Le projet de loi de finances pour 2022 a été adopté mi décembre. Une fois de plus, les priorités budgétaires sont aux antipodes des véritables besoins en matière pénitentiaire et traduisent une orientation stratégique où la prison reste, encore et toujours, la peine de référence.
Début décembre, le Parlement a adopté le projet de loi de finances pour 2022. Ce faisant, le législateur a validé les crédits alloués par l’exécutif aux différentes missions ministérielles et programmes qui les composent. Parmi eux, le programme « Administration pénitentiaire ». Son budget général et ses projets annuels de performances pour l’année à venir sont présentés dans un document chiffré peu attrayant et pourtant essentiel(1), tant il reflète les orientations gouvernementales et conditionne les politiques pénales et pénitentiaires. Et l’heure n’est pas au changement. Les lignes budgétaires reprennent un refrain désormais bien connu, qui pourtant sonne faux : « la solution, c’est la construction de nouvelles prisons ».
Près d’un milliard d’euros d’investissements immobiliers sont prévus. Ils viennent s’ajouter à la dette immobilière – échelonnée sur près de trente ans – qui avoisine déjà à ce jour les 5 milliards d’euros(2). Entre l’accroissement du parc carcéral et le remboursement de la dette, la construction concentre au total près d’un tiers du budget de l’administration pénitentiaire pour 2022, hors dépenses de personnel. Officiellement, il s’agit de construire de nouvelles places de prison « non pour incarcérer davantage […] mais pour incarcérer dans des conditions qui soient enfin dignes », « résorber la surpopulation […] et atteindre l’objectif d’un taux de 80 % d’encellulement individuel »(3). Un discours en totale contradiction avec les prévisions du gouvernement : 80 000 personnes détenues à l’horizon 2027(4), soit 15 000 de plus en six ans… pour 15 000 places supplémentaires de prison. Cette projection a au moins le mérite d’être réaliste puisque, depuis trente ans, le constat est le même : l’extension du parc carcéral n’a d’autre effet que d’absorber l’augmentation du nombre de prisonniers. Une constance qui se reflète dans les indicateurs de performance anticipés par l’administration pénitentiaire : le taux d’occupation des maisons d’arrêt prévu pour 2022 est, avec 129 %, identique à celui de 2021, et monte même à 131 % en 2023(5).
En renouvelant un budget largement consacré à la construction, gouvernement et parlement éludent la cause du problème – l’inflation carcérale – et grèvent tous les postes budgétaires qui permettraient d’y répondre.
Les alternatives à la prison condamnées à ne pas évoluer
Le montant alloué pour 2022 aux alternatives à la prison, qui stagne à moins de 40 millions d’euros, illustre à lui seul ce constat. Il reflète le manque criant d’ambition de la loi de programmation pour la Justice (LPJ) dont le volet relatif à la peine, entré en vigueur en mars 2020, était censé réduire le recours aux courtes peines de prison au profit de peines ou mesures plus adaptées. Les prévisions mises en avant dans le budget 2022 montrent d’ailleurs que le ministère ne croit pas lui-même en la portée de cette réforme : il prévoit en effet que la part des personnes exécutant des peines de prison de moins de six mois s’élèvera en 2022 à 21% des détenus condamnés. En augmentation donc par rapport à 2020.
La seule augmentation budgétaire en faveur des alternatives, qui concerne le placement extérieur, est dérisoire. De 300 000 euros, elle correspond en pratique à l’ouverture de 26 places supplémentaires(6).
Le renforcement des moyens humains – avec l’ouverture de 170 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation(7) – reste quant à lui insuffisant pour combler le déficit actuel, et donc a fortiori pour favoriser la mise en œuvre effective du volet relatif à la peine de la LPJ.
Toujours pas de dignité au programme pour 2022
Ce budget « tout carcéral » ne permettra pas non plus d’améliorer les conditions matérielles de détention. De fait, contrairement au discours porté par la majorité, les montants dédiés aux investissements immobiliers ne couvrent pas la rénovation de bâtiments insalubres, et la construction se fait au détriment de l’entretien du parc carcéral. Pour 2022, seuls 80 millions d’euros sont consacrés à l’entretien dit « lourd ». Une somme dramatiquement faible face à l’ampleur des travaux à réaliser. Selon les estimations des pouvoirs publics – par ailleurs probablement sous-évaluées –, environ 270 millions d’euros seraient nécessaires aux travaux de rénovation de la seule prison de Fresnes(8), plusieurs fois épinglée pour ses conditions de détention indignes. Le rapporteur pour avis de la commission des lois à l’Assemblée nationale, Bruno Questel, a bien noté cette insuffisance dans son rapport : « La vétusté est telle qu[e les établissements] ne peuvent être rénovés grâce aux seuls crédits d’entretien et de maintenance. » Sans qu’aucune conséquence ne soit tirée de ce constat. Il n’est pourtant pas nouveau. Déjà en 2016, Jean-Jacques Urvoas, alors ministre de la Justice, parlait de « sous-investissement immobilier chronique » en matière de maintien en condition opérationnelle et de rénovation(9). En 2017, plus d’un tiers des cellules étaient considérées comme vétustes(10).
En renouvelant un budget largement consacré à la construction, gouvernement et parlement éludent la cause du problème – l’inflation carcérale – et grèvent tous les postes budgétaires qui permettraient d’y répondre.
Au-delà des conditions matérielles de détention, la lutte contre l’indignité passe aussi par les conditions d’exécution de la peine. C’est en ce sens que la Cour européenne des droits de l’Homme a enjoint à la France de revoir sa manière de calculer la capacité opérationnelle de ses prisons, pour « tenir compte du fait que l’espace et les mètres carrés ne sont pas les seuls facteurs pertinents pour évaluer les situations de surpeuplement »(11) : doit également être prise en compte l’adéquation des conditions carcérales avec l’objectif de (ré-)insertion, via des critères tels que l’offre d’activité, de travail et de formation, ou l’accompagnement par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. À rebours de cette recommandation, le budget dévolu à la prévention de la récidive et à la réinsertion reste rudimentaire. D’environ 90 millions d’euros, il est dix fois inférieur aux crédits alloués aux nouveaux investissements immobiliers. L’augmentation – indispensable – de l’enveloppe destinée à la lutte contre la pauvreté aurait signé au moins une avancée encourageante si elle ne s’était pas limitée à tenter « d’atténuer les effets de la très grande pauvreté », elle-même croissante. Pour être effective, cette mesure doit du reste encore être confirmée par voie de circulaire.
Le sécuritaire, le grand gagnant
S’il est un sujet pour lequel le gouvernement se donne les moyens de ses ambitions, c’est celui de la sécurisation des établissements pénitentiaires. En un an, il prévoit de multiplier par 2,5 ce budget, le portant de 60 à 145 millions d’euros. C’est l’augmentation la plus saisissante pour 2022, qui en fait le deuxième poste de dépenses le plus important. Et à cette somme, il faut encore ajouter – entre autres – pas moins de 22 millions affectés au service national du renseignement pénitentiaire et à la réalisation d’un centre sécuritaire. Le gouvernement livre ainsi un plan budgétaire qui s’intègre parfaitement dans un contexte pré-électoral où le sécuritaire est aux premières lignes d’une course aux propositions toujours plus démagogiques. Mais qui, ce faisant, ignore sciemment les nombreux travaux de recherche(12) mettant en évidence le fait que ce renforcement sécuritaire est au contraire un facteur d’accroissement des tensions en prison. Il s’inscrit d’ailleurs à rebours des recommandations du Conseil de l’Europe, qui promeut depuis une vingtaine d’années une approche de la sécurité dite « dynamique », basée notamment sur le relationnel plutôt que sur le renforcement des dispositifs coercitifs(13).
Aux antipodes d’un nécessaire changement de paradigme
« Les conditions de détention sont indignes, dont acte – nous savons que des détenus dorment par terre ; nous construisons donc des prisons modernes… et l’on nous juge répressifs parce que, la nature judiciaire ayant horreur du vide, ces prisons devraient être rapidement remplies. Que ceux qui raisonnent ainsi et qui ont une solution m’en informent ! »(14), a déclaré le garde des Sceaux lors des débats à l’Assemblée nationale. Les solutions sont pourtant là, largement documentées tant par les institutions européennes que les organisations et associations du monde prison-justice. Elles réclament un changement de paradigme qui passe nécessairement par une réorientation des priorités budgétaires pour s’attaquer, enfin, aux causes de la surpopulation et donner à la prison la place qu’elle est censée occuper dans notre cadre juridique : une peine de dernier recours.
D’autres pays européens ont fermé des prisons. La France a elle-même atteint un taux d’occupation des prisons de moins de 100% lors de la crise sanitaire au printemps 2020. Les outils ont été maintes fois portés à l’attention du gouvernement : mécanisme contraignant de régulation carcérale sur le court terme, politique de réductionnisme pénal sur le long terme. Mais le budget prévisionnel pour 2022 échoue, une nouvelle fois, à permettre l’émergence d’une nouvelle culture pénale qui pense la peine de manière déconnectée de la prison. Et ce n’est pas une fatalité. C’est un choix politique.
Par Prune Missoffe
(1) Budget général du ministère de la Justice – Projet annuel de performances du programme 107 « Administration pénitentiaire », Annexe au projet de loi de finances pour 2022.
(2) Somme du remboursement des loyers dus au titre des contrats de partenariat (1,3 milliards d’euros) et des crédits relatifs aux opérations immobilières lancées avant le 31 décembre 2020 (3,5 milliards d’euros).
(3) Éric Dupond- Moretti, le 25 octobre 2021 à l’Assemblée nationale.
(4) « Jean Castex s’engage sur les 15 000 places de prison supplémentaires », Le Monde, 19 avril 2021.
(5) Annexe au projet de loi de finances pour 2022 (voir supra).
(6) Une place à l’extérieur coûte 11 432 €/an pour les services pénitentiaires : IGSJ – IGAS – IGF, Rapport sur l’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire, 2016.
(7) Parmi les 250 ouvertures de postes au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Source : CGT Insertion Probation, « Actualités dans les SPIP – Répartition 1500 emplois, déploiement du RPO 1 », 3 mai 2019.
(8) « Val-de-Marne : 270 millions pour rénover la prison de Fresnes », Le Parisien, 28 juin 2018.
(9) En finir avec la surpopulation carcérale. Rapport au Parlement sur l’encellulement individuel, remis le 20 septembre 2016.
(10) Avis n°114 (2017-2018) sur le budget de l’administration pénitentiaire, Alain Marc pour la Commission des lois du Sénat.
(11) CEDH, JMB c. France, 30 janvier 2020.
(12) Notamment A. Chauvenet, F. Orlic, C. Rostaing, La violence carcérale en question, Puf, 2008.
(13) Conseil de l’Europe, Recommandation R(2003)23. Voir aussi : commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n°49, 2006.
(14) Audition d’Éric Dupond-Moretti, Commission des lois, Assemblée nationale, 13 octobre 2021.