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Cinq ans après les promesses

Le contexte était inédit. Candidat à la présidence, François Hollande avait pris des engagements fermes pour l’amélioration des conditions de détention et la réforme de la justice pénale. Son élection, la nomination de Christiane Taubira au ministère de la Justice et la présence, à la présidence de la commission des lois de l’Assemblée nationale de Jean-Jacques Urvoas, principal pourfendeur du « tout carcéral », laissaient croire à un « alignement des planètes » en faveur de changements en profondeur. Cinq ans plus tard, que reste-t-il des promesses ? Revue non exhaustive des petits renoncements et des grands retournements de veste.

Abrogation de la rétention et de la surveillance de sûreté  : PAS FAIT

« Le Président de la République s’est engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté », Christiane Taubira, devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale le 5 juillet 2012.

C’est probablement le renoncement le plus symbolique. En 2008, le parti socialiste tout entier dénonçait « l’avènement d’une période sombre pour la justice » après le vote de ces mesures de sûreté. Ces dernières autorisent vis-à-vis de personnes condamnées à quinze ans de prison des contrôles, des obligations de soins, des restrictions de déplacement, et même la privation de liberté… Le tout après qu’elles aient purgé leur peine. Argument : celles-ci pourraient commettre dans le futur une nouvelle infraction en raison de leur « particulière dangerosité ». Une notion « émotionnelle, dénuée de tout fondement scientifique » comme l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Le PS y voit alors une justice où l’on peut être « présumé coupable d’un crime virtuel », et la remise en question des fondements de notre droit « pour se rapprocher des régimes totalitaires ». Malgré de multiples promesses et deux avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2014 et 2015, rien n’a été fait pour mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux induites par ces dispositifs. Cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la loi, toutes les personnes placées en centre de rétention de sûreté l’ont été sans démonstration de leur « dangerosité ». La brièveté de leur séjour – entre 41 et 88 jours – souligne le caractère injustifié de la mesure. Ces personnes sont restées par ailleurs soumises à une inactivité totale, sans réelle prise en charge médico-sociale, durant leur placement; des conditions qui permettent difficilement d’imaginer une amélioration de leur état.

Abrogation des peines planchers  : FAIT

« Je reviendrai sur les peines planchers, qui sont contraires au principe de l’individualisation des peines », François Hollande, dans ses 60 engagements pris en janvier 2012.

Concernant les « peines planchers », emblématiques des années Sarkozy, le président Hollande a tenu parole. Ce mécanisme qui imposait aux magistrats de prononcer, sauf motivation spéciale, une peine au moins équivalente à un tiers ou plus de l’emprisonnement encouru en cas de récidive légale ou de violences aggravées, a été supprimé dans la loi « Taubira » du 15 août 2014. Des études ont montré que ces dispositions, adoptées en 2007 puis étendues en 2011 à des fins d’affichage politique, ont abouti dès les trois premières années à une augmentation de 4 % du total des années d’emprisonnement prononcées (1). Soit 4 000 années supplémentaires par an, s’abattant principalement sur les toxicomanes, les alcoolo-dépendants, les personnes souffrant de troubles mentaux et les plus désocialisées, auteurs de petites infractions répétitives. Le tout sans effet bénéfique démontré. « Dans la plupart des cas, l’emprisonnement ne réduit pas la récidive. L’affirmation voulant qu’un recours accru à cette mesure permette de dissuader un infracteur de réitérer « est sans fondement empirique » soulignait déjà en 2007 un rapport de la Commission sur la récidive – que le Gouvernement d’alors n’a pas voulu publier avant l’adoption des peines-planchers. Prenant acte que la sortie de délinquance est un processus non linéaire, souvent émaillé de rechutes, et que sanctionner toujours plus sévèrement peut être contre-productif, le Parlement a également mit fin à divers obstacles à l’individualisation des peines, comme la révocation automatique des sursis en cas de nouvelle condamnation. Mais certains obstacles subsistent, comme la distinction récidiviste/non récidiviste laissée pour l’accès à la surveillance électronique ou la semi-liberté.

Création d’une nouvelle peine de probation autonome : MAL FAIT

« Il faut faire en sorte que les petites peines désocialisantes ne continuent pas à se démultiplier. Il faut donc mettre à la disposition des juges une peine supplémentaire, une peine de probation autonome», Christiane Taubira, 3 juin 2013, sur Linternaute.com.

Cela devait être le symbole du ministère Taubira, et c’était la principale recommandation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive qui devait inspirer sa réforme. Mais cette nouvelle peine de probation qui a pris le nom de « contrainte pénale » n’est pas à la hauteur des ambitions initiales. Le jury de la Conférence, dont le rapport a été remis en février 2013, préconisait de faire de la probation une peine de référence (aux côtés de l’amende et de l’emprisonnement), sans lien avec la prison. Et pour la rendre lisible, il suggérait de fusionner le millefeuille des alternatives en un ensemble modulable autour de trois axes : la réparation, un suivi individualisé centré sur les problématiques de la personne et un accompagnement social. Mais la montagne a accouché d’une souris. Suscitant l’opposition de Manuel Valls, la contrainte pénale est devenue un pâle dérivé du sursis mise à l’épreuve (SME) – soit un assortiment d’obligations et d’interdictions. Venant s’ajouter au panel des peines alternatives et non s’y substituer, elle reste de surcroît liée à la prison : le non-respect des conditions de la mesure est passible d’emprisonnement. Peu lisible et accompagnée de peu de moyens supplémentaires, la contrainte pénale n’a pas donné lieu à une appropriation du monde judiciaire. Seules 2 287 contraintes pénales ont été prononcées dans les deux années suivant son entrée en vigueur, là où la Chancellerie en attendait initialement 8 000 à 10 000 par an. Ce qui devait être une alternative à l’emprisonnement de courte durée ne représente finalement que 0,35 % des peines prononcées.

Réduire les courtes peines de prison : PAS FAIT

« Il y a des années qu’on sait que la prison sur les courtes peines génère de la récidive, c’est presque mécanique […] Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. Sur les courtes peines, on utilisera donc tous les aspects du code pénal », Christiane Taubira, Libération, 7 août 2012.

Le nombre de condamnations à de l’emprisonnement ferme de moins d’un an pour des délits a progressé depuis 2012, passant de 94 865 à 97 951 en 2015 (date des dernières statistiques disponibles). Plus de la moitié sont des peines de moins de six mois. L’ensemble de ces courtes peines représente 79,2 % des condamnations à de l’emprisonnement ferme prononcées (2), une proportion qui a augmenté depuis 2012. Au 1er janvier 2017, pas moins de 19 409 personnes étaient détenues en maison d’arrêt en exécution d’une peine de moins d’un an (3)  – soit près de la moitié des publics incarcérés dans ces établissements. Or à défaut d’une alternative à la prison, toutes auraient pu légalement bénéficier d’un d’aménagement de peine plus constructif et moins pourvoyeur de récidive (placement à l’extérieur, semi-liberté, voire surveillance électronique). Mais le Gouvernement a pris une toute autre orientation : par l’annonce en septembre de la construction de structures pénitentiaires dédiées aux courtes peines, il avalise leur présence en prison.

Éviter les « sorties sèches » de prison : MAL FAIT

« Les sorties sèches justement dénoncées devront être supprimées […] Il faut un nouveau dispositif pour un retour progressif et encadré à la liberté », Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, discours du 30 juin 2013.

Là encore, le Gouvernement a manqué de courage politique. S’appuyant sur le fait établi que le risque de récidive est 1,6 fois plus élevé en cas de sortie sèche (sans accompagnement)plutôt qu’en libération conditionnelle (4), le jury de la conférence de consensus avait préconisé d’adopter un système de libération conditionnelle d’office, « seul capable d’assurer une prévention efficace de la récidive (5) ». Cédant aux accusations de laxisme de la droite, Gouvernement et Parlement n’ont pas osé mener cette réforme pourtant essentielle. La loi du 15 août 2014 s’est contenté de prévoir un nouveau rendez-vous judiciaire au deux-tiers de peine afin d’examiner les possibilités d’aménagement pour les condamnés à moins de cinq ans de prison (la procédure de libération sous contrainte). Avec des critères allégés : il ne leur est pas nécessaire de présenter un projet d’insertion, celui-ci pouvant être travaillé dans le cadre de la mesure d’aménagement de peine. Faute d’investissements suffisants dans le milieu ouvert, et surtout faute de soutien aux magistrats – les rares incidents donnant lieu immédiatement à une mise en cause des juges par les responsables politiques – la mesure s’est révélée, sans surprise, un échec. Selon un bilan dressé en octobre 2016, 6 497 libérations sous contrainte ont été octroyées depuis son entrée en vigueur en janvier 2015 ; soit en moyenne 309 par mois, contre 5 500 sorties sèches… Le dispositif s’est même accompagné d’une diminution globale des aménagements de peine.

Mettre un terme à l’accroissement continu du parc carcéral : ILS ONT FAIT LE CONRAIRE

« Le gouvernement actuel n’a eu pour seule réponse à la délinquance que la construction de nouvelles prisons. […] La fuite en avant vers le tout carcéral depuis cinq ans ne résout rien », François Hollande, en réponse à une interpellation de l’OIP, mai 2012.

« Votre intention d’accroître le parc pénitentiaire illustre cette obsession carcérale. Mais, derrière vos discours de fermeté, je crains que votre attachement viscéral à la prison ne traduise nulle volonté d’accroître l’efficacité du système répressif », Jean-Jacques Urvoas, à l’Assemblée nationale le 10 janvier 2012.

Malgré les espoirs nourris par les positionnements du candidat Hollande et ceux, très fermes, de Jean-Jacques Urvoas lorsqu’il était encore député, la logique d’accroissement du parc pénitentiaire n’a pas disparu sous ce quinquennat. Au contraire, Urvoas devenu garde des Sceaux a rapidement retourné sa veste, annonçant en octobre 2016 un nouveau plan de construction de plus de 20 000 places : un centre de détention, 33 maisons d’arrêt et 16 nouvelles structures pour courtes peines (appelées « quartiers de préparation à la sortie »). La loi de finances pour 2017, qui prévoit 1,158 milliards de crédits pour lancer la construction de neuf premières prisons, atteste d’une totale continuité avec les politiques carcérales des gouvernements précédents. Et avant lui, Christiane Taubira n’avait pas non plus rompu avec les pelleteuses. Si elle a écarté la reprise entière du projet de 24 000 places supplémentaires de la droite, elle a néanmoins validé fin 2012la construction de 6 500 nouvelles places, suivie, en septembre 2014, du lancement d’un nouveau programme de 3 200 places nettes (à horizon 2023). Sur l’ensemble du quinquennat, c’est ainsi la construction de près de 30 000 places supplémentaires qui a été annoncée. Des établissements allant de 400 à 800 places, là où le candidat Hollande avait laissé entendre que les programmes immobiliers pénitentiaires en prison ne consisteraient qu’à « rénover les établissements qui le nécessitent » et s’était engagé à « privilégier les établissements à taille humaine », reconnaissant que les prisons de « grande taille génèrent des tensions, des violences  et au final ne répondent pas à leurs à leur objectif de réinsertion et de prévention de la récidive ».

Mettre un terme aux conditions de détention indignes : PAS FAIT

« Je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion. Et pour cela, nous devons avant tout retrouver des lieux d’enfermement dignes de  notre pays.  Je n’accepte pas de voir l’État sans cesse condamné depuis quelques  années en raison des conditions de détention. »  François Hollande, en réponse à une interpellation de l’OIP, mai 2012.

Insalubrité, promiscuité, normes de sécurité non respectées et temps d’activité limité à une heure et demie par jour par détenu… N’en déplaise à François Hollande, les conditions de détention sont toujours aussi indignes. Pendant le quinquennat, au moins une trentaine de prisons ont été condamnées par les tribunaux administratifs. La faute notamment au vieillissement du parc et à la surpopulation chronique, constamment dénoncés par les défenseurs des droits humains et le CGLPL. Pour autant, le budget 2017 de l’administration pénitentiaire est loin de s’inscrire en rupture avec les politiques carcérales précédentes : 1,158 milliard d’euro ont été engagés pour lancer un énième plan de construction (3900 cellules supplémentaires). A côté, la somme allouée à la remise aux normes du parc pénitentiaire fait pâle figure : 135 millions d’euros seulement ont été débloqués. Des fonds évidemment insuffisants pour rattraper le retard accumulé. Mais en expliquant que « la rénovation du parc pénitentiaire s’inscrit nécessairement dans un temps long (6) », le gouvernement assume de laisser le gros œuvre à ses successeurs.

Abrogation du tribunal correctionnel pour les mineurs  : MAL FAIT

« Je veux, si je suis président de la République, et je m’y suis engagé, réaffirmer la spécificité de [la] justice [des mineurs] sur la base des principes de l’ordonnance de 1945 […] Cela passe notamment par la suppression des dispositions de la loi du 10 août 2011 créant un tribunal correctionnel pour les mineurs. », François Hollande,  26 avril 2012 (7)

De la réforme promise par François Hollande ne reste au final que deux mesurettes : la validation d’une possible césure du procès pénal des mineurs (la possibilité pour le juge de remettre le prononcé à une prochaine audience, s’il estime que les éléments de personnalité sont insuffisants) et la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, annoncée en 2012 Créés par la loi du 10 août 2011, ces tribunaux visaient à condamner plus durement les mineurs récidivistes de plus de 16 ans – qui comparaissaient jusqu’alors devant un juge pour enfant. L’existence de ces juridictions était dénoncée comme contraire à une spécialisation de la justice des mineurs, censée mettre l’accent sur la continuité du suivi et l’accompagnement éducatif. Un principe affirmé par la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, introduite en France par l’ordonnance de février 1945. Les TCM se sont révélés particulièrement lents : de 2011 à 2014, ils ont pris à peine plus de mille décisions. Leur abrogation ne sera finalement inscrite qu’en novembre 2016 dans la loi « de modernisation de la justice». Une mesure cosmétique, dénoncent les syndicats de la PJJ, qui espéraient une réforme globale conforme à l’esprit initial de l’ordonnance de 1945.

(1) F. Leturcq, « Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Infostat justice octobre 2012.

(2) Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique et des Études, décembre 2016.

(3) DAP, Effectifs en détention, 24 janvier 2017.

(4) Données qui neutralisent les biais de sélection.

(5) Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre, 20 février 2013.

(6) Déclaration de Manuel Valls à l’annonce du nouveau plan de construction, en novembre 2016

(7) Lettre à l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF), 26 avril 2012.

Par Sarah Bosquet et Marie Cretenot