Détenus, ils n’ont pas pu assister à la naissance de leur enfant ou être présents aux funérailles de leur fils ou de leur père, alors même qu’ils avaient obtenu l’autorisation du juge. Une double peine, simplement parce que l’administration n’a pas assuré leur sortie, faute d’escorte.
« Mon accouchement devait être déclenché, donc je savais que j’allais être hospitalisée le 26 septembre. Alors je m’y suis prise quinze jours à l’avance en envoyant tous les justificatifs en recommandé pour qu’il puisse être présent », raconte Laura(1), dont le compagnon est incarcéré. « Le juge a autorisé une sortie sous escorte. Mais j’ai reçu un refus du directeur [de la prison], me disant que ce n’était pas possible parce qu’ils n’avaient pas assez de personnels pour les escortes. Il faut savoir que la clinique où j’ai accouché est juste en face de la maison d’arrêt. Je pensais vraiment qu’ils allaient le laisser sortir ne serait-ce que dix minutes, un quart d’heure… » Ce n’est pas la première fois que le couple est confronté à une telle situation. « Quand il a perdu son oncle il y a deux ans, ils ne l’avaient pas non plus laissé à aller à l’enterrement – toujours à cause d’un problème d’escorte. Ce sont pourtant des moments de la vie qui sont importants… », soupire la jeune femme. Le compagnon de Florence, détenu à Bois d’Arcy, a lui aussi manqué les obsèques de son père, décédé en octobre. Cette fois, la direction de la prison n’a pas posé de veto. « Mais une heure avant la cérémonie, ils nous ont prévenus qu’il n’y avait pas assez de personnel pour l’escorter. »
Les récits de prisonniers empêchés d’assister à des événements familiaux exceptionnels ou de se rendre sur la tombe d’un proche malgré l’autorisation d’un magistrat sont fréquents dans les courriers reçus à l’OIP. L’été dernier, des personnes détenues à Val-de-Reuil, Rennes et Nantes ont ainsi manqué les funérailles d’un proche, malgré une décision de justice favorable. Dans son dernier rapport d’activités, la Contrôleure générale des lieux de privation des lieux de liberté (CGLPL) rapporte le cas d’un mineur détenu empêché d’assister aux obsèques de son père. « Les difficultés invoquées sont alors le manque d’effectif ou l’insuffisance du temps imparti pour planifier les escortes. Or, ces autorisations sont la plupart du temps accordées à l’occasion d’événements exceptionnels tels qu’un décès ou une naissance, par nature non planifiés », s’agace la Contrôleure, Adeline Hazan.
L’autorisation de sortie sous escorte (ASSE) dépend en théorie de l’accord du juge(2). Pour la Cour européenne des droits de l’homme, en cas d’obsèques, « un refus ne peut être justifié que si des raisons majeures, impérieuses s’y opposent »(3). À défaut, tout doit être mis en œuvre pour permettre à la personne de s’y rendre. Elle est alors accompagnée – le plus souvent menottée (lire l’encadré page 36) – par des policiers, des gendarmes ou des surveillants pénitentiaires armés. Mais chaque année, de nombreuses sorties sous escortes sont annulées, ou simplement refusées par l’administration pénitentiaire, pourtant censée appliquer la décision de justice. Un problème qui touche l’ensemble des extractions judiciaires, et dans des proportions globalement accrues : le taux « d’impossibilités de faire », de 4 % en 2014, s’est élevé à 11 % en 2015 et à 24 % en 2016(4). Un taux toutefois en baisse au 1er août 2017 : 12,9 % des réquisitions n’avaient pu donner lieu à une ASSE(5).
Une réforme « chaotique », dont les détenus sont les premières victimes
En 2016, une mission d’inspection(6) s’est penchée sur l’origine de ces dysfonctionnements. Principale mise en cause : une réforme transférant la compétence des extractions des forces de sécurité intérieure (FSI : police et gendarmerie) vers les personnels de l’administration pénitentiaire. Un changement initié par l’ancienne garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie en 2010 et mis en place par paliers à partir de 2011. Mais de manière très improvisée, selon les auteurs du rapport d’inspection, qui relèvent « une sous-évaluation du nombre de postes à transférer par les forces de sécurité intérieure, [un] recrutement insuffisant d’agents dans les PREJ(7), [une] implantation géographique de ceux-ci inadaptée car trop éloignée des juridictions et des établissements et [un] défaut d’anticipation et de pilotage de la réforme par le ministère de la Justice. » Deux ans plus tard, un avis du Sénat qualifie même cette réforme de « chaotique »(8).
En attendant la reprise totale de la responsabilité des extractions par l’administration pénitentiaire, prévue fin 2019, la plus grande confusion règne au niveau de chaque juridiction, chacun se renvoyant la patate chaude. Au détriment des personnes détenues. Les forces de l’ordre, qui considèrent cette mission comme « indue »(9), évoquent le peu d’effectifs disponibles dans leurs rangs à cause du plan Vigipirate. Côté administration pénitentiaire, on explique être obligé de faire des choix. « Pour les escortes, la priorité est donnée aux procès. Viennent ensuite les extractions médicales, avec la prise en charge des tentatives de suicide en premier, avant les examens médicaux. » Comprendre : les autorisations de sortie pour raison familiales arrivent loin derrière…
« Aujourd’hui, quand on sait qu’il y a plein de procès en cours et qu’on va avoir des problèmes d’escorte, on avertit les FSI. On prévient aussi les magistrats, comme on le fait déjà lorsqu’il y a surpopulation carcérale », précise-t-on à la direction de l’administration pénitentiaire. Problème : d’après des témoignages recueillis auprès de proches de détenus et d’avocats, il ne serait pas rare que des juges prennent leurs décisions en fonction de ces informations. Et anticipent les problèmes d’effectifs, ou les lourdeurs de l’organisation des escortes, en refusant d’emblée des autorisations de sortie sollicitées par les détenus. Le phénomène est aussi constaté par la CGLPL. « Dans certains ressorts, la juridiction d’application des peines s’adapte en réservant expressément sa décision d’octroi de l’autorisation demandée à la disponibilité des escortes – décision que j’estime également susceptible de porter atteinte aux droits des personnes concernées », déplorait, en août 2018, Adeline Hazan dans une réponse à une avocate.
Une extension du champ de la permission de sortir ne permettrait-elle pas de remédier, au moins en partie, à cette atteinte aux droits ? Elle aussi laissée à la discrétion du magistrat, elle présente l’avantage de ne nécessiter aucune escorte. À l’heure actuelle, ces permissions ne sont accessibles qu’à un nombre très restreint de détenus. Et très rarement accordée à ceux qui peuvent y prétendre.
Des drames humains
Faut-il le rappeler ? Derrière ces problèmes de gestion, ce sont autant de drames humains. Et les sorties ratées, ou annulées, engendrent souvent de lourdes séquelles psychologiques pour les personnes détenues et leurs proches. « En plus de la souffrance de notre deuil, pourquoi infliger aux familles et aux prisonniers une double peine ? Ma colère est immense et je suis très peinée d’imaginer dans quel désarroi P. se trouve, entouré de quatre murs pendant que l’on enterre son papa », s’indigne Florence. À la frustration immédiate s’ajoutent l’incompréhension et un sentiment d’injustice. « Je n’arrive toujours pas à saisir comment le centre pénitentiaire a pu manquer à son obligation, avec l’éventail de solutions qui étaient pourtant à sa disposition (agents pénitentiaires, gendarmerie, police) », s’indigne Pierre, détenu à Rennes, qui n’a pu assister aux obsèques de son fils en juin 2018. « Aujourd’hui, je souhaite déposer plainte contre l’administration pénitentiaire, même si bien entendu, ça ne me rendra pas mon fils. […] Mais je serai malheureusement dans l’impossibilité de le faire avant ma sortie de détention et cela va me tourmenter jusqu’à ma libération. » Une tristesse et un stress accrus, qui peuvent entraîner des conséquences sur la santé. « C’est pour moi un vrai choc traumatique. Je me sens affaibli psychologiquement. Je suis victime d’insomnie, de bourdonnements dans la tête, de troubles de l’attention et je ne mange presque rien », continue Pierre. Dans la plupart des cas, les personnes soulignent en outre une (très) mauvaise communication de l’administration, qui tarde à répondre à leurs sollicitations, transmet des informations contradictoires – quand elle en transmet. « On demande un rendez-vous avec le directeur, il ne nous répond jamais », s’agace Laura. « Outre la déception qu’un tel revirement de situation génère dans un contexte émotionnel souvent déjà chargé, refuser l’exécution d’une autorisation de sortie sous escorte constitue une atteinte au maintien des liens familiaux », souligne la CGLPL. Des liens familiaux dont le maintien est pourtant jugé comme fondamental dans le processus de réinsertion. Or comment maintenir ces contacts, et par la suite retrouver sa place dans une famille, ou dans un collectif, quand on a raté une naissance, les derniers moments d’un proche, des rituels d’adieux ?
Comment maintenir ces contacts, et par la suite retrouver sa place dans une famille, ou dans un collectif, quand on a raté une naissance, les derniers moments d’un proche, des rituels d’adieux ?
Certaines personnes réussissent malgré tout à s’organiser pour faire participer, symboliquement ou virtuellement, leur proche incarcéré : « Un jour, je me suis rendu aux obsèques d’une personne dont le fils était incarcéré à Nanterre. Celui-ci avait réussi à avoir une autorisation de sortie sous escorte pour aller à la première partie de la cérémonie, mais il a dû repartir en détention avant l’enterrement. Sa copine et un ami à lui ont alors commencé à filmer la scène pour qu’il puisse regarder la mise en terre en direct, sur son portable », se souvient François Bès, salarié de l’OIP. « Alors que la nuit tombait, il y a eu une coupure d’électricité dans le cimetière. Il s’est passé un truc très émouvant : la plupart des 150 personnes qui étaient là ont tenu leur téléphone allumé au-dessus du trou, pour éclairer le cercueil. Il a pu voir les prises de paroles, entendre les mots de soutien de ses proches. »
Par Sarah Bosquet
Le port des menottes lors des escortes : un obstacle supplémentaire
Lors d’une ASSE, le niveau de sécurité est en principe décidé par le chef d’escorte, sur recommandation du magistrat. Ce dernier décide aussi de la durée de la sortie. Le port de menottes doit être conditionné par le comportement de la personne détenue, mais aussi par l’évaluation de sa « dangerosité » et de ses risques d’évasion. Une décision du juge peut néanmoins permettre à la personne escortée de retirer les menottes à certains moments de la sortie (pendant une cérémonie par exemple), et les personnels peuvent être dispensés du port de l’uniforme. Mais dans les faits, le port des menottes est quasi-systématique lors des escortes. Une pratique qui conduit de nombreuses personnes à renoncer à solliciter des autorisations de sortie.
(1) Ce prénom a été modifié.
(2) Le juge d’application des peines pour les condamnés (ou le juge des enfants si la personne est mineure) ; pour les prévenus, le juge d’instruction pendant la mise en examen, puis la juridiction devant laquelle l’affaire est renvoyée.
(3) CEDH, 12 novembre 2002, Ploski c/ Pologne.
(4) Sénat, avis présenté au nom de la commission des lois sur le projet de loi de finances pour 2018 adopté par l’Assemblée nationale, tome VII « Administration pénitentiaire », 23 novembre 2017.
(5) Malgré nos demandes, la direction de l’administration pénitentiaire ne nous a pas communiqué de chiffre plus récent au moment où nous publions cet article.
(6) Mission d’inspection confiée à l’inspection générale de l’administration et à l’inspection générale des services judiciaires.
(7) Services chargés d’exécuter les extractions et translations requises par l’autorité judiciaire au sein de l’administration pénitentiaire.
(8) Avis du Sénat, 23 novembre 2017, op. cit.
(9) Ibid.