le rapport.
Parmi les mesures préconisées par Emmaüs-France et le Secours catholique pour tenter d’éclaircir ce bien sombre tableau figurent la diminution du prix du téléphone et la garantie d’une « dotation minimale afin que les plus démunis puissent communiquer avec leurs proches ». Quant à l’aide mensuelle versée aux indigents, les associations recommandent qu’elle soit portée à 50 €. Une demande partiellement entendue par les autorités : le budget prévisionnel pour l’administration pénitentiaire du projet de loi de finance 2022 prévoit ainsi la revalorisation de cette aide de 20 à 30 euros mensuels, et le relèvement du seuil de revenu y ouvrant droit de 50 à 60 euros par mois. De nouvelles mesures qui « ne sont pas effectives, supposent au préalable des arbitrages, et n’entreront en vigueur que lorsque la circulaire sera signée et diffusée », tenait toutefois à tempérer la Direction de l’administration pénitentiaire début décembre.
Par Laure Anelli
(1) Budget général – Projet annuel de performance de l’administration pénitentiaire, Annexe au projet de loi de finances 2022.
(2) « Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison », rapport publié par Emmaüs-France et le Secours catholique, octobre 2021.
(3) Comprenant brosse à dents, dentifrice, savon, etc.
(4) Comprenant papier, timbres, enveloppes.
(5) Draps, torchon, etc.
(6) Dont la préparation est le plus souvent confiée à des sociétés prestataires comme Eurest ou Sodexo.