Présents en nombre en prison, des mineurs non accompagnés sont détenus avec des adultes. Dans un climat de suspicion grandissant, leur minorité est contestée depuis leur prise en charge jusqu'à leur incarcération, au détriment de leur protection.
Adama (1) est incarcéré à la maison d’arrêt pour hommes de Paris-La Santé depuis février 2021. À l’instar de nombreux jeunes migrants en prison, il a commis un délit de « survie » motivé par sa situation de grande précarité et d’isolement. Il n’a que 16 ans, mais comme beaucoup de mineurs non accompagnés (MNA), il peine à faire reconnaître sa minorité : avant son passage devant le tribunal correctionnel, il a été estimé majeur sur la base d’un test osseux, malgré la copie de son acte de naissance qui l’indique né en 2005. Comble de l’absurdité : c’est avec cette même date de naissance qu’il a été enregistré par le greffe de l’établissement pénitentiaire. Dès les premières semaines de son incarcération, la direction de la prison est alertée sur la situation d’Adama par sa conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) et les juristes du point d’accès au droit (Pad).
« Au début, c’était très difficile, il pleurait tout le temps. La cheffe de bâtiment l’avait mis avec un codétenu avec lequel il n’y avait pas une grande différence d’âge, pour que la détention se passe au mieux », raconte Julie Guillot, coordinatrice du Pad de Paris-La Santé. Sur les conseils de son avocate, Adama décide de faire appel de sa condamnation en soulevant l’incompétence du juge, afin d’être reconnu comme mineur et jugé comme tel. Dans l’attente de ce nouveau jugement, les professionnels qui entourent Adama, toujours en détention chez les majeurs, entreprennent les démarches nécessaires afin d’obtenir l’original de son acte de naissance, avec l’aide de sa famille restée dans son pays d’origine.
La situation d’Adama est loin d’être isolée. Cet hiver, l’OIP a été alerté à deux reprises de la présence de jeunes détenus de nationalité étrangère se déclarant mineurs mais écroués en tant que majeurs. À Bordeaux-Gradignan, un intervenant extérieur racontait : « Un jeune Guinéen est incarcéré depuis février à la maison d’arrêt des hommes. Le hasard m’a amené à apprendre de l’administration pénitentiaire qu’il est né fin 2003, il n’a donc pas 18 ans. En discutant avec différentes personnes, j’ai appris que plusieurs détenus sont dans ce cas. » À la prison de La Santé, les intervenants du Pad dressent un constat similaire : « Nous recevons de plus en plus de jeunes, qui se disent mineurs et qui en ont vraiment l’air, mais ils n’ont pas de papiers et sont incarcérés à la maison d’arrêt des hommes. Ces deux derniers mois, nous en avons reçu cinq. »
Une évaluation à charge
Les mineurs non accompagnés sont de plus en plus nombreux à fuir leur pays (2) et à rejoindre la France par les routes terrestres et maritimes dans des conditions traumatisantes. Lorsqu’ils poussent les portes de l’Aide sociale à l’enfance, ils sont soumis à une procédure d’évaluation de la minorité et de l’isolement (3) qui prévoit d’examiner la « combinaison d’un faisceau d’indices ». Mais dans les faits, « les décisions sont prises sur la base d’éléments qui sont tous plus fragiles les uns que les autres », souligne Jean-François Martini, chargé d’études au Gisti. Certains départements pratiquent une politique particulièrement sévère dans la reconnaissance de minorité. « Dans la mesure où ils estiment que la situation des MNA leur coûte très cher et leur pose problème, la soi-disant évaluation bienveillante se transforme dans la plupart des départements en cellule de tri, avec des taux de refus très importants – de l’ordre de 60 % au niveau national, et de 100 % dans certains départements », précise-t-il. Ainsi, dans le cadre de l’évaluation de leur âge, un ou plusieurs entretiens peuvent être menés : « On se rapproche de plus en plus du dispositif existant pour les demandeurs d’asile : raconte-moi ton histoire et je te dirai si tu mens ou pas. Cet entretien est aussi l’occasion pour le service évaluateur d’estimer si le physique du jeune semble correspondre à l’âge déclaré. C’est un élément d’évaluation extrêmement subjectif », détaille le juriste. Les documents d’état civil, quand il y en a, sont examinés et leur authenticité très souvent contestée. « Ce qui pose un vrai souci au niveau de la souveraineté des États », souligne Violaine Husson, responsable des questions Genre et protections à La Cimade. Lorsque le document est probant, « on remet de plus en plus en cause son appartenance à l’enfant qui le produit, parce qu’il n’y a pas de photo », précise-t-elle. Enfin, les associations d’aide aux migrants témoignent d’un recours croissant aux tests osseux, dont elles dénoncent régulièrement – avec une grande partie du corps médical, des professionnels de la justice et le Défenseur des droits (4) – le manque de fiabilité (5). Selon le cadre légal, ce test ne peut intervenir qu’« en cas de doute persistant ». Pourtant, les autorités ordonnent sa réalisation « quand bien même le jeune n’a pas donné son consentement et qu’il a un document d’état civil », constate Violaine Husson. Elles y ont aussi recours par facilité : « Lorsqu’il n’y a pas de papiers ou que ceux qui sont produits ne sont pas jugés assez probants, le rassemblement des documents peut être très long, alors que le test osseux est beaucoup plus rapide pour écarter la présomption de minorité. »
Fichés avant d’être évalués
Par ailleurs, en amont de l’évaluation et de l’éventuelle prise en charge, le fichage biométrique des MNA se développe. Depuis 2019, leurs coordonnées, empreintes et photos sont recueillies et enregistrées dans un fichier d’assistance à l’évaluation des mineurs (AEM), adopté par la plupart des préfectures (6). C’est l’occasion pour le préfet de vérifier si le jeune qui se présente n’est pas enregistré dans d’autres fichiers concernant les étrangers, en particulier dans le fichier Visabio (7). Pour ceux qui ont d’abord tenté de rentrer en Europe en utilisant l’identité d’un proche majeur, ils sont enregistrés comme tels et se voient donc refuser leur demande de protection. « J’ai suivi par exemple un jeune qui sortait de prison, condamné sous l’identité d’une personne de 35 ans, alors qu’il avait très visiblement moins de 20 ans. Il avait tenté de voyager vers la France avec le passeport de son père. Sa demande de visa ayant été refusée, il a fait la traversée par d’autres moyens. Quand la préfecture a fait une recherche à partir de ses empreintes, elle est tombée sur l’identité de son père, sous laquelle il a été condamné », raconte Jean-François Martini. Le recours au fichier AEM soulève un autre problème : « Les empreintes sont prises en préfecture ou en commissariat.
Les enfants qui ont subi des violences par certains douaniers, policiers ou militaires pendant leur parcours migratoire craignent d’y aller », constate Violaine Husson. Ceux-là préfèrent donc souvent renoncer à se présenter à l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Or, lorsque leur minorité n’a pas été évaluée par l’Ase, les MNA font bien souvent l’objet d’une présomption de majorité : « En tant qu’avocate, j’ai vu des dossiers dans lesquels une date de naissance avait simplement été attribuée à l’intéressé en garde à vue, faisant de lui un majeur », ajoute Hélène Martin-Cambon, coordinatrice de la plateforme InfoMIE et ancienne avocate. Il arrive parfois que la procédure pénale se déroule sans que la question de la minorité ne soit jamais soulevée. Et ce d’autant que ces jeunes migrants sont le plus souvent jugés dans le cadre de procédures rapides, les comparutions immédiates, et condamnés « sans que l’on se questionne sur leur histoire et sans avoir d’espace pour la raconter », souligne Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. Au total, ils subissent une « politique pénale extrêmement répressive pour les délits qu’ils commettent », relève Hélène Martin-Cambon. Cette logique (8) a pu aller jusqu’à systématiser la remise en cause du statut qui leur avait pourtant été reconnu, comme ce fut le cas en 2016 d’une trentaine de jeunes migrants non accompagnés dans l’Hérault. Bien que reconnus mineurs et pris en charge par l’Ase, ils avaient été par la suite condamnés pour faux et usage de faux après mise en doute de l’authenticité de leurs documents d’état civil et réalisation de tests osseux, et incarcérés. Violaine Husson détaille : « Ils ont été nombreux à être condamnés, avec des peines lourdes. En détention avec des majeurs, cela ne passe pas toujours bien, avec parfois des situations très graves. La plupart d’entre eux ont été reconnus mineurs par le juge à la fin de leur incarcération, qui a duré des mois. » Un enfermement bien souvent ordonné sans prendre en compte les spécificités de ces jeunes cabossés par des parcours migratoires éprouvants, et pour lesquels il ne représente souvent qu’un traumatisme supplémentaire.
par Pauline Petitot
(1) Le prénom a été modifié.
(2) 16 760 personnes déclarées mineures non accompagnées (MNA) entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019, contre 8 054 en 2016, selon la Mission mineurs non accompagnés du ministère de la Justice.
(3) Procédure encadrée par la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016.
(4) Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant aux Nations unies, juillet 2020.
(5) Ces tests impliquent des marges d’erreur importantes, de l’ordre d’un à deux ans pour les adolescents proches de la majorité.
(6) Dans un premier temps, le recours au fichage biométrique n’a pas été rendu obligatoire pour les départements. Mais le projet de loi relatif à la protection des enfants présenté en Conseil des ministres le 16 juin 2021 prévoit une pénalité financière pour les départements qui y demeurent réfractaires.
(7) Base de données biométriques à l’échelle européenne sur les demandeurs de visas.
(8) Voir le communiqué interassociatif « Protéger, soigner, accompagner ? Non, ficher, stigmatiser, sanctionner, renvoyer » (17 mars 2021), publié en réaction au rapport d’information parlementaire « sur les problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés ».