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Exécution des décisions de justice : une bataille de longue haleine

Le ministère de la Justice est régulièrement condamné par les juridictions françaises à mettre en œuvre, en urgence, des mesures précises pour améliorer les conditions de détention dans ses prisons. Or, ces décisions semblent rarement exécutées, ou dans des délais excessifs. Face à l’indifférence et au manque de transparence de l’administration et à la résistance du Conseil d’État, l’OIP est engagé dans une guérilla au long cours.

Par son arrêt JMB c. France du 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnait l’État français pour l’indignité des conditions d’incarcération dans plusieurs de ses prisons. Mais aussi pour violation du droit à un recours effectif, au motif qu’il n’existait aucun recours permettant aux personnes détenues dans des conditions dégradantes d’obtenir qu’il soit mis fin à ce mauvais traitement. Pour fonder ce jugement sévère, les juges européens se sont attachés à pointer les limites du référé-liberté, procédure qui permet de demander en urgence au juge administratif de protéger les droits et libertés fondamentaux, et que l’OIP a souvent utilisé pour tenter d’obtenir l’amélioration de conditions de détention jugées dégradantes. Parmi les griefs formulés, la CEDH relevait que « le suivi de l’exécution des mesures prononcées par le juge du référé-liberté pose un certain nombre de questions ». Prenant en exemple l’ordonnance obtenue par l’OIP le 30 juillet 2015 à propos des conditions de détention à la maison d’arrêt de Nîmes(1), la Cour soulignait en particulier que la mise en oeuvre des injonctions formulées « connaît des délais qui ne sont pas conformes avec l’exigence d’un redressement diligent »(2). Dans cette affaire, l’installation d’une alarme incendie dans les locaux de l’accueil famille n’avait été réalisée que sept mois après avoir été prescrite, tandis que les injonctions « visant à l’amélioration de l’installation des détenus la nuit (achat de vingt-cinq lits sur roulettes) et à la délivrance de produits d’entretien et de draps/couverture propres [ne] furent exécutées [qu’]au cours du second semestre 2016 », soit plus d’un an après l’ordonnance. S’agissant des autres mesures relatives à la sécurité incendie et au désenfumage du bâtiment de détention, la Cour relevait enfin que certains travaux étaient encore « en cours d’exécution » au printemps 2017(3)…

L’indifférence de l’administration

Deux décisions rendues par le Conseil d’État sont venues très récemment confirmer la difficulté rencontrée depuis des années par l’OIP pour obtenir de l’administration qu’elle exécute rapidement, et entièrement, les décisions de référé lui prescrivant d’agir en urgence contre l’indignité des conditions de détention. Le 24 décembre 2021(4), la Haute juridiction constatait que certaines mesures prescrites en avril 2017 concernant la maison d’arrêt de Fresnes n’avaient été réalisées que plusieurs mois, voire plusieurs années après avoir été prescrites. Et relevait qu’une injonction, relative au renouvellement plus fréquent des trousses d’hygiène distribuées aux personnes détenues, n’avait même jamais été exécutée. Quelques semaines plus tard, le 11 février 2022(5), le Conseil d’État concluait à l’inexécution de plusieurs prescriptions formulées en février et octobre 2020 par le juge des référés concernant le centre pénitentiaire de Nouméa. Il constatait que les sanitaires du quartier des mineurs étaient restés dans « un état de délabrement et d’insalubrité caractérisé » bien que leur rénovation ait été ordonnée deux ans plus tôt. Et relevait que l’administration n’avait pas encore procédé au remplacement de toutes les fenêtres de cellule détériorées, fourni aux personnes détenues des moustiquaires et produits répulsifs pour se protéger des piqûres d’insectes, ni fait le nécessaire pour qu’un médecin addictologue soit recruté dans l’établissement.

Pour tenter de justifier le retard pris pour exécuter certaines injonctions, l’administration invoque souvent la complexité technique de certaines opérations prescrites, la difficulté organisationnelle de réaliser des travaux en site occupé, ou encore la nécessité de respecter certaines formalités et procédures qui ralentissent le processus d’exécution. De telles contraintes sont parfois bien réelles. Mais elles ne sauraient expliquer l’inertie dont fait preuve l’administration de manière générale. Aucune de ces contraintes ne peut en effet justifier que cette dernière ait mis deux ans pour distribuer des moustiquaires aux personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Nouméa, ou près de cinq ans pour augmenter la fréquence de distribution des trousses d’hygiène aux personnes détenues à Fresnes. Ni que l’administration ait attendu une année avant de faire l’acquisition d’une vingtaine de lits pliables à roulettes pour les personnes détenues dormant à même le sol à la maison d’arrêt de Nîmes. Et encore moins que le directeur de la prison de Fresnes ait mis plus de trois ans pour diffuser auprès de ses agents une note rappelant les conditions d’emploi de la force en détention comme l’avait ordonné le juge des référés pour tenter d’endiguer l’« usage banalisé »(6) de la force de certains surveillants sur les personnes détenues. Et la liste de tels retards injustifiés n’est pas exhaustive… Tout se passe comme si l’administration estimait disposer du pouvoir d’apprécier la nécessité ou l’opportunité de mettre rapidement en oeuvre les mesures prescrites par le juge, n’hésitant pas à remettre à plus tard l’exécution de certaines injonctions au profit de la réalisation d’autres actions qu’elle juge prioritaires. Les suites données à une ordonnance du juge des référés rendue en octobre 2014(7) à propos du centre pénitentiaire de Ducos en témoigne de façon éclatante. Saisi par l’OIP, ce dernier avait notamment prescrit à l’administration de « faire procéder, avant la fin de l’année 2014, à des travaux » permettant de remédier à la présence d’eaux stagnantes dans les cours de promenades afin que ces cours « restent utilisables en cas de d’intempéries ». En juillet 2017, près de trois ans après cette décision, l’OIP apprenait par l’Agence régionale de santé que l’injonction demeurait inexécutée. Différés à plusieurs reprises, les travaux avaient finalement été abandonnés, « les sommes pré-affectées à l’opération par la Mission des services pénitentiaires de l’Outre-Mer [ayant été] redéployées par décision du Directeur interrégional » pour financer l’installation d’un dispositif anti-projections…

La résistance du Conseil d’État

Face à l’indifférence, voire à la résistance que peut manifester l’administration à l’égard de ces injonctions du juge des référés, force est de constater, que les procédures juridictionnelles susceptibles d’être mobilisées pour contraindre l’administration à agir sont inadaptées. De fait, toutes les tentatives de l’association pour obtenir leur renforcement ont jusqu’à présent échoué.

À l’occasion du référé-liberté engagé en 2017 contre les conditions de détention à Fresnes, l’OIP avait demandé au juge des référés d’assurer le suivi des injonctions qu’il prononce, en organisant périodiquement des audiences permettant de contrôler l’avancée de leur mise en œuvre. Cette demande avait cependant été rejetée par le Conseil d’État(8), qui avait renvoyé l’association vers les deux procédures d’exécution disponibles.

Le code de justice administrative (CJA) prévoit en effet que, « en cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d’en assurer l’exécution »(9). Saisi dans ce cadre par l’OIP, le Conseil d’État a cependant mis plus d’un an pour se prononcer sur la demande d’exécution des injonctions visant le centre pénitentiaire de Nouméa. Et deux ans et neuf mois pour statuer sur la requête réclamant l’exécution de l’ordonnance relative à la maison d’arrêt de Fresnes… Des délais beaucoup trop longs, en tous les cas inadaptés s’agissant d’injonctions prononcées pour sauvegarder la dignité de personnes incarcérées et censées être « mises en œuvre [et] porter effet à très bref délais ».

La jurisprudence admet par ailleurs que la mise en œuvre des décisions de justice peut être recherchée, cette fois en urgence, par le dépôt d’un nouveau référé(10). Mais ce référé ne sera examiné par le juge que si le requérant démontre que les injonctions prononcées précédemment ne sont effectivement pas mises en œuvre par l’administration. Cette condition, en apparence logique, constitue en réalité souvent un obstacle incontournable. Car apporter une telle preuve peut être particulièrement difficile s’agissant de mesures intervenant par définition à l’abri des regards, derrière les murs d’une prison. D’autant que l’OIP ne dispose pas d’un libre accès aux lieux de détention et qu’il se heurte fréquemment au refus de l’administration de le tenir informé des actions entreprises. Pour surmonter cette difficulté, l’association a d’abord cherché à obtenir du juge des référés, lorsque ce dernier prononce des injonctions, qu’il ordonne simultanément à l’administration d’informer l’OIP de ce qui sera entrepris – obligation d’information refusée par le Conseil d’État(11). L’association a donc tenté une autre approche dans le cadre du suivi de l’exécution d’une ordonnance de référé rendue le 17 mars 2021(12) à propos des conditions d’incarcération au centre pénitentiaire de Ploemeur. L’OIP a d’abord adressé plusieurs courriers à l’administration pour demander qu’elle le tienne informé de la nature et de l’avancée des mesures engagées pour exécuter cette ordonnance. Puis, face au silence de cette dernière, il a saisi le juge des référés d’une demande d’exécution, en soutenant que ce refus de répondre devait être compris comme l’aveu par l’administration que les injonctions n’avaient pas été exécutées.

Cependant, le Conseil d’État a une nouvelle fois écarté le raisonnement proposé par l’OIP et rejeté la demande d’exécution, au motif que l’association n’apportait pas de commencement de preuve de l’inexécution(13). Quelques semaines plus tard, le tribunal administratif de Rennes refusait quant à lui de contraindre l’administration à répondre en urgence aux demandes d’informations de l’OIP(14)… À ce jour, l’association se trouve donc dans une situation totalement kafkaïenne. Plus d’un an après l’ordonnance de référé, elle ne sait toujours pas si les injonctions prononcées pour sauvegarder la dignité des personnes incarcérées à la prison de Ploemeur ont été effectivement respectées. Et les juges refusent de contrôler en urgence cette exécution au motif précisément que l’OIP ne dispose d’aucune information, tout en refusant d’obliger l’administration à répondre favorablement aux demandes d’information de l’association…. Faisant peser sur l’OIP la charge d’une preuve qu’il est dans l’incapacité d’apporter, ils invitent implicitement ce dernier à se tourner vers l’autre voie d’exécution, dont nous avons vu qu’elle mettrait probablement encore des mois, voire des années à aboutir.

Dans son arrêt JMB c. France, la Cour européenne des droits de l’homme déclarait qu’« on ne saurait attendre d’un détenu qui a obtenu une décision favorable qu’il multiplie les recours afin d’obtenir la reconnaissance de ses droits fondamentaux au niveau de l’administration pénitentiaire »(15). Il est désormais grand temps que l’administration, mais aussi les juridictions internes, prennent au sérieux cette conviction, sous peine de s’exposer à une nouvelle condamnation européenne.

Par Nicolas Ferran


Fouilles à nu systématiques à Fresnes : refus obstiné d’exécuter les décisions de justice
Le 17 juillet 2012, l’OIP obtenait en référé la suspension d’une note du directeur de la prison de Fresnes prévoyant que toutes les personnes détenues devaient être automatiquement soumises à une fouille intégrale à la sortie des parloirs. L’application de ce régime illégal s’est cependant poursuivie, obligeant l’association à engager en 2013 deux autres procédures de référé. Dans une décision 23 février 2017, le Défenseur des droits confirmait que le directeur « a bien fait, à trois reprises, obstacle au caractère exécutoire des ordonnances de suspension, en diffusant après les trois ordonnances des textes maintenant un régime de fouilles intégrales systématiques en sortie des parloirs ».
À nouveau saisi par l’OIP, le juge des référés relevait le 28 avril 2017 que « la pratique de fouille à corps revêt encore un caractère trop systématique » à la prison de Fresnes et prescrivait au directeur « de diffuser une note de service dans laquelle elle rappellerait les conditions dans lesquelles [elles] doivent s’effectuer ». Cette injonction n’a été exécutée que 17 mois plus tard, sous la pression d’une nouvelle action contentieuse de l’OIP. Mais en novembre 2019, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté constatait que « les fouilles intégrales au sortir des parloirs étaient tout aussi fréquentes qu’en 2016 ».


(1) CE, 30 juill. 2015, SFOIP, n° 392043.
(2) § 219.
(3) § 73.
(4) CE, 24 déc. 2021, SFOIP, n°435622.
(5) CE, 11 fév. 2022, SFOIP, n°452354.
(6) TA Melun, SFOIP, 28 avril 2016.
(7) TA Fort-de- France, 17 oct. 2014, SFOIP, n°1400673.
(8) CE, 28 juill. 2017, SFOIP, n°410677.
(9) Articles L.911-4 et suivants.
(10) Articles L.521-2 ou L.521-4.
(11) CE, 5 avr. 2019, SFOIP, n°428747.
(12) TA Rennes, 17 mars 2021, SFOIP, n°2101070.
(13) CE, 29 nov. 2021, SFOIP, n°458355.
(14) TA Rennes, 31 janv. 2022, SFOIP, n°2200501.
(15) § 219.