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Baumettes : à l’assaut de l’indignité

Des conditions de détention « sans doutes inhumaines, sûrement dégradantes ». Il aura fallu un coup de semonce du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, un emballement médiatique, puis l’intervention du juge administratif saisi par l’OIP, pour que des mesures d’urgence soient enfin prises dans la prison marseillaise. Visant à mettre aux normes les installations électriques, dératiser, assurer le ramassage des détritus, cloisonner les w.-c.... Les travaux engagés apparaissent aussi indispensables qu’insuffisants, alors que tout autre établissement public ne respectant pas les normes d’hygiène et de sécurité aurait été fermé.

C’est par « le combat contre la prolifération des rats (1 )» qu’ont enfin démarré les opérations de réhabilitation du centre pénitentiaire des Baumettes : « interventions intensifiées (2 )» d’une société spécialisée dans la lutte contre les rongeurs, et affectation de trente personnes détenues supplémentaires au « service général » pour contribuer au nettoyage et à la désinfection. Un programme de rénovation des cellules les plus vétustes est enclenché, comprenant la réfection des sanitaires (avec pose de « cloisons d’intimité »), des travaux d’électricité, de peinture et de plomberie, la pose de nouveaux châssis de fenêtre et une désinfection totale. Au passage, l’occasion est saisie de poser des caillebotis aux fenêtres, mesure privilégiée par l’administration pour lutter contre les jets de détritus, avec pour conséquence d’assombrir encore un peu plus les cellules. Six personnels qualifiés recrutés en décembre 2012 s’ajoutent aux six contractuels techniques déjà présents dans l’établissement. Dans ces conditions, assure le directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP), il faudra dix mois pour rénover 200 cellules, à raison d’une par jour en moyenne. Le quartier homme en comprend 973.

Coup de semonce

A l’origine de cette vaste opération, le choc suscité par les révélations largement médiatisées du Contrôleur général et la publication des photos prises durant la mission des vingt-deux contrôleurs du 8 au 19 octobre 2012. L’état d’insalubrité et de délabrement de la prison décide le Contrôleur à mettre en œuvre, pour la seconde fois depuis sa création, la procédure d’urgence réservée aux situations où il constate une violation grave des droits fondamentaux. Saisissant la garde des sceaux, il l’enjoint de prendre des mesures significatives destinées à mettre un terme à ce qu’il qualifie de « traitement inhumain et dégradant ». Le Contrôleur donne à voir des « conditions d’existence misérables » : cellules ravagées par l’humidité, dont les « équipements électriques, totalement défaillants, exposent les personnes détenues à des dangers manifestes d’électrisation, voire d’électrocution ; carreaux de fenêtre cassés, dont les bouts de verre se trouvent encore dans le châssis; chariots de repas entreposés à côtés de poubelles débordant de détritus, plateaux repas déposés à même le sol, présence d’immondices partout dans les locaux… » Le Contrôleur relève que « depuis deux ans, les rats pullulent (on en voit même dans la journée), et s’ajoutent aux autres nuisibles », les surveillants étant réduits à faire « leur ronde de nuit en tapant des pieds pour les éloigner ». et de conclure : « L’insalubrité et l’absence d’hygiène sont consubstantielles à la plus grande partie de l’établissement. »

« L’épée du droit »

« Compte tenu de l’intention clairement affichée des autorités publiques de ne pas adopter de réaction immédiate et concrète aux recommandations formulées », des actions en justice sont initiées par l’OIP, en collaboration avec le Barreau de Marseille, le syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux et le syndicat de la magistrature. Il s’agit de contraindre l’administration à prendre en urgence les mesures indispensables à la protection des personnes. « Si l’État est paresseux, si rien ne le mobilise, même pas la manifestation ostensible de sa nullité, on va le prendre à la gorge, on va agir à sa place. On va lui mettre l’épée du droit dans les reins », commente l’avocat général Philippe Bilger sur son blog le 25 décembre 2012.

C’est ainsi que le tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire, le 14 décembre, de faire en sorte que chaque cellule « dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement ». Il exige de « faire procéder à l’enlèvement de détritus » dans les cellules et les parties communes, et ordonne d’autres mesures relevant de l’hygiène ordinaire. Le 22 décembre 2012, le Conseil d’État, saisi en appel de cette décision, impose une « opération d’envergure » de dératisation et de désinsectisation de la prison dans un délai de dix jours. La juridiction relève que « la carence de l’Administration dans l’entretien de la prison avait porté une atteinte grave et manifestement illégale » aux libertés fondamentales des détenus. Le 10 janvier 2013, le tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire de procéder, cette fois sous trois mois, à des travaux en matière d’étanchéité de l’un des bâtiments, à l’installation de « cloisons d’intimité » permettant de séparer les toilettes dans 161 cellules, à la mise en conformité des installations électriques et à la remise en état des monte-charges dévolus aux transports des déchets. Une véritable mise sous tutelle de l’administration par les juges, qui se refusent néanmoins à accéder à la principale demande formulée par l’OIP, à savoir la fermeture des bâtiments les plus délabrés (A, B et D) dans l’attente de leur rénovation. Et rechignent ainsi à combler le fossé séparant un établissement pénitentiaire de n’importe quel autre établissement public, dont la fermeture serait imposée devant un tel non-respect des normes d’hygiène et de sécurité.

Vingt ans d’abandon et d’investissements inutiles

Lorsque le ministère de la Justice affirme dans sa réponse au Contrôleur général que depuis dix ans, l’État « a investi quelque 7,9 millions d’euros pour le maintien en condition opérationnelle de l’établissement », Jean-Marie Delarue rétorque que les mesures prises au fil des ans n’ont apporté «aucune amélioration substantielle». L’utilisation du budget destiné à l’entretien et à la maintenance de l’établissement, accru, selon le ministère, de 12 % entre 2011 et 2012 pour atteindre 572 000,00 euros, ne manque pas de susciter des interrogations. d’autant que les données recueillies par le Contrôleur dressent un tout autre tableau : diminution de 26 % en deux ans des « crédits de maintenance courante », de 58 % de la somme inscrite au titre de « l’hygiène et propreté des détenus », ou encore de 36,7 % pour la ligne « fournitures et travaux ».

En vingt ans, les alertes n’ont pourtant pas manqué. Le Comité européen de prévention de la torture (CPT) notait déjà en 1991 que « l’état général des cellules et de leur équipement était d’une vétusté avancée » et que les conditions de détention dans cette prison relevaient du « traitement inhumain et dégradant ». en septembre 2005, le commissaire européen aux droits de l’homme se disait particulièrement « choqué des conditions de vie observées aux Baumettes », ajoutant que « le maintien de détenus en leur sein [lui] parai [ssait] être à la limite de l’acceptable et à la limite de la dignité humaine ». suite à une visite en novembre et décembre 2008, l’Agence régionale sanitaire (ARS) Provence-Alpes-Côte-d’Azur s’alarmait, elle aussi, des conditions de vie dans l’établissement. Tout comme la sous-commission départementale pour la sécurité, qui demandait en avril 2011 la fermeture des locaux compte tenu de la dégradation des systèmes électriques et des risques d’incendie qui en résultent. sans résultat. 

La tentation de l’inertie

Le ministère de la Justice s’apprêtait à persister dans son inertie, au vu de la réponse faite le 4 décembre 2012 au rapport du Contrôleur. Une réponse qui se contente de rappeler un projet de restructuration du centre pénitentiaire, déjà annoncé depuis plusieurs années et dont l’achèvement était programmé pour 2017. Et Jean-Marie Delarue d’afficher son scepticisme : « Les travaux actuellement projetés conduiront à démolir […] la partie la moins dégradée de ce vaste ensemble (le centre pénitentiaire des femmes). Cette opération ne peut prendre sens que si elle est jumelée avec la rénovation (ou la reconstruction, plus onéreuse) du bâtiment (la maison d’arrêt des hommes). Toute autre solution ne changera pas les conditions de vie inacceptables qui existent aujourd’hui et dont la plupart des interlocuteurs du contrôle général ont souligné les graves conséquences. »

Le 8 janvier 2013, Christiane Taubira se rend aux Baumettes, prison « emblématique du manque de volonté politique trop longtemps subi par l’institution », pour présenter sa politique pénitentiaire. Pour désengorger la maison d’arrêt et accueillir les personnes détenues « dans de meilleures conditions », elle invoque sa circulaire du 19 septembre 2012, dont elle escompte « une baisse des effectifs dans les établissements pénitentiaires ». Les effets attendus ne sont pas au rendez-vous : la maison d’arrêt marseillaise affiche 138% d’occupation au 1er novembre 2012 – soit le même taux qu’en septembre, octobre ayant vu le taux grimper à 140 %. Les opérations de « désencombrement » ont permis de le ramener à 127 % au mois de janvier, au détriment d’autres établissements de la région: le quartier maison d’arrêt d’Aix-Luynes est passé de 136% à 144% d’occupation entre novembre 2012 et janvier 2013. dans une véritable économie de la pénurie – de budget, de travail, d’activités –, la surpopulation des Baumettes rime avec violences et caïdat, avait également souligné le Contrôleur. « Le moindre bien (éventuellement le comportement) s’achète et se vend ». Un marché générant « des créances et des dettes, des injonctions de payer, des rackets, des menaces. L’agression sanctionne celui qui ne veut ou ne peut plus payer ». Des personnes « n’osent plus sortir de leur cellule, même pour la douche, pour la promenade ou pour accéder aux soins ». Des phénomènes face auxquels la garde des sceaux se contente d’appeler les parquets à la plus grande fermeté « pour identifier et traduire en justice les auteurs de tels faits » – s’attaquant aux symptômes et non aux causes. Lors des débats sur le projet de loi pénitentiaire en 2009, la députée Christiane Taubira avait tenu un tout autre discours : « On ne peut pas se prévaloir des turpitudes de l’État, qui n’a toujours pas su mettre fin à la surpopulation carcérale, pour justifier que l’on aille crescendo dans la répression d’attitudes qui sont générées par le confinement, par la réduction de l’espace vital, par les conditions de vie extrême- ment pénibles des détenus.(3) »

Une vigilance maintenue

Pour veiller à l’exécution des décisions de justice et à la mise en œuvre de ses recommandations, Jean-Marie Delarue annonce déjà une « contre-visite » des Baumettes en 2013. Six députés, conduits par Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, entendent également veiller au grain. Si « la dératisation et le nettoyage ont été engagés, les crédits de maintenance stabilisés », reconnaît le député, « l’objectif final est encore loin (4 )».

Un scepticisme partagé par le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), pour lequel « dix jours de dératisation ne suffiront pas pour apporter une vraie amélioration ». « L’Assemblée est solidaire des actions de l’OIP », poursuit-il, se disant « soulagé que l’on sorte enfin de ce statu quo insupportable et de l’immobilisme qui planaient sur la prison des Baumettes. » Mais aussi profondément choqué d’« imaginer qu’à la veille de l’année 2013 l’on doit prendre des mesures d’urgence et d’envergure de dératisation et de désinsectisation dans un établissement pénitentiaire en France (5) ».

« Si j’étais l’État, j’aurais honte », conclut Philippe Bilger.

Barbara Liaras

(1) Courrier du directeur interrégional des services pénitentiaires au député Jean-Jacques Urvoas, 21 février 2013.

(2) Ibid.

(3) Assemblée nationale, séance du 17 septembre 2009.

(4) Marsactu, 9 janvier 2013.

(5) Jean-Claude Mignon, communiqué de presse, 23 décembre 2012.