Le budget de l’administration pénitentiaire pour 2023 a été adopté par le Parlement le 17 décembre. Sans surprise, et malgré l’impasse à laquelle elles mènent, les orientations politiques qu’il traduit sont les mêmes que les années précédentes : construction et sécurisation avant tout.
Comme chaque fin d’année, la loi de finances, qui fixe et chiffre les orientations politiques des différentes missions ministérielles, a été votée par le Parlement. Côté administration pénitentiaire – et hors dépenses liées au personnel[1] –, l’extension du parc carcéral et la sécurité des établissements et du personnel de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires.
Ainsi, avec plus de 680 millions d’euros, la construction de places de prison rafle une nouvelle fois la mise. D’ici 2027, le gouvernement en prévoit en effet 15 000 supplémentaires. Un projet dont le coût total est pharamineux : lors de son audition à l’Assemblée nationale, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, l’estimait à 4,5 milliards d’euros[2]. Or cette politique, menée depuis plusieurs dizaines d’années, est sans effet sur la surpopulation carcérale. Car, en parallèle, le nombre de personnes détenues ne cesse d’augmenter, et ce en raison d’une répression accrue : « Les chiffres démontrent à l’évidence, sans aucune ambiguïté possible, que la justice est plus sévère aujourd’hui qu’auparavant », affirmait le ministre quelques jours plus tard devant le Sénat[3].
En comparaison du budget consacré à l’immobilier, les 80 millions d’euros fléchés vers la rénovation des prisons existantes font pâle figure. Les besoins sont pourtant immenses. Selon le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, 500 millions d’euros seraient nécessaires uniquement pour les travaux de réhabilitation de la prison de Fresnes[4].
Une politique de (ré)insertion qui reste marginale
De même, les 120 millions d’euros prévus pour la prévention de la récidive et la (ré)insertion sont bien insuffisants. Ils sont en effet supposés couvrir les besoins de l’ensemble des personnes placées sous main de justice dont l’administration pénitentiaire a la charge – plus de 260 000 personnes, parmi lesquelles plus de 72 000 sont détenues[5]. Si cette enveloppe enregistre une hausse de 13% par rapport à l’année passée, l’augmentation de près de 7% du nombre de personnes concernées sur la période appelle à la relativiser.
Elle demeure par ailleurs bien trop faible pour compenser les dramatiques carences en matière d’accompagnement et d’activités proposées aux personnes détenues. Dans les maisons d’arrêt surpeuplées, la plupart d’entre elles passent en effet vingt-deux heures sur vingt-quatre enfermées en cellule, à attendre l’heure de la promenade. D’après les dernières données disponibles, les détenus bénéficient en moyenne de 3h40 d’activités par jour en semaine, 24 minutes le week-end, toutes activités confondues[6]. Une réalité encore bien éloignée des préconisations internationales : selon le Conseil de l’Europe, ils devraient pouvoir accéder à des activités hors de cellule au moins huit heures par jour[7]. En outre, le travail en prison absorbe plus de la moitié de ces crédits, pour des résultats très limités, à en croire les projections : le gouvernement mise sur un taux d’emploi de 35% pour l’année à venir, contre 33,5% en 2022.
Les associations proposant des activités culturelles et sportives aux personnes détenues subissent quant à elles une perte de 2,7 millions d’euros de subventions. Selon l’administration pénitentiaire, celle-ci serait compensée à hauteur de 2 millions d’euros par le financement « à l’acte » d’activités organisées en détention[8]. Mais outre que ce modèle financier est instable et pleinement dépendant de la commande de l’administration, cette projection n’apparaît pas dans le budget consacré aux actions de réinsertion, qui reste strictement inchangé par rapport à 2022.
En termes de moyens humains, le gouvernement semble considérer que les recrutements menés entre 2018 et 2022 ont eu raison du déficit de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Ils auraient ainsi permis, selon le ministre de la Justice, « de réduire le nombre de dossiers suivis par agent […] de 80 à 71 en moyenne »[9]. Les remontées des professionnels de terrain sont pourtant bien différentes et décrivent un manque de moyens encore criant. En pratique, ces derniers sont en effet souvent concentrés sur des quartiers spécifiques, comme les structures d’accompagnement à la sortie ou les quartiers arrivants, au détriment des personnes détenues dans les quartiers de détention classique, de loin majoritaires. Si bien qu’à la prison de Bordeaux-Gradignan par exemple, la CGT Insertion et Probation évoque un ratio d’un conseiller pour 117 personnes en détention ordinaire[10]. Dans ces conditions, il n’est pas rare qu’une personne sorte de prison sans avoir pu ne serait-ce que rencontrer un conseiller.
À l’extérieur de la prison, la surveillance électronique toujours au premier plan
Avec environ 50 millions d’euros, aménagements de peine et alternatives à la prison restent les grands perdants des arbitrages budgétaires, malgré une hausse de 13,6 millions d’euros. Si cette dernière permet notamment l’augmentation de 10 euros du prix de journée pour les structures d’hébergement accueillant des personnes en placement à l’extérieur, aucun financement n’est prévu pour renforcer et déployer cette mesure, qui ne concernait, au 1er septembre 2022, que 936 personnes[11].
Plus largement, les trois quarts des crédits alloués aux alternatives sont consacrés aux mesures de surveillance électronique. Le bracelet anti-rapprochement (BAR) capitalise la plus forte hausse de ce poste de dépense (+ 145%). Et avec 1,2 million d’euros supplémentaires pour les autres mesures de surveillance électronique, le gouvernement espère atteindre une capacité opérationnelle de 21 000 dispositifs actifs en 2023, contre 14 700 au 1er juillet 2022.
Cette répartition vient confirmer la place de choix que le gouvernement confère à la surveillance électronique, au détriment des autres peines et mesures d’aménagement en milieu ouvert. Une politique contestable puisqu’elle privilégie le contrôle à l’accompagnement, et dont la pertinence interroge sérieusement[12] : l’augmentation de la surveillance électronique n’empêche pas celle de la population carcérale, et traduit avant tout une expansion du nombre de personnes placées sous le contrôle de la justice, ce alors même que la criminalité reste globalement stable.
Par Prune Missoffe
[1] Environ 60% du budget de l’administration pénitentiaire.
[2] Commission des lois de l’Assemblée nationale, 25 octobre 2022.
[3] Commissions des lois du Sénat, 7 novembre 2022.
[4] Déclaration de Stéphane Scotto lors de la visite de l’établissement par une délégation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme le 2 mars 2022.
[5] Ministère de la Justice, Statistiques trimestrielles de milieu ouvert et de milieu fermé au 30 juin 2022.
[6] Enquête flash de l’administration pénitentiaire (2016), dans Le livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, 4 avril 2017.
[7] Comité européen pour la prévention de la torture, 2e Rapport général, CPT/Inf (92) 3 pour 1991, § 47.
[8] Avis n°341 sur le budget de l’administration pénitentiaire pour 2023, Éric Poulliat pour la Commission des lois de l’Assemblée nationale.
[9] Commission des lois du Sénat, 7 novembre 2022.
[10] Tract syndical, « Antenne de Gradignan, Ici tout va bien ! », 20 octobre 2022, bureau local CGT-IP du SPIP 33.
[11] Avis n°341, supranote n°8.
[12] Voir «Bracelet électronique : le remède aux maux de la prison ? », Dedans Dehors n°111, juin 2021.